Travaux : Les Casablancais n’en peuvent plus !

Les Casablancais n’en peuvent plus !


La ville qui ne dort jamais… Si, si, tout le monde sait de qui il s’agit. Casablanca.

Et depuis le début des travaux, si réellement nous pouvons donner une date précise à ces débuts, elle dort encore moins. 
C’est à coups de marteau qu’elle se réveille et à coups de pelle qu’elle s’éteint. Quelle macabre image qui ne cesse de hanter les habitants de la capitale économique.


Publié le 12/04/2025

L’hyperactive du Maroc, Casablanca, n’a jamais cessé de courir. 
Courir après quoi ? 
L’argent pardi ! 
Grande et bruyante, elle déborde de projets comme un carnet de crédits chez l’épicier du coin. 
Mais depuis quelques mois, et comme tout moteur économique qui se respecte, la métropole donne l’impression d’avoir le souffle court. 
À chaque carrefour, un grillage. 
À chaque trottoir, une tranchée. À chaque détour, un chantier. 

Et au milieu de tout ça, des piétons qui doivent traverser 5 fois d’un trottoir à l’autre sur une petite distance pour éviter les travaux. Des voitures qui ne cessent de zigzaguer lorsqu’elles ne sont pas bloquées pendant une quarantaine de minutes sur le même boulevard. 
Des maisons poussiéreuses malgré la discipline hygiénique de ses habitants…

À croire que les Casablancais vivent dans un jeu vidéo, sans bouton pause.


Rue El Kassar, Mâarif, Casablanca, en chantier incessant.

La cause à tout ça ? 
Les grands projets de la métropole casablancaise ! Nul ne pourrait dire quand ça a réellement commencé, nul ne saurait dire quand ça s’arrêtera. 
Casablanca a toujours été synonyme de chantiers à ciel ouvert.


Ce qui frappe à Casablanca aujourd’hui, c’est ce grand écart entre l’ambition nationale, celle d’une ville moderne, prête pour 2030, tournée vers l’Afrique et le monde, et le quotidien insupportable de ses habitants. 
Les autorités ne lésinent pas sur les annonces : nouvelles lignes de tramway, tunnels, échangeurs, rénovation de places publiques, mobilité verte… Le Maroc prépare son avenir, et Casablanca en est la vitrine. Mais à quel prix ?

Les chauffeurs de taxi sont les premières victimes de ce développement. « On comprend qu’il faut faire des travaux. Mais tout en même temps ? », s’agace Ahmed, chauffeur de taxi depuis vingt ans. « Ils nous demandent de patienter, mais on perd des heures par jour. Et l’essence, c’est pas gratuit ».

Car cette transformation urbaine n’est pas qu’un décor de fond. Elle s’invite, malgré elle, dans chaque aspect de la vie : se rendre à l’hôpital prend deux fois plus de temps, les commerçants perdent leur clientèle, les mariages peinent à trouver des lieux accessibles et les enfants arrivent en retard à l’école à cause d’une rue barrée à la dernière minute, dont personne n’avait connaissance. Et ce n’est pas qu’une impression.

Mais attention, ce n’est pas une ville qui râle pour râler. Casablanca est une ville lucide, qui sait qu’elle doit changer. Beaucoup reconnaissent la nécessité de moderniser l’infrastructure, d’attirer les investissements, de désengorger le chaos quotidien… Simplement, ils demandent de la méthode, du rythme et un minimum de considération pour ceux qui vivent ici chaque jour « Aujourd’hui, Casablanca est en train de se rattraper et rattraper le retard cumulé. Et nous n’avons pas le choix. Nous sommes obligés de composer avec, mais le citoyen reste quand même un élément important dans ses décisions », déclare Mohamed Hakim Belkadi, consultant architecte des écosystèmes urbains prédictifs et des milieux interconnectés et expert judiciaire.

Alors, Casablanca fonce. Mais les Casablancais, eux, traînent un peu les pieds. Non par manque de vision, mais parce que, dans la poussière et le vacarme, ils ont parfois du mal à croire que les responsables savent vraiment ce qu’ils veulent construire.

Les grands projets casablancais qui bousculent


Le grand théâtre de Casablanca qui n’ouvre toujours pas ses portes. 

Le tramway, les tunnels, les boulevards refaits, c’est un ensemble qui se redessine. C’est comme refaire la plomberie d’une maison… pendant que les gens y vivent. Et effectivement, c’est bien là le nœud du problème : les chantiers ne se succèdent pas, ils s’empilent !

D’un côté, l’ambition est impressionnante. La ligne T3 du tramway, par exemple, relie des quartiers longtemps oubliés du réseau de transport, comme Sidi Othmane ou Sbata. En parallèle, la ligne T4 permet de désengorger des axes importants en connectant le sud-est de la ville aux zones industrielles. Ces projets de transport intégré ont été pensés pour fluidifier les mobilités et réduire la dépendance à la voiture individuelle. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi.

Et ce n’est pas tout. 
À côté des rails, les routes elles aussi sont revues. 
Des échangeurs sont en cours de construction sur les grands axes comme l’autoroute urbaine ou le boulevard Mohammed VI. 
Des carrefours sont transformés en giratoires souterrains, comme celui très attendu de Sidi Maarouf. 
On rénove des trottoirs, on plante des arbres (pas forcément adéquats à la ville), on refait les canalisations, parfois pour la troisième fois dans l’année. 
Le tout avec des équipes différentes, des entreprises parfois concurrentes et des délais rarement respectés.

Et c’est bien là que le bât blesse. « Il n’y a pas une seule rue du centre qui ne soit pas éventrée », soupire Mustapha, un habitant de Mers Sultan. 
Un sentiment d’improvisation généralisée que beaucoup partagent, notamment les commerçants et les habitants des quartiers touchés.

Casablanca veut aller vite, très vite. Mais à trop courir, attention aux croches-pâtes. D’autant que chaque chantier a ses effets secondaires : embouteillages monstres, pollution insoutenable, nuisances sonores, perte de repères dans l’espace urbain… Et surtout, un sentiment d’injustice pour certains quartiers qui voient les promesses s’accumuler sans résultats concrets.

Les ambitions sont là ! Casablanca veut redevenir une grande capitale africaine, digne d’un pays qui accueillera la Coupe du monde 2030. Elle veut séduire les investisseurs, attirer les talents et offrir un cadre de vie moderne à ses habitants. Mais entre les plans sur papier et les réalités du terrain, il y a un monde. Et pour l’instant, ce monde est fait de barrières métalliques, de bruit et d’attente.

Bruit, embouteillages, galères !

À Casablanca, on ne se réveille plus au chant des oiseaux. Bon, à vrai dire, cela fait plus d’une trentaine d’années que les oiseaux chanteurs ont laissé place aux pigeons. Les habitants sont bien bercés par le grondement des marteaux-piqueurs et le vacarme des camions. Quelle chanson douce à l’oreille. Au quartier Bourgogne, les ouvriers commencent parfois à 6h du matin. Et s’ils finissent vers 18h, les rues restent en chantier, pleins de gravats, de câbles, de trous béants.
Casablanca vit à contre-temps. Les parents déposent leurs enfants plus tôt pour éviter les embouteillages, les commerçants ouvrent plus tard parce que leurs clients ne peuvent plus accéder à leur boutique et les conducteurs deviennent, malgré eux, des experts en itinéraires alternatifs. Même Google Maps n’en peut plus dans ces doubles sens insensés ! « La moitié des rues sont barrées, l’autre moitié, c’est des sens interdits temporaires. Et le client, lui, croit qu’on fait exprès de tourner en rond », nous explique Ahmed, le chauffeur de taxi.

Le mot « galère » est sur toutes les lèvres. Monter dans un taxi devient une expédition, avec un tarif souvent majoré à cause du temps perdu. Aller chez le médecin ? Il faut prévoir une heure d’avance. Et pour ceux qui n’ont pas de voiture, c’est parfois la double peine !

Mais au-delà du temps perdu, c’est aussi l’usure psychologique qui s’installe. Le stress de rater un rendez-vous, l’angoisse de devoir traverser un axe dangereux à pied parce que les trottoirs sont impraticables, la fatigue constante d’évoluer dans une ville en désordre. C’est toute une vie quotidienne qui est désorganisée.
Et puis, il y a les effets collatéraux moins visibles. Le bruit constant nuit au sommeil, les poussières aggravent les allergies et les maladies respiratoires. Les plus vulnérables, à savoir les enfants, les personnes âgées et les femmes enceintes, en paient le prix fort. « J’ai de l’asthme. Je dois garder les fenêtres fermées tout le temps et la chaleur commence à monter », nous raconte 
Imane, qui habite près de Moulay Youssef.



Le musée de la Fondation Dr. Leila Mezian a interrompu ses travaux, avant de les reprendre suite à un changement de cabinet d’architecte © Ayoub Jouadi / LeBrief

Certains quartiers vivent une réalité encore plus rude. Entre routes bloquées, commerces désertés, lignes de tram interrompues ou encore nuisances sonores permanentes, certains secteurs sont littéralement étouffés. Et parfois, pendant des mois.

Sidi Maarouf, à titre d’exemple, est devenu un point de bascule vers l’asphyxie. Censé devenir un hub moderne avec son échangeur flambant neuf et ses immeubles de bureaux, le quartier est aujourd’hui synonyme d’embouteillage permanent. Projet de désengorgement, ou simple déplacement du chaos ?

Derb Omar et Benjdia, on en parle ? Zone centrale pour les grossistes et les petits commerces, Derb Omar vit une descente aux enfers. Les camions ne peuvent plus livrer, les clients ne viennent plus et les commerçants perdent gros. « Avant les clients ramenaient leurs camions jusqu’ici, maintenant c’est à nous de proposer une solution de livraison, ce qui coûte cher », nous détaille Hicham, commerçant à Benjdia.


Allons vers Hay Hassani, Sidi Moumen, Aïn Sebaâ… les oubliés des travaux. Oui, car à l’opposé, certains quartiers ne sont pas forcément impactés par les chantiers… parce qu’ils ne sont tout simplement pas concernés. Pour eux, pas de nouvelles lignes de tram, pas de grands boulevards refaits à neuf. Le sentiment d’être délaissés grandit, alors que ces zones, souvent enclavées, sont parmi les plus peuplées de la ville. « Casablanca a déplacé des gens de vieux quartiers vers la périphérie, souvent dans l’urgence, sans vraiment penser à leur intégration. On les a logés, oui, mais sans espaces verts, sans équipements, sans rien pour bien vivre. Le problème, ce n’est pas eux, c’est le temps qui a abîmé les bâtiments, et surtout l’inaction des autorités. Si on continue sans penser à l’inclusion sociale, on creuse encore plus les inégalités dans la ville », déclare Mohamed Hakim Belkadi.

Et puis il y a les zones résidentielles touchées en silence. À Bourgogne, Anfa ou Californie, les riverains se heurtent à un autre type de désagrément : les travaux de voirie ou de rénovation de l’éclairage public qui s’éternisent, sans réelle explication. Des chaussées refaites puis re-creusées quelques semaines plus tard. Une absence de coordination qui fait grimacer même les plus patients.

Et puis il y a le problème ancestral du parc automobile. Le nombre de voitures à Casablanca a explosé ces dernières années, mais le réseau routier n’a évidemment pas suivi le même chemin. Du coup, on a élargi des routes, creusé des tunnels… mais parfois un peu n’importe comment. « Prenons le tunnel de Roudani, par exemple, à peine 600 mètres ! », explique Belkadi. Ça ne devrait même pas s’appeler un tunnel. Un vrai tunnel, est censé relier deux points éloignés.

Aujourd’hui, la circulation à Casablanca, est un vrai casse-tête. Nous parlons de 700.000 à 1 million de voitures qui roulent dans la ville chaque jour. Selon l’urbaniste, en élargissant à toute la métropole, avec les allers-retours depuis les villes voisines, nous dépassons facilement les 8 à 10 millions de mouvements de véhicules. Beaucoup viennent pour travailler, faire du business, puis repartent. Et n’oublions pas les chantiers, qui ajoutent à la pagaille : entre les camions de livraison, les grues et les engins.
Que faire ?

Travaux en cours dans la zone de Aïn Sebâa.

Les travaux engagés pour réaménager la ville mobilisent des milliards de dirhams. Les marchés sont publics, les appels d’offres nombreux, mais le détail des budgets n’est pas toujours clair pour les citoyens. Mais attention, « il faut faire le distinguo entre les chantiers publics et les chantiers privés. Les chantiers publics, ce sont de grands chantiers structurants qui sont aujourd’hui importants dans le sens où la ville de Casablanca prépare des échéances comme 2025 ou la Coupe du monde de 2030 », détaille Belkadi.

Pour les petites entreprises et les commerçants, l’impact est direct. Le chiffre d’affaires chute brutalement dans les zones touchées. Même les livreurs ont parfois du mal à se rendre au magasin. Certains commerces ferment temporairement, d’autres baissent le rideau pour de bon.

Le secteur de la restauration est particulièrement touché. Les cafés, les petits snacks de quartier ou encore les restaurants de bureaux sont désertés. Nul n’a envie de déguster son café près d’un marteau-piqueur.

Côté immobilier, même son de cloche. Les futurs acheteurs ont peur que le chantier devant l’immeuble ne dure des années ! Ils éviteront d’acheter à tel ou tel endroit, en fonction des projets en cours. Si seulement ces derniers étaient annoncés clairement et honnêtement. « Pour mieux gérer Casablanca, il faut impliquer les citoyens via des plateformes participatives et repenser la gouvernance urbaine, aujourd’hui trop fragmentée. Des projets sont lancés sans vision claire ni étude d’impact. La solution passe par la création d’observatoires régionaux d’urbanisme prédictif, appuyés par l’intelligence artificielle, le big data et l’Internet des objets. Ces outils permettraient d’anticiper les problèmes, de mieux planifier les chantiers et d’informer les citoyens en temps réel », propose Mohamed Hakim Belkadi.

On parle souvent des grands chantiers comme des moteurs de croissance. Mais à Casablanca, le moteur semble caler en pleine montée.


Route de Médiouna 



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