Accords commerciaux UE-Maroc sur le Sahara : Comment Rabat peut riposter.

 

Accords commerciaux UE-Maroc sur le Sahara : Comment Rabat peut riposter.

Le Tribunal de l’Union européenne a annulé deux accords commerciaux entre le Maroc et l’UE englobant le Sahara occidental. Mais le royaume n’a pas dit son dernier mot.

Nasser Bourita (à dr.), ministre marocain des Affaires étrangères, et son homologue français Jean-Yves Le Drian, le 8 juin 2019, à Rabat. © CHINE NOUVELLE/SIPA

Le conflit entre le Maroc et le Front Polisario se joue sur tous les fronts, sur le terrain bien sûr, mais aussi dans les arcanes de la diplomatie, notamment au sein des instances de l’Union européenne (UE). Preuve en est la décision du Tribunal de l’UE, le 29 septembre, d’annuler purement et simplement deux accords de partenariats commerciaux conclus entre Rabat et Bruxelles en 2019.

Josep Borell a publié un communiqué commun avec Nasser Bourita pour poursuivre le « partenariat stratégique ».

Et pas n’importe lesquels, puisqu’il s’agit d’accords de libre-échange relatifs aux produits agricoles et à la pêche, et qui englobent le Sahara occidental. Pour justifier leur décision, les juges expliquent que le droit international n’empêche pas « l’Union européenne et le Maroc de conclure un accord applicable au Sahara occidental », mais qu’il doit se faire avec « le consentement du peuple du Sahara occidental, en tant que tiers aux accords litigieux ».

Or, selon le tribunal, les « consultations auprès des populations concernées n’ont pu aboutir à l’expression du consentement du peuple du Sahara occidental ». Si cette décision a été saluée par les indépendantistes sahraouis et l’association Western Sahara Resource Watch, à l’origine des premiers recours juridiques, elle s’apparente à première vue à un revers pour le Maroc – même s’il n’est pas directement représenté dans les instances de l’UE –, mais plus encore pour la Commission européenne, le Conseil des ministres, la France et l’Espagne.

En coulisses, les juges du Tribunal de l’UE auraient particulièrement peu goûté les « acrobaties » juridiques du Conseil européen pour faire passer ces deux accords. Pour rappel, le Tribunal de l’UE avait déjà partiellement annulé un accord de libre-échange signé entre l’UE et le Maroc en 2015, pour les mêmes raisons.

Une décision appuyée par la Cour de justice européenne en 2016, avant que celle-ci n’interdise la pêche européenne dans les eaux de l’ex-Sahara espagnol, en 2018. L’année suivante, les « Vingt-sept » ont donc tenté de se mettre en conformité avec ces décisions de justice en renégociant des accords avec le Maroc et d’ajouter une « extension » au Sahara.

« Relation inchangée »

Dans la foulée de l’arrêt publié par le Tribunal de l’UE le 29 septembre, le chef de la diplomatie européenne de nationalité espagnole, Josep Borell a immédiatement publié un communiqué commun avec le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, pour réitérer leur engagement à poursuivre leur « partenariat stratégique ».

Ils ont également promis de « prendre les mesures nécessaires afin d’assurer le cadre juridique qui garantisse la poursuite et la stabilité des relations commerciales entre l’Union européenne et le royaume du Maroc ». De part et d’autre de la rive méditerranéenne, les éléments de langages sont similaires : sérénité et « relation inchangée ».

Le Maroc est confiant quant à la volonté de l’UE « de défendre la légalité de ces accords ».

Du côté marocain, une source autorisée évoque une décision en forme de « demi-surprise », si ce n’est un « fait divers », qui n’aura aucun impact sur le plan politique, diplomatique ou économique. La diplomatie marocaine insiste sur « l’immédiateté » de la publication du communiqué conjoint, laquelle prouve qu’il n’y a pas eu « de vide, d’hésitation » et témoigne de la « solidité de la relation entre le Maroc et l’Union européenne».

Surtout, l’État marocain est confiant quant à la volonté de l’Union européenne « d’assumer pleinement ses responsabilités » et « de défendre la légalité de ces accords ». D’autant que le Conseil européen a une position claire, nette et constante : « Le Polisario ne possède pas la personnalité juridique pour prétendre à sa reconnaissance ».

Quant à la décision du Tribunal de l’UE, cette même source autorisée évoque une décision « prise en première instance, incohérente, contradictoire, biaisée politiquement et juridiquement », tout en rappelant que le Polisario s’est lancé dans une stratégie de « harcèlement politique et juridique qui ne coûte pas cher ».

Gagner du temps

En attendant, les deux accords commerciaux annulés par le Tribunal de l’UE resteront en vigueur pendant une période de deux mois maximum, « afin de préserver l’action extérieure de l’Union et la sécurité juridique de ses engagements internationaux », selon l’arrêt.

Mais il est très probable que des pays comme la France et l’Espagne, ainsi que les relais du Maroc comme la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader) – partie prenante dans cette affaire –, fassent des pieds et des mains pour obtenir un recours devant la Cour de justice européenne.

Encore faut-il remporter la majorité au sein du Conseil des ministres. La France et l’Espagne en sont capables, mais plusieurs pays pourraient dire non à un recours, notamment l’Allemagne, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède.

Dans un tweet publié quelques temps après la décision du tribunal de l’UE, Ann Linde, ministre suédoise des Affaires étrangères, a ainsi affirmé que les accords de l’UE doivent « être guidés par le droit international ».

Rabat pourrait se tourner vers d’autres partenaires commerciaux, au premier rang desquels la Chine et le Japon.

De l’avis de juristes qui ont planché sur ce dossier très complexe, ce recours – s’il était obtenu – serait une façon de gagner du temps de la part des alliés du royaume, et d’envoyer un message politique rassurant à l’adresse du Maroc.

L’option chinoise

Si elle était saisie, la Cour de justice aurait en effet un an pour se prononcer. Après ce délai, et en cas de confirmation de la décision rendue par le Tribunal de l’UE, les produits exportés depuis le Sahara ne pourront plus être étiquetés comme marocains et le royaume devra payer des droits de douanes de 20 % pour exporter vers l’Europe. Quant à la flotte européenne, majoritairement espagnole dans cette zone, elle ne pourra plus pêcher dans les eaux du Sahara.

Le Polisario quant à lui en profiterait pour réclamer des dommages et intérêts à la commission de l’UE pour l’argent non perçu des droits de pêche depuis 2016, et tenterait même de demander au Maroc de rendre les sommes perçues par le royaume durant cette période.

Autre alternative à ce scénario, l’UE et le Maroc pourraient à nouveau négocier des accords, mais pour contenter la justice européenne, les deux partenaires devront peut-être inclure une tierce partie : le Polisario. Une option inenvisageable pour Rabat.

Et si d’aventure l’accord était définitivement invalidé par la Cour de justice européenne, Rabat pourrait se tourner vers d’autres partenaires commerciaux, au premier rang desquels la Chine et le Japon. Mais d’ici là, peut-être que l’Espagne et la France – qui assurera la présidence de l’UE dès janvier – seront parvenues à renverser la vapeur.

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