Erdogan réélu, triomphe de l’islamo-nationalisme en Turquie.

 

Erdogan réélu, triomphe de l’islamo-nationalisme en Turquie.

Selon les résultats portant sur plus de 99,7 % des bulletins, publiés par l’agence officielle Anadolu, le chef d’État turc a obtenu 52,1 % des suffrages contre 47,9 % pour son rival social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu.
Murad Sezer Agence France-Presse Selon les résultats portant sur plus de 99,7 % des bulletins, publiés par l’agence officielle Anadolu, le chef d’État turc a obtenu 52,1 % des suffrages contre 47,9 % pour son rival social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu.

« Il est temps de mettre de côté les disputes de la campagne électorale et de parvenir à l’unité et à la solidarité autour des rêves de notre nation », a lancé l’indéboulonnable « Reis » (chef), 69 ans, à la foule massée devant le palais présidentiel à Ankara.

Autour de 23 h heure locale, l’agence officielle Anadolu lui donnait 52,1 % des suffrages, contre 47,9 % pour son rival social-démocrate, Kemal Kiliçdaroglu. La commission électorale a ensuite confirmé sa victoire. Il aura donc droit à un autre mandat de cinq ans, au terme de cette élection qui l’a contraint pour la première fois à un second tour.

Sami Aoun, professeur émérite à l’Université de Sherbrooke et directeur de l’Observatoire du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à la Chaire Raoul Dandurand, n’est pas surpris des résultats : « Erdoğan a su détourner le débat public en faveur de son discours islamo-nationaliste. Il a aussi misé sur le fait que la Turquie devient une force géopolitique importante sous sa gouverne, entre son rôle dans l’OTAN et ses affinités avec la Russie. »

Le président russe, Vladimir Poutine, a d’ailleurs félicité son homologue turc. « Votre victoire à cette élection est le résultat logique de votre travail dévoué à la tête de la République turque, preuve évidente du soutien du peuple turc à vos efforts pour renforcer la souveraineté de l’État et mener une politique étrangère indépendante », a-t-il indiqué, selon le site Web du Kremlin.

Le président américain, Joe Biden, et le premier ministre britannique, Rishi Sunak, ont plutôt rappelé, dimanche, que leurs pays étaient alliés au sein de l’OTAN, tout en félicitant le dirigeant turc. Justin Trudeau a quant à lui déclaré qu’il avait hâte de « renforcer davantage » les liens entre le Canada et la Turquie. De plus, le président français, Emmanuel Macron, a souligné qu’Erdoğan et lui avaient de nombreux défis à relever ensemble, dont rétablir « la paix en Europe ».

 

Emprise autoritaire sur le pouvoir

Dans son discours, dimanche, M. Erdoğan a qualifié sa réélection de victoire pour la démocratie. Or, à l’image de Vladimir Poutine, le président turc a multiplié les tentatives autoritaires de faire taire ses opposants depuis 20 ans.

Rappelons qu’il a fait emprisonner son opposant kurde, Selahattin Demirtaş, ainsi que plusieurs autres voix critiques, surtout depuis une tentative de coup d’État contre lui en 2016. La liberté de presse est également limitée en Turquie, où des lois brident le droit de parole sur les réseaux sociaux. « À l’instar de Viktor Orbán, en Hongrie, il se maintient au pouvoir par le populisme et la démagogie », selon M. Aoun.

Ainsi, ni le désir de changement d’une partie de l’électorat, ni les restrictions aux libertés, ni l’hyperprésidentialisation du pouvoir n’ont pesé, face au désir de sécurité et de stabilité des Turcs.

Le président affrontait pourtant son opposition la plus féroce à ce jour. Mais Kemal Kiliçdaroglu, le chef de l’Alliance de la nation, un regroupement de six partis d’opposition, n’a pas été en mesure de tirer avantage de l’inflation record qui mine le pays et des conséquences des séismes qui ont fait 50 000 morts et 3 millions de déplacés depuis février dernier.

M. Kiliçdaroglu a exprimé dimanche soir sa « tristesse » pour l’avenir de la Turquie. « Nous avons vécu l’un des processus électoraux les plus injustes de ces dernières années », a-t-il dit, ajoutant que de « nombreuses difficultés attendent le pays ».

Virage à droite raté pour Kiliçdaroglu

Pendant les deux semaines qui séparaient les deux tours de l’élection, M. Kiliçdaroglu a tenté le pari risqué de séduire davantage d’électeurs de droite. Il avait notamment promis d’expulser les réfugiés syriens vivant en Turquie, et ce, « dans la prochaine année ». Cette déclaration, faite lors d’une conférence de presse commune avec le politicien d’extrême droite Ümit Özdag, du parti anti-immigration dit « de la Victoire », marquait un changement de ton par rapport à ses propos plus rassembleurs au début de la campagne.

« Erdoğan a contraint son opposant à se tourner vers la droite, alors qu’il est laïque, républicain et socialiste », explique M. Aoun. Les électeurs ont donc perçu des contradictions dans le discours de M. Kiliçdaroglu, ce qui a avantagé le président sortant.

Selon le professeur, l’électorat turc devient « de plus en plus nationaliste et conservateur ». Erdoğan a misé, dit-il sur leur « désenchantement de l’Occident, rappelant le passé impérialiste de l’Europe qui a vaincu et démembré l’Empire ottoman ».

C’est aussi pourquoi le président sortant a davantage mobilisé les diasporas turcophones à l’étranger et les électeurs musulmans sunnites. Les communautés marginalisées, dont les personnes LGBTQ+, en revanche, appréhendaient sa réélection. M. Erdoğan les a maintes fois insultées et instrumentalisées pour attaquer l’opposition et l’accuser de vouloir détruire les valeurs familiales.

Plusieurs dossiers pressants attendent le chef d'État, notamment sur la scène internationale, où la Turquie joue un rôle de plus en plus influent. Les alliés de l’OTAN attendent entre autres que la Turquie lève son veto à l’entrée de la Suède dans l’Alliance atlantique, bloquée depuis mai 2022. Sans compter, bien sûr, les nombreux défis auxquels le président fait face dans son propre pays, qui se relève encore des séismes de février.

Dimanche soir, un peu après minuit, il a conclu son discours en récitant un poème d’un poète nationaliste turc, Arif Nihat Asya, qui s’apparente à une prière. Il a suscité un « Amen » de la part des dizaines de milliers de personnes rassemblées à l’extérieur du palais présidentiel.

Source : AvecAgence France-Presse

 

 

À voir en vidéo

Commentaires