"Le soir au lieu de s'embrasser..." Ce que nous fait le smartphone au lit.

"Le soir au lieu de s'embrasser..." Ce que nous fait le smartphone au lit. ...

"Le soir au lieu de s'embrasser..." Ce que nous fait le smartphone au lit

Attention : pianoter sur son smartphone au lit peut rendre l'autre fou. Mais que dit la présence de cet objet dans notre lit ? Et que raconte au contraire l'agacement

Si François Truffaut avait tourné "Domicile conjugal" en 2017, Christine Darbon et Antoine Doisnel auraient probablement eu de l'Internet plein les doigts. 
A la place de leur livres et de leurs journaux, ils auraient reproduit cette scène devenue familière pour beaucoup d'entre nous.
Côte à côte sans se parler. Smartphones en mains.

A l'heure d'aller se coucher, ils auraient erré chacun de leur côté sur Facebook, Twitter, Instagram ou Snapchat. Ils auraient scrollé et répondu aux messages de leurs groupes de potes sur What's app ou Télégram.
Antoine aurait voulu éteindre les lumières mais Christine, non. Alors, elle aurait caché son écran pour continuer son affaire solitaire. Telle une vulgaire adolescente en train de faire une connerie à l'abri de ses parents.
Antoine aurait bougonné avant de s'énerver, comme l'a encore fait récemment une journaliste de Rue89 qui a carrément tapé son conjoint (et non, ce n'est pas moi). La collègue s'est fendue d'un :
"Putain, tu fais chier, je ne supporte plus cette lumière de merde."
Je peux moi parler au nom de ceux qui pianotent la nuit. Que nos conjoints nous pardonnent. Si nous ne pouvons nous séparer de notre téléphone même dans notre lit, c'est qu'il fait partie de notre corps.
Sonia Hammes-Adelé a soutenu en 2011 une thèse en psychologie sur la "relation humain-technologie-organisation". Elle y développait une idée de "symbiose".
"Le smartphone peut être considéré comme un prolongement de soi. Une partie de soi, cerveau annexe (qui contient toute l'information sur nous ou le monde) ou bras annexe (qui nous permet d'agir sur le monde). Il est normal de ne pas lâcher une partie de soi."
C'est notre réveil, notre agenda, notre carnet de notes, notre mémoire, nos souvenirs, notre travail, nos journaux, notre encyclopédie.
Voilà pourquoi si nous sommes nombreux à ne pas imaginer une minute introduire une télévision dans notre chambre, nous n'avons, pour beaucoup, aucun problème à utiliser un smartphone dans notre lit.

"Je rêve de bannir cette saloperie du lit"

Dans une étude menée en 2015 par Deloitte, on apprend que 39% des 18-24 ans consultent leur smartphone moins de cinq minutes avant de se coucher. Sur tout le panel, sans critère d'âge, le chiffre est de 18 %.
En 2016, il passe à 23%.

Pour l'être aimé, la moitié, le petit chat-chat, ce moment est tout simplement désagréable. Après un appel à témoins, une lectrice de l'Obs nous a écrit :
"Je rêve de bannir cette saloperie de téléphone du lit conjugal, mais mon mec fait bloc. En réalité, il utilise son iPad pour regarder la télé, Netflix, ou lire mais je ne supporte pas la lumière de l'écran quand je veux dormir.
Je trouve que c'est comme d'avoir la télé dans la chambre ce qui ne nous viendrait pas à l'idée pourtant !"
Comment ne pas comprendre cet agacement ? Vous êtes là, plein d'amour, d'ambitions et d'envies (ou pas) et vous avez à côté de vous Alice perdu au pays de l'Internet. Compliquay. Marie (certains prénoms ont été changé), une trentenaire journaliste résume :
"Le soir au lieu de se faire des bisous, on se retrouve tous les deux comme des cons sur nos téléphones, chacun de notre côté."

Le problème du sexe...

Comment faire l'amour si on est chacun les yeux rivés sur son téléphone ?
Des chercheurs de l'Université de San Diego y ont réfléchi. Dans une étude publiée en janvier dernier, ils soulignent un déclin de l'activité sexuelle entre 1989 et 2014. Avec une moyenne de 60 à 65 rapports par an et par couple contre 53 en 2014.
Plus amusant : ce sont les couples de jeunes qui font baisser les chiffres. Et les chercheurs émettent une hypothèse : l'hyper connectivité des jeunes. En clair, le smartphone au lit n'est pas l'ami de la libido.
La marque Durex a d'ailleurs sorti un spot drôle à ce sujet.
Marie ne nie pas le problème mais nuance :
"C'est sûr que ça joue sur la sexualité mais ce n'est même pas le sujet."

... mais ce n'est pas le seul

En fait, elle identifie plein de problèmes :
  • "Le téléphone te maintient dans ta bulle de travail alors que tu es à la maison. Tu te dis que tu vas sur Facebook deux minutes et tu te retrouves à répondre à des mails de taf... C'est malsain à tout points de vue. Comme les frontières entre le travail et la maison sont de plus en plus poreuses, il faut les définir fermement."
  • "Parfois, je me demande combien de temps on passe vraiment tous les deux. Le travail, les enfants, les amis, ça prend du temps et après il ne reste pas grand chose. Alors si en plus, au lit, tu te mets sur ton smartphone, il te reste quoi ?"
  • "On pourrait dire que c'est comme un livre mais je ne suis pas d'accord. Un bouquin ne te rend pas indisponible à l'autre, ce n'est pas pareil."
Pour Stefana Broadbent, antropologue et enseignante à la College University (Londres), spécialiste des nouvelles technologies, on est là au cœur du problème.
"Les gens parlent énormément d'attention qui est captée dès qu'on parle de web. Et on en parle toujours comme d'une ressource limitée."
C'est un problème qui revient souvent dans les entretiens qu'elle fait avec les parents d'ados.
"Toutes les familles limitent le nombre d'heures. Mais en famile, les termes de la négociation sont simples : les parents sont l'autorité et les enfants sont censés obéir.
Dans le couple c'est bien plus compliqué de reprendre l'autre ou d'installer des règles..."

Des invités dans mon lit

L'anthropologue rappelle combien l'attention est fondamentale dans une relation amoureuse : c'est bien plus que regarder l'autre, c'est lui donner un statut. Cette concentration sur le smartphone peut donc être vécue comme une "humiliation".
Sentiment ressenti d'autant plus fort qu'utiliser son smartphone au lit, ce n'est pas juste ignorer son conjoint, c'est aussi y inviter une, deux, trois, dix ou mille personnes. Des gens à qui l'on doit des comptes par dessus le marché. Sonia Hammes-Adelé :
 "Les smartphones ont un impact fort sur la manière dont nous considérons le temps. Aujourd'hui, il est peu admis qu'un message ne soit pas suivi immédiatement d'un réponse. Dès lors il est nécessaire d'emporter partout son smartphone avec soi pour satisfaire cette exigence."

Qu'est ce qu'une maison ?

De ces invités surprises Stefana Broadbent dit qu'ils sont un réel bouleversement. Rien à voir avec la télé qu'on peut regarder ensemble ou avec un livre qu'on a la sensation de maîtriser.
"Le livre est plus partageable...  "Je sais que tu lis. Je sais même avec quel rythme tu le lis"."
Non. Le smartphone du conjoint au lit nous échappe et fait même trembler nos valeurs dit la chercheuse.
"Jusqu'alors on était encore sur un modèle bourgeois avec très peu de gens extérieurs qui rentrent dans la maison. Avec le smartphone, la maison devient plus perméable."
Elle évoque la chambre "sacrée" dans laquelle on a longtemps refusé de faire entrer des machines (c'est encore le cas dans les chambres de bébé) et développe :
"Le smartphone crée une tension même sur la conception d'une maison. Qu'est ce qu'une maison ? Qu'est ce qu'une chambre ? Est-ce que c'est un espace inviolable ?"
A cette question des couples décident désormais de répondre oui. Après notre appel à témoins, un lecteur de l'Obs nous a répondu
"Pour nous le téléphone reste en bas à la cuisine et lecture obligatoire avant de se coucher même trois minutes pour déconnecter concrètement !"
Tandis qu'une autre avoue ne jurer que par le mode avion.
Enfin, après avoir milité pour une éviction du téléphone portable Marie a finalement convaincu Thomas de lâcher le téléphone au lit.
"On le fait encore parfois. Mais, on sait que c'est un problème, donc l'un de nous dit assez rapidement : "Allez c'est fini !""
Renée Greusard Renée Greusard de l'Obs

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