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La seconde main est-elle vraiment un modèle vertueux ?


La seconde main est-elle vraiment un modèle vertueux ?

Mode 

Véritable tendance de fond, la revente de vêtements d'occasion se démocratise depuis la pandémie de Covid, et s'affirme comme un modèle plus vertueux sur un marché de la mode tricolore compliqué par une déconsommation générationnelle et de nombreuses défaillances d'enseignes. Entre les enjeux de rentabilité pour les marques, les incertitudes quant à la surconsommation et les attentes des consommateurs en matière de durabilité, la seconde main serait-elle l'avenir de la mode? C'est l'un des thèmes phares abordés lors cette nouvelle édition du Kantar Fashion Morning, qui s'est tenue ce mardi 19 mars à la Maison de la Lingerie à Clichy (Hauts-de-Seine). 

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"On voit que la seconde main représente 5% des transactions sur le marché de la mode en France, soit 52 millions actes d’achat en 2023", note Carine Dubois, global key account manager chez Kantar Worldpanel. "Cela peut paraître peu, mais on voit que les cibles les moins appétentes le deviennent de plus en plus: la seconde main se démocratise même chez les septuagénaires." Aujourd'hui 16% des Français consomment à la fois sur le marché du neuf et de l'occasion. Ce sont le plus souvent des familles avec bébé (21%), des classes sociales économiques modestes (26%), des jeunes ou encore des trendy (personnes suivant les tendances).

Certains articles de mode, comme les vêtements de ski et de bébés sont les plus plébiscités. Côté prêt-à-porter, les jupes, les robes, les vestes et manteaux et côté accessoires les sacs à main sont très populaires et souvent achetés. Derrière l'étiquette, ce sont en grande majorité des produits de mass market. Kiabi, Zara et Decathlon se positionnent ainsi parmi les marques les plus consommées en seconde main, devant H&M, Okaïdi, Nike ou encore Orchestra. 


Face aux enjeux de déconsommation, se pose la question de savoir si la seconde main cannibalise le marché du neuf. Si la seconde main a progressé de 14% (soit une augmentation de 13 millions d'articles) de 2022 à 2023, elle ne compense pas le recul du marché du neuf (en diminution de 52 millions d'articles). Mais l’habitué de la seconde main achète plus d'articles d'occasion (+6%, soit un article de plus par rapport à 2022) et réduit ses achats de neuf (-4%, soit deux articles de moins).

L'occasion face aux inquiétudes de surconsommation


La seconde main conduirait-elle à la surconsommation? Pour un quart de la population, l'argument principal de recourir à la mode d'occasion est "pour acheter beaucoup d’articles à moindre prix" (23% des répondants). Le gros consommateur de seconde main (soit plus de 9 articles achetés dans l’année) ne "déconsomme" pas, mais consomme 3 articles de plus en 2023 qu’en 2022. Si l'on décompose son panier d’achat, il augmente les achats pour autrui mais restreint ses achats en neuf pour lui-même.

"Trois millions de Français sont de gros acheteurs de seconde main, ils font 25% de leurs achats mode en seconde main", ajoute Carine Dubois, global key account manager chez Kantar Worldpanel. "En moyenne sur 109 articles textiles achetés dans l'année, il y a 27 articles de seconde main, 82 articles neufs dont seulement 30 articles neufs pour soi." 

Vinted reste le site champion en fréquence d’achat avec 4,6 actes d’achat dans la minute et peut se targuer d'être utilisé par 13% des Français (une croissance de 7% par rapport à 2022). "Si le lituanien Vinted continue de recruter, il montre des premiers signaux d’essoufflement, nuance Carine Dubois. Il n’apporte plus de volume additionnel sur le marché, il perd des volumes face à des enseignes à bas prix comme Primark, Action ou Noz, par ailleurs sa confiance et son image se sont dégradées notamment car les coûts de livraison sont parfois plus élevés que le coût de l'article, ce qui dissuade d'acheter." 

Cette désaffection pour les appli de revente serait-elle le revers d’une offre mass market et de la baisse du pouvoir d’achat dans un contexte inflationniste ? 

Début janvier, l'acteur spécialiste des solutions logistiques de seconde main pour les enseignes de mode Rediv (ex-Patatam) a d'ailleurs été placé en liquidation judiciaire. ​Par ailleurs, le développement de la revente se heurte à plusieurs freins comme les faibles bénéfices, les taxes supplémentaires et les commissions demandées par les plateformes comme Vinted. "Nous sommes peut-être à un tournant de la seconde main", abonde Carine Dubois de Kantar Worldpanel.

Toutefois, certaines marques de luxe accessible semblent avoir trouvé un modèle rentable à l'image de la griffe Ba&sh qui étend son service de seconde main à l'Europe, ou encore le groupe tricolore SMCP avec les labels Sandro, puis Maje et plus récemment Claudie Pierlot qui se sont lancés sur le créneau de la mode circulaire.

"C’est intéressant de voir l'impact environnemental de la seconde main car on ne fabrique pas plus de produits mais, paradoxalement, elle peut inciter à la surconsommation", souligne Yohann Petiot, le directeur général de l’Alliance du commerce. "Vinted est le seul modèle qui marche actuellement car elle mise sur les bas prix et n’assume pas les coûts cachés qui retombent sur le consommateur. A l’autre bout du spectre, il y a Ba&sh, SMCP et Petit 2Bateau qui l'ont internalisé et cela semble fonctionner même si l'input donné au client (ndlr, le bon d’achat pour acheter du neuf) incite à consommer plus."

La mode durable, une préoccupation encore "secondaire"



Quid des attentes des Français en matière de développement durable? "La première édition de l’étude Who Cares Who Does focalisée sur le marché du textile souligne que seuls 27% des Français sont concernés par l'impact de la mode sur l'environnement, ils sont plus concernés par les emballages, les déchets, le gaspillage ou encore la production pétrolière", détaille Alice Rebière, consultante marketing senior chez Kantar.

"La mode écoresponsable reste secondaire, le shopper reste très pragmatique il privilégie le confort et le prix dans ses achats mode d’autant plus que la situation économique actuelle freine le consommateur dans le choix d’une consommation plus durable: 55% des Français disent qu'ils ne sont pas en mesure de consommer durablement."


Les éco-engagés et les éco-sensibles ont un gros potentiel sur le marché de la mode tricolore - Kantar Fashion Morning mars 2024


Dans la population tricolore, quatre grands groupes ressortent de cette étude: les personnes les plus engagées sont les éco-engagés qui ont un profil plutôt familial ou étudiants (19% de la population soit 20% des dépenses sur le marché de la mode) sont de gros consommateurs de mode; les éco-sensibles (16% des Français) sont un peu moins engagés au quotidien à cause de contraintes budgétaires fortes; les éco-hésitants (38% de la population) ont rarement des initiatives durables, ce sont le plus souvent des seniors et des ruraux; enfin les éco-sceptiques (27% des acheteurs) n’accordent pas d’importance à leur impact sur l’environnement, ce sont des personnes vivant en région parisienne plutôt trendy et qui renouvellent beaucoup leur garde-robe.

"Les éco-engagés et les éco-sensibles dépensent environ 800 à 900 euros sur le marché de la mode en un an, ces types d'acheteurs ont donc un gros potentiel sur le marché, ajoute Alice Rebière. Aujourd'hui, l’écoresponsabilité passe avant tout par l’offre produits: les consommateurs cherchent une meilleure qualité, du Made in France, un emballage respectueux de l’environnement ou encore des produits fabriqués en matières naturelles." ​

60% des Français estiment que les enseignes et les marques devraient s’efforcer de rendre tous leurs produits plus durables. Ces attentes sur les produits sont axées surtout sur le jean, les chaussures de ville, les vêtements d'extérieur, les baskets et les sneakers (des produits durables dans le temps). Au-delà du prix, qui est le premier frein à la mise en œuvre d'achats écoresponsables, c'est le besoin de clarté et de réassurance des marques sur leurs actions durables qu'attend le consommateur.

Le travail sur la qualité des produits et une communication sur les engagements RSE de la part des griffes de mode se révèle ainsi être déterminant pour les acheteurs. "Donner de la valeur au produit et le rendre désirable pour que le client puisse comprendre ce qu’on lui propose est aussi fondamental que comprendre l’impact environnemental et social de la mode pour générer une croissance vertueuse", explique Frédéric Valette, directeur département fashion & retail insights chez Kantar Worldpanel.



#Prêt-à-porter 
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