De Guantanamo Bay à la prison de Gweran. De la permanence d’une zone de non droit.
Décryptage d’une ténébreuse affaire.
Les États Unis ont transposé au Nord est de la Syrie le schéma de Guantanamo Bay confiant la sous traitance des prisonniers de Daech à leurs supplétifs kurdes, sans le moindre contrôle de leur part dans ces centres de détention, en dépit des graves abus qui s’y produisent et la corruption des gardiens kurdes.
L’exfiltration vers la Turquie des prisonniers de Daech lors du siège de Baghouz, en Mars 2019, a été le fruit d’une transaction financière avec les autorités kurdes de la zone autonome du Nord-Est de la Syrie.
270 membres de Daech ont réussi non seulement à s’enfuir de la prison, mais aussi à atteindre des «zones sécurisées», souvent munis avec des «ordres de mission» frappés du sceau de l’administration autonome kurde.
Le réseau de communications mis en place à l’intérieur de la prison de Gweran en vue de relier les prisonniers de Daech au monde extérieur, y compris les communications cellulaires, a été mis en place avec la connivence tacite des forces kurdes.
Les autorités Kurdes de facto de la zone autonome utilisent l’affaire des prisons comme leur carte maîtresse contre la Turquie et les États-Unis, pour dissuader Ankara, d’une part, de se livrer à une opération militaire contre la zone kurde, et contre les États-Unis, d’autre part, pour dissuader Washington de toute velléité de retrait du Nord-Est de la Syrie.
Retour sur cette ténébreuse affaire, sur la foi des informations contenues dans un rapport d’enquête d’une ONG transmis aux instances internationales, dont l’auteur de ce texte en a pris connaissance.
Le groupe État islamique DAECH a lancé le 20 janvier 2022 l’assaut de la plus importante prison de djihadistes du nord-Syrie, libérant des centaines de ses anciens combattants au nez et à la barbe des forces kurdes soutenues par leurs alliés américains.
Hassaké, localité sous contrôle kurde au nord-est du pays, a été le théâtre pendant quatre jours de très violents combats entre les Forces Démocratiques Syriennes et des combattants de Daech, à la suite de l’assaut lancé par les islamistes contre la gigantesque prison de Gweran, le plus grand camp de détention d’anciens djihadistes et de leurs familles en Syrie. 185 morts ont été dénombrés de part et d’autre. En soutien aux forces kurdes, la coalition menée par les États-Unis a déployé des hélicoptères de combat qui ont bombardé les poches de mutinerie et de résistance. La menace a été « contenue » mais des centaines de prisonniers ont bel et bien réussi à s’évader.
Selon la version américaine, des cellules dormantes avaient été installées parmi les gardiens de la prison, lesquelles ont lancé l’assaut, en même temps que des explosions de voitures piégées, armant les prisonniers de l’intérieur et déclenchant donc quatre jours de combats acharnés.
1- Le MIT turc derrière l’insurrection des prisonniers Daech
L’assaut spectaculaire de Daech contre une prison de Hassaké, dans le Nord-est de la Syrie, tenue par les supplétifs kurdes des Américains, a constitué une opération d’enfumage médiatique par excellence répondant à un double objectif:
-Permettre à la Turquie de conquérir de nouvelles portions de territoire syrien.
-Justifier le maintien de la présence militaire américaine dans cette zone pétrolifère de la Syrie, quand bien même elle ne reposait sur aucun fondement légal ou juridique, arguant de la porosité du secteur
Telle est du moins l’impression qui se dégage de la déclaration de M. Noury Mahmoud, porte-parole des YPG (Unités de protection du Peuple Kurde) dès la fin de l’insurrection des prisonniers Daech. M. Noury Mahmoud a en effet accusé la Turquie d’avoir fomenté cette insurrection en vue de s’emparer de Hassaké et des autres villes kurdes du secteur par l’entremise des prisonniers membres de Daech, libérés lors de l’assaut de la prison.
Le MIT, les services secrets turcs, aurait alloué la somme de 15 millions de dollars pour la réalisation de cette opération», a-t-il précisé, affirmant qu’en réactivant Daech, la Turquie visait en fait à relancer la menace terroriste à l’intention de l’opinion occidentale toujours sensible sur ce sujet et à justifier ainsi le maintien de la présence militaire américaine dans cette zone, en dépit de l’illégalité de cette présence dans le Nord-Est de la Syrie.
Sur fond d’une épreuve de force entre les États Unis et la Russie, à l’arrière-plan d’une guerre psychologique entre les divers protagonistes du conflit, la situation dramatique de la population est ainsi occultée, quand bien même elle est pire que celle dans laquelle vivaient les prisonniers de Guantanamo.
Les médias se sont bornés à répercuter les communiqués provenant des divers organisations syriennes; Les Nations Unies ont déploré le drame que vivaient des dizaines de milliers personnes déplacées du fait des hostilités, l’UNICEF a fait part, elle, de son inquiétude sur le sort de 700 enfants incarcérés dans les étages supérieurs de la prison.
2- Un drame qui touche 60.000 personnes…en voie de banalisation.
Pourtant, ce drame concernait 60.000 personnes (hommes, femmes, enfants), entassées dans des camps répartis dans 20 prisons, dans des conditions inhumaines, otages d’un conflit, traités par les uns comme des pestiférés; utilisés, par d’autres, comme une carte dans un jeu de négociations. A la longue cette situation anormale s’est banalisée au point de devenir normale, cette situation anormale s’est «normalisée». Autrement dit, elle est devenue banale.
Les militaires prennent le pas sur les politiques et les instances représentatives. Mutatis Mutandis, l’acclimatation à cet état de fait a provoqué une acclimatation similaire de la situation de dizaines de milliers de personnes détenues, elles, dans les prisons syriennes, à savoir la normalisation voire la banalisation de leur condition de détenus; De même qu’une banalisation corrélative de la situation de plusieurs milliers de personnes incarcérés dans les 11 prisons construites par les services de sécurité de Jabhat An Nosra, la franchise syrienne d’Al Qaïda, dans la zone sous son contrôle. La présence d’un si grand nombre de prisonniers signifiait, implicitement, qu’un règlement politique ne saurait intervenir que par des négociations entre combattants corrompus aux mains souillées de sang.
Au Niveau Kurde: Les instances mises en place par les Kurdes pour administrer la région autonome, à l’est de l’Euphrate, sont ainsi passées de fait sous l’emprise directe des chefs militaires, y compris les champs pétrolifères et les zones agricoles. Par voie de conséquence, la majorité de la population arabe située à l’Est de l’Euphrate se trouve ainsi de facto sous l’autorité des militaires kurdes, sans le moindre contact avec une administration civile. Des militaires qui ne leur concèdent aucune reconnaissance de leur spécificité, les criminalisant en les accusant d’appartenance à Daech», dès lors qu’elles exprimaient la moindre revendication.
3- Les États-Unis et la mise en œuvre du système de la rendition dans le Nord Est de la Syrie.
Les États-Unis ont transposé au Nord Est de la Syrie le système de la rendition en confiant à leurs supplétifs kurdes la sous traitance de leurs prisonniers encombrants. Le terme rendition, qui signifie «restitution», désigne en fait l’action de transférer un prisonnier d’un pays à un autre hors du cadre judiciaire, notamment hors des procédures normales d’extradition.
Ce terme a été médiatisé dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », notamment à propos d’opérations de la CIA de transport clandestin de prisonniers, parfois précédé d’un enlèvement. Ces transferts sont régulièrement associés à une sorte «d’externalisation» de la torture, les États-Unis faisant torturer des prisonniers dans des pays alliés tout en l’interdisant sur leur territoire. Les personnes concernées sont parfois détenues dans des prisons secrètes de la CIA hors du territoire des États-Unis (aussi appelées «black sites».
Dans le Monde arabe, l’Égypte, sous la présidence d’Hosni Moubarak, le Maroc, sous le règne de Hassan II et la Jordanie, sous le règne du Roi Hussein ont pratiqué la rendition pour le compte des États Unis à la fin du XXe siècle.
Au XXIe siècle, les États-Unis ont réédité ce schéma avec leurs alliés Kurdes dans le Nord de la Syrie. Pour des raisons multiples tenant tant à la situation du Moyen Orient que pour des raisons de politique intérieure américaine, les États Unis souhaitent demeurer en Syrie, alors que leur présence ne repose sur aucun fondement juridique, mais en appliquant toutefois la stratégie de «zéro mort».
A- Une transaction commerciale sous-tendant un objectif militaire: Le pétrole syrien source financement des geôliers kurdes dans le Nord Est de la Syrie.
Dans cette optique, les États-Unis ont eu recours à la rendition dans le Nord de la Syrie, confiant le traitement des prisonniers encombrants à leurs supplétifs Kurdes, mandatant pour cette besogne les «Forces Démocratiques de Syrie», en fait l’appareil sécuritaire et les YPG (Unités de protection du Peuple Kurde) et qui se trouvent sous son contrôle.
En contrepartie, en guise de rétribution de cette prestation, les États-Unis assurent aux Kurdes leur emprise sur les ressources énergétiques de Syrie (pétrole et gaz) dont ils en tirent bénéfice par les revenus financiers qu’ils génèrent pour financer leur fonctionnement et réduire d’autant les dépenses américaines dans ce secteur.
Une transaction commerciale sous-tendant un objectif militaire. De ce fait, les Kurdes assument la responsabilité des événements qui se produisent dans la zone de leur déploiement, les camps de regroupement de la population et les prisons. Le FBI, parallèlement, prête, en cas de besoin, main forte aux sous traitants kurdes des Américains.
B- Vetted Syrian Opposition (Opposition Syrienne Agréée) ou le processus de respectabilisation des alliés de l’Amérique en Syrie, les groupements terroristes et les supplétifs kurdes.
Jamais en manque d’imagination dès lors qu’il s’agit de servir leurs desseins, les États-Unis ont instauré une sorte de label AOC (appellation d’origine contrôlée), pour conférer une respectabilité aux groupements terroristes islamistes qu’ils entendaient instrumentaliser.
Ainsi Jabhat An Nosra, la franchise syrienne d’Al Qaïda, a bénéficié du label «VSO» -Vetted Syrian Opposition-/pour Opposition Syrienne Agréée- afin de bénéficier du droit de participer à la coalition de l’opposition off shore pétro monarchique.
En superposition, les États-Unis se sont appliqués à conférer une «respectabilité» à leurs sous traitants kurdes par le biais de l’ouverture dans la capitale de la zone kurde de missions de représentations des pays membres de la «Coalition Internationale de Lutte contre Daech», favorisant en outre des visites de terrain d’une dizaine de consuls au prétexte de s’informer du sort de leurs ressortissants détenus dans les prisons kurdes, ou encore la réception par les autorités kurdes de personnalités occidentales.
4-Le passage à l’acte: La cible, une prison de 3.600 prisonniers de Daech et de 700 enfants mineurs.
Le passage à l’acte est intervenu à l’arrière-plan de ce spectaculaire déploiement de mensonges offert à l’opinion internationale pour l’abuser. Deux volontaires de Daech, Abou Abdel Rahman et Abou Farouk de la brigade des Mouhajirine (groupe armé salafiste djihadiste composé de musulmans de la diaspora et très actif de 2013 à 2015 lors de la guerre civile syrienne) se sont livrés à une opération suicide menée à l’aide de deux véhicules piégés, percutant les murs de la prison de Gweran. Cette prison est, en fait, l’ancien collège industriel de la ville Hassaké, transformé en centre de détention. Il abritait 3.600 membres de Daech et 700 enfants mineurs.
Cet assaut a remis la Syrie au premier plan de l’actualité avec son cortège habituel de spécialistes du phénomène terroriste et leurs spéculations sur les dégâts collatéraux, notamment des déchets humains, de la guerre contre le terrorisme. Si les États-Unis ne s’étaient pas livrés, dans la foulée, à une opération commando pour éliminer Abdallah Quraysh, le successeur du chef de Daech, Abou Bakr Al Baghdadi, la Syrie aurait été à nouveau gommée de l’actualité. Le sort tragique des prisons et des camps de confinement des familles des détenus aurait été aussi occulté de la même façon.
5- Le précédent de la prison irakienne d’Abou Ghraib.
Deux mille prisonniers, membres de Daech, avaient réussi à s’évader des prisons d’Abou Ghraib et d’Al Taji, en 2013. Mais les responsables kurdes de la prison de Gweran ont déclaré ne pas être au courant de cette évasion collective.
NDLR= «Baghdad Central Detention Center», plus connu sous le nom de la prison d’Abou Ghraib est un pénitentiaire irakien, situé dans la ville d’Abou Ghraib, à 32 km à l’ouest du centre de Bagdad. Il a été utilisé par les Américains comme centre de tortures des détenus irakiens. Le scandale d’Abou Ghraib qui a éclaté à la suite de la diffusion en 2004 de photos des tortures infligés par l’armée américaine aux prisonniers irakiens entraîne le transfert de la prison aux autorités irakiennes en 2006.
Une évasion de masse de prisonniers a eu lieu en 2013 et la prison est fermée par le gouvernement iraqkien en 2014.
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