Cette vague de cocaïne qui déferle sur l’Afrique.

 

Cette vague de cocaïne qui déferle sur l’Afrique.

 

L’AUGMENTATION DES ÉCHANGES COMMERCIAUX A LARGEMENT CONTRIBUÉ À L’ESSOR DU TRAFIC DE COCAÏNE CES DERNIÈRES ANNÉES, DONT LE CHIFFRE D’AFFAIRES EST ESTIMÉ ENTRE 15 ET 20 MILLIARDS D’EUROS CHAQUE ANNÉE. EN S’INFILTRANT PAR LES PORTS, LA POUDRE BLANCHE BALAYE TOUT SUR SON PASSAGE.

Le 18 octobre 2021, suite à une opération de fouille effectuée par les éléments de la brigade cynophile au port de Tanger, une quantité record de 1,35 tonne de cocaïne a été découverte et saisie dans un bateau de croisière qui avait pris le départ d’un port au Brésil à destination du port d’Anvers. Beaucoup plus au sud, en avril 2022, c’est une autre opération menée par la police ivoirienne à Abidjan et à San Pedro qui a mené à la saisie de plus de 2 tonnes de cocaïne pour une valeur marchande estimée à 62 millions d’euros. Ces opérations de saisie de cocaïne de plus en plus récurrentes et spectaculaires sur notre continent ces dernières années viennent confirmer les craintes et les analyses formulées par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) : l’Afrique est devenue la nouvelle plaque tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Europe.

Le trafic de cocaïne explose partout dans le monde
Comme à son habitude, l’ONUDC publie chaque année son rapport annuel sur le trafic de drogue à l’échelle du globe pour dresser un bilan sur l’état du trafic des différents types de drogues (cannabis, opiacés, cocaïne, drogues synthétiques…), afin d’aider ses États membres à appréhender et lutter contre ce trafic ainsi que les violences et les crimes qu’il génère. Toutefois, l’essor du trafic de cocaïne et ses ravages sur la santé, la sécurité et l’économie mondiale ont atteint un tel niveau critique cette année que l’ONUDC a décidé de publier en mars 2023, et ce pour la première fois, un rapport dédié exclusivement au trafic de cocaïne afin d’alerter sur l’ampleur et le niveau de menace inégalé occasionné par ce trafic.
Et un chiffre en particulier ressort de ce rapport. 2.000 tonnes, c’est la quantité globale de cocaïne saisie à travers les 5 continents sur une année ! Un chiffre astronomique, quand on sait qu’un kilogramme de cocaïne pure (dosée aux alentours de 80%) peut servir à préparer 2 à 3 kg de drogue coupée avec d’autres substances chimiques, qui va être revendue ensuite sous formes de doses contenant 1 gramme de poudre blanche pour les consommateurs. On peut donc estimer que c’est 4 à 6 milliards de doses qui auraient pu être revendues aux consommateurs aux profils de plus en plus diversifiés. Des toxicomanes qui consomment la coke de manière quotidienne et compulsive, des consommateurs occasionnels qui prennent de la cocaïne pour un usage récréatif lors de soirées ou de festivals de musique techno mais aussi des cadres ou jeunes actifs qui ont recours à cette drogue stimulante pour doper leurs performances ou gérer le stress dans un monde professionnel de plus en plus exigent et compétitif. La cocaïne est devenue la drogue phare du XXIᵉ siècle, dont l’accès a été facilité par les effets de la mondialisation et du libre-échange. Aujourd’hui, dans les grandes villes en Europe, on peut commander sa coke comme on se fait livrer une pizza ou des sushis !
Le rapport sur l’état du trafic de cocaïne de 2023 est clair et sans détour : le trafic de cocaïne vers l’Europe et l’Afrique a pris des proportions alarmantes et incontrôlables. «L’augmentation de l’offre mondiale de cocaïne devrait nous mettre tous en état d’alerte», a déclaré la directrice exécutive de l’ONUDC, Ghada Waly, en commentant la publication de ce rapport. Les experts de l’ONUDC mettent en garde contre l’augmentation préoccupante du trafic de cocaïne, qui, à l’inverse du marché des autres drogues et substances psychotropes, n’a pas été ralenti par la crise de Covid. Entre 2020 et 2021, la culture de la coca, concentrée entre la Colombie, la Bolivie et le Pérou, a bondi de 35%, enregistrant un record et la plus forte augmentation d’une année à l’autre depuis 2016.

L’Europe : le plus grand marché de la cocaïne
Durant des décennies, le marché nord-américain a été la première destination de la cocaïne colombienne. Mais, alors que le trafic des opioïdes (héroïne, codéine, fentanyl…) commence à prendre le pas sur le trafic de cocaïne aux Etats-Unis, qui a atteint son niveau de saturation, les cartels de drogue sud-américains se sont tournés vers le marché européen. Ainsi, une vague de poudre blanche a submergé les ports d’Anvers, Rotterdam et Hambourg qui constituent actuellement les principales portes d’entrée de la cocaïne en Europe, prenant ainsi le relais des ports espagnols et italiens qui étaient les destinations habituelles des narco-trafiquants dans la période 1990-2000.
D’après Chloé Carpentier, chef de la section de recherche sur les drogues à l’ONUDC, l’essor du trafic de cocaïne en Europe ces derniers temps a été facilité par la présence des réseaux de trafiquants de l’Europe de l’Ouest à la source de la production de cocaïne en Colombie et en Bolivie. Elle souligne que ces «groupes criminels européens ont éliminé les intermédiaires, donc la drogue est devenue plus accessible en Europe, moins chère et de meilleure qualité». L’Europe qui compte plus de 4,5 millions de consommateurs de cocaïne est devenue un terrain de bataille entre bandes criminelles rivales pour accaparer des parts de ce marché très lucratif. Sur les docks des principaux ports européens, les gangs se livrent une guerre sans merci où fusillades et règlements de comptes sont légion. Car le trafic de cocaïne a permis à des gangs de rue de bâtir en quelques années des empires criminels colossaux. Et au centre de ce trafic en Europe, la Mocro Maffia constituée de fils d’immigrés marocains installés aux Pays-Bas s’est rapidement démarquée comme la plus puissante et la plus redoutée des bandes criminelles à cause de l’extrême violence et intransigeance de ses membres.
Son patron, Ridouan Taghi, avait choisi de pactiser avec d’autres barons de la drogue, l’Irlandais Daniel Kinahan, chef de l’Irish Connection, le Bosnien Edin Gacanin et l’italien de la Camorra Raffaele Imperiale afin de créer le Super cartel de Dubaï, d’où ils dirigent leur trafic pour fuir les services de police européens. Mais il a depuis été arrêté par la police émiratie puis extradé vers les Pays-Bas pour être jugé pour ses actes.

L’Afrique : nouveau carrefour du trafic de cocaïne
Entre les pays de provenance des cargaisons de cocaïne et les ports européens, l’Afrique se trouve au cœur des nouveaux circuits du trafic de cocaïne ces dernières années. Selon Chloé Carpentier, «le trafic mondial de cocaïne connaît une diversification des routes et aussi de nouvelles zones de transit à travers le continent africain». Comme les contrôles ont été renforcés au large de l’Europe, les cargaisons de cocaïne transportées à bord de porte-conteneurs ou dans des navires non commerciaux passent désormais par le golfe de Guinée avant d’arriver sur
les côtes européennes. Car, forcément, un bateau en provenance de Guinée ou de Côte d’Ivoire fera l’objet d’un contrôle moins strict qu’un navire qui vient directement du Brésil. Même si les saisies ne sont pas très importantes par rapport à celles effectuées en Europe (moins de 10 tonnes par an), les services de renseignement américains et européens soupçonnent qu’il en passe beaucoup plus. Et les réseaux de trafiquants européens s’appuient sur des organisations criminelles locales qui vendent leurs services tout au long de la chaîne du trafic et qui se spécialisent dans le reconditionnement des cargaisons de drogue ou dans le transport maritime ou terrestre. Le but étant de collaborer entre réseaux criminels pour brouiller les pistes et générer d’immenses profits. L’Afrique du Nord constitue également, d’après les experts de l’ONUDC, une zone de transit majeure du trafic de cocaïne. Par voie routière ou maritime, les cargaisons de drogue transitent par cette région reliée à l’Europe à travers des flux commerciaux très importants.
La Mocro Maffia dispose de nombreux relais au Maroc à travers des liens très étroits établis avec des habitants de la région du Rif, dont sont pour la plupart originaires les immigrés marocains installés aux Pays-Bas.
Mais ce qui inquiète davantage les experts de l’ONUDC, c’est que l’Afrique n’est plus uniquement qu’une zone de transit. Par effet d’entraînement, le trafic passant par l’Afrique a créé en parallèle un marché local de consommation. En effet, les organisations criminelles locales chargées de reconditionner la cocaïne en provenance d’Amérique du Sud avant de l’expédier vers l’Europe sont souvent payées en marchandise. Ainsi, cette drogue est revendue au marché local qui se développe au fur et à mesure et engendre un nombre considérable de nouveaux consommateurs. Mais la crainte principale exprimée par des responsables des services de sécurité marocains, c’est de voir le port de Tanger Med prendre le relais des ports d’Anvers et de Rotterdam en raison de sa position centrale et stratégique et du risque d’expansion de la Mocro Maffia sur le territoire marocain.

Vulnérabilités des ports vis-à-vis du trafic de cocaïne

A voir les scanners de marchandises et les différents dispositifs de contrôle dans les grands ports, on pourrait penser qu’il serait facile pour les services de douane de détecter des conteneurs chargés de cocaïne. Pour Laurent Laniel, analyste à l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT), la tâche est pourtant bien plus difficile. Il précise que «chaque jour, il entre un nombre faramineux de conteneurs dans le port d’Anvers. Une proportion infime d’entre eux est scannée, pour des impératifs de rapidité et de concurrence.» Les réseaux de trafic de drogue sont conscients des limites des services de douane et de sécurité. Ces limitations de contrôle sont imposées par des contraintes commerciales et économiques. Ce qui implique qu’une grande quantité de drogue arrive à passer entre les mailles des filets. Les douanes belges le reconnaissent : 80 à 90 % de la drogue arrivant d’Amérique du Sud échappe à leur contrôle. Les services de sécurité américains, quant à eux, déclarent ne pouvoir contrôler que 7% des conteneurs qui arrivent dans leurs ports. Quand ce ne sont pas des contraintes commerciales qui facilitent le trafic, les organisations criminelles sollicitent la collaboration des complices grassement rémunérés parmi le personnel du port pour fermer les yeux sur leurs opérations illicites.

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