Zéro Mika, zéro succès : l’épopée d’une loi en plastique.

Zéro Mika, zéro succès : L’épopée d’une loi en plastique.


Publié le mardi 10 septembre 2024 

Au Maroc, on reste fidèle à sa tradition d’initiatives législatives tonitruantes et de révolutions en papier mâché. 

Ce coup-ci, on nous gratifie une fois de plus d’un spectacle législatif hors du commun. 

L’héroïne de cette saga ? 

La loi 77-15, plus connue sous son nom de scène « Zéro Mika ».

Cette législation ambitieuse, entrée en vigueur il y a huit ans, visait à débarrasser le Royaume des sacs en plastique, ces intrus visuels et écologiques devenus les symboles de l’ère moderne de la surconsommation.

Le décor était planté : une volonté politique forte, des campagnes de sensibilisation audacieuses, et un slogan séduisant. 

Tout semblait prêt pour un happy end écologique. Et pourtant… Le rêve du « Zéro Mika » n’était qu’un mirage, une utopie sans lendemain. La matière plastique est toujours là, et le restera probablement encore longtemps.


Quand la loi devient invisible.

Dès les premiers mois, il fallait bien le reconnaître, la loi « Zéro Mika » faisait parler d’elle. Les commerces se débarrassaient (ou plutôt cachaient maladroitement) les sachets en plastique sous les regards inquisiteurs des inspecteurs et l’euphorie semblait totale.

C’était la victoire de la législation sur la pollution. Du moins, pour quelques semaines. Car, loin des yeux et des caméras, ils ont, tel le Phénix, recommencé à renaître de leurs cendres. Et, ce, grâce à un écosystème aussi discret que prospère : les ateliers informels et parfois, ceux qui ne l’étaient pas tout-à-fait.

C’est là, que le génie marocain a su transformer la réglementation en opportunité : si l’on ne peut plus légalement fabriquer ces sacrés sachets, qu’à cela ne tienne, les circuits souterrains se chargeront du sale boulot. 

La loi était invisible, tout comme les sacs, habilement dissimulés sous des comptoirs ou dans des entrepôts clandestins.


Les lois ? C’est bon pour les autres !

Et, que dire de la population, premier jury dans cette comédie à l’issue prévisible ? 

Après quelques mois de bonnes intentions, le consommateur marocain, indifférent à la moralité écologique, a rapidement réintégré son confort pré-légalisation.

Pourquoi s’embêter à porter des sacs réutilisables ou des cabas tissés quand un sac en plastique — léger, pratique et bon marché — vous tend les bras dès que l’on tourne le dos à la loi ? Ce qui est admirable ici, c’est ce détachement si singulier face à l’autorité : la loi est importante, certes, mais seulement pour ceux qui y croient encore.

La scène des marchés a retrouvé son folklore d’antan. Les vendeurs, qui rivalisaient d’ingéniosité pour dissimuler les sacs au plus fort de la répression, les offrent aujourd’hui avec un sourire complice. 

De toute façon, on n’a jamais vu un inspecteur traîner du côté des marchands de poissons. Dans ce théâtre de l’absurde, on a fini par normaliser le contournement, comme un sport national non officiel.

Les ateliers clandestins ou l’art de l’adaptation

Les ateliers clandestins, ces ombres silencieuses de l’économie marocaine, méritent une mention spéciale dans ce feuilleton. À peine le décret « Zéro Mika » fut-il signé qu’ils sortaient de terre, prêts à répondre à la demande. Car, ironie du sort, la loi qui devait éradiquer les sacs en plastique n’a fait que renforcer leur production… illégale cette fois.

Dans une forme de symbiose malsaine, les ateliers informels ont prospéré, devenant le véritable poumon de l’économie des sacs.

En imposant la rareté, la loi a simplement fait exploser les marges de ceux qui ont su exploiter la faille. 

La moralité ? Peut-être que ce n’est pas en interdisant la production que l’on supprime une habitude. Il aurait probablement fallu éduquer, proposer des alternatives viables et accessibles avant de balancer l’anathème législatif. 

Mais, dans l’urgence de l’action politique, on a préféré la grande annonce médiatique, le symbole fort, sans prendre en compte la capacité d’adaptation légendaire du marché informel.


L’Etat à la rescousse… ou presque.

Et, que fait l’État, face à ce désastre annoncé ? Il envoie des amendes, bien sûr. Parfois. Souvent, il se contente de faire acte de présence lors de rares campagnes d’inspection spectaculaires dans les grandes villes. 

Mais, dans les ruelles des souks, où l’âme marocaine prospère, les sacs en plastique glissent entre les mailles du filet comme les sardines sur les étals poissonneux. 

La règle du jeu est claire : Tant que l’on ne fait pas trop de bruit, tout le monde ferme les yeux.

Pourtant, la surveillance, il y en a. Peut-être pas de l’usage des sacs en plastique, mais des réseaux sociaux, de la presse ou des voix dissidentes qui oseraient pointer du doigt la supercherie.  « Zéro Mika » est devenu une fable moderne, où la morale est une abstraction que personne n’a pris le temps de lire.


Morale de l’histoire

Finalement, la loi 77-15 nous apprend une vérité universelle : Une législation, aussi ambitieuse soit-elle, ne peut rien contre la réalité d’un marché informel agile et d’une société qui se plaît à contourner les règles.

Alors, la prochaine fois que l’on se retrouvera avec un sac ou sachet en plastique entre les mains, souvenons-nous que, derrière ce petit morceau de matière, se cache l’histoire d’une lutte législative vaine et d’une société qui a, une fois de plus, pris le dessus sur la norme. 

Le plastique, c’est fantastique, et la loi ? Un peu moins.


Bien à vous 

Par Mohamed Jaouad EL KANABI

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