En France, le grand basculement n’a pas eu lieu.]
La barricade érigée en catastrophe pour faire obstacle au Rassemblement national (RN) a tenu. Et cette fois-ci de façon stupéfiante, par un revirement inédit dans l’entre-deux-tours. Pas de majorité relative pour l’extrême droite à l’Assemblée nationale, encore moins cette majorité absolue de 289 députés qu’on lui faisait miroiter à l’orée du second tour des législatives tenu dimanche. Si le RN, finalement arrivé troisième, a presque doublé le nombre de ses députés par rapport aux législatives de 2022, ce qui en fait objectivement un parti qui continue d’ancrer sa présence dans l’espace public et politique, il reste qu’une majorité d’électeurs, toutes tendances confondues à gauche et au centre, ont mis de côté leurs clivages et se sont mobilisés pour « faire barrage ». Le taux de participation (67 %) en fait foi. Signe que, malgré tout ce qui a été dit et redit sur la normalisation et l’acceptabilité sociale du RN, son principe xénophobe continue de heurter catégoriquement. Le grand basculement n’a pas eu lieu. Et la percée retentissante du RN aux élections européennes du mois dernier ne s’est pas transposée à l’échelle nationale.
La fin du macronisme ? Pas celle, foudroyante, que plusieurs annonçaient. Renaissance/Ensemble, le camp présidentiel, perd bien la majorité relative dont il disposait dans l’assemblée sortante et, donc, continue de s’effriter et de flancher. Mais il est, miraculeusement diront certains, arrivé deuxième (168 députés), derrière la gauche arrivée première contre toute attente, réunie autour du Nouveau Front populaire (NFP, 182 députés), une coalition rassemblée précipitamment autour du Parti socialiste (PS) et de La France insoumise (LFI) du tonitruant Jean-Luc Mélenchon, qui n’a d’ailleurs pas perdu de temps pour réclamer que le NFP forme le prochain gouvernement. Si M. Macron peut pousser un soupir de soulagement à la lumière de ce résultat, il reste qu’il a joué avec le feu. Dans quel état serait son camp sans la consigne de désistement donnée par le NFP à ses candidats arrivés troisièmes au premier tour ?
Macron ne sort pas grandi de l’exercice. Les Français sont sûrement de moins en moins dupes de cette tactique usée qui consiste à brandir l’épouvantail de l’extrême droite pour faire oublier tous les ratés de sa présidence. À exercer le pouvoir verticalement, de façon complètement déconnectée du quotidien des Français, il a nourri le RN. Avec Marine Le Pen, Jordan Bardella, qui se voyait premier ministre, a habilement surfé sur les tensions sociales et les frustrations liées à l’érosion du pouvoir d’achat. Ils ne s’arrêteront pas en si bon chemin. « La marée monte, a déclaré dimanche Mme Le Pen, trois fois candidate à la présidence, mais elle n’est pas montée assez haut cette fois-ci. » La victoire, a-t-elle dit, « n’est que différée ». Comprendre : le RN se tourne vers la présidentielle de 2027. Ne disparaîtra pas, derrière l’entreprise de dédiabolisation du parti, l’obsession que l’immigration est la mère de tous les maux.
Le fait est que la « clarification » souhaitée par M. Macron en déclenchant ces élections précipitées donne lieu à une division en trois blocs plus ou moins égaux de députés à l’Assemblée nationale. Aussi, c’est sur l’autre « extrémisme » qu’il aime honnir, celui de gauche, que M. Macron devra s’appuyer, à son corps défendant, s’il décide de former une coalition gouvernementale majoritaire. En l’état, le scrutin de dimanche annonce d’emblée un gouvernement d’intendance, pétri de conflits et de blocages partisans, d’ici à la prochaine présidentielle, comme il n’est pas dans la culture politique française de gouverner par coalition. Le résultat de ce scrutin indique pourtant que les Français attendent autrement mieux du « front républicain » : une gauche moins vite déchirée, entre un PS qui a repris des forces et une LFI qui aurait intérêt à s’adoucir, et puis, surtout, ils espèrent un Macron qui, quittant sa posture d’européiste élitiste et prenant la mesure de la menace illibérale à laquelle il vient d’exposer le pays, fera l’effort de réunir une coalition fonctionnelle centrée avec patience sur le souci d’apaiser le climat social et sur des dossiers concrets et fondamentaux, comme la justice environnementale et l’accès au logement et aux soins de santé.
Les Français, par coïncidence parlante, votaient en même temps que les Britanniques. Résultat : les premiers ont fait échec au RN et les seconds ont donné une victoire historique au Labour contre les conservateurs, pères du Brexit, qui exerçaient le pouvoir depuis 14 ans, de façon de plus en plus insensée. Des deux côtés de la Manche, on voit une recomposition porteuse du paysage politique par la porte de gauche.
En juin 2016, dans la foulée du faible Oui au Brexit, approuvé à l’issue d’une campagne référendaire polluée par le ressentiment antimigrant, Marine Le Pen avait salué le vote comme un « signal de liberté » et de « libération des peuples » face à l’Union européenne. Aujourd’hui, disent les sondages, de 60 à 70 % des Britanniques affirment regretter leur choix. Le populisme étant par essence réducteur, Mme Le Pen a eu tout faux
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