La CPI s’apprête à délivrer des mandats d’arrêt contre Ben Gvir & Smotrich, accusés d’apartheid.


La CPI s’apprête à délivrer des mandats d’arrêt contre Ben Gvir & Smotrich, accusés d’apartheid.

Publié le 21/08/2025




Des demandes de mandat d'arrêt contre deux ministres israéliens de premier plan pour apartheid sont prêtes et ont été transmises à deux procureurs adjoints de la Cour pénale internationale (CPI), révèle Middle East Eye.

Si les mandats d'arrêt contre le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich sont délivrés, ce sera la première fois que le crime d'apartheid sera jugé devant un tribunal international.

Le procureur général de la CPI, Karim Khan, avait préparé des dossiers contre Ben Gvir et Smotrich avant de prendre congé en mai, selon de nombreuses sources judiciaires proches du dossier.

“En effet, les demandes de mandats d'arrêt sont prêtes”, a déclaré une source de la CPI à MEE.


“Elles n’ont pas été encore soumises à la Cour”,

a ajouté cette source sous couvert d'anonymat.

MEE a révélé que si les procureurs adjoints ont toute latitude de les soumettre aux juges d'instruction pour examen, certains membres de la CPI estiment que les demandes seront discrètement classées, la Cour étant confrontée à des pressions sans précédent.

La nouvelle administration américaine de Donald Trump a sanctionné Khan en février, et celui-ci a pris congé en mai alors qu'une enquête de l'ONU était en cours sur des allégations d'inconduite sexuelle à son encontre, qu'il a niées.


“Si les demandes concernant Ben Gvir et Smotrich sont classées, l'occasion de poursuivre l'un des exemples les plus flagrants d'apartheid dans le monde aujourd'hui sera probablement perdue à jamais”,

selon une source de la CPI

En juin, les États-Unis ont sanctionné quatre autres juges de la CPI.

Deux des juges ayant approuvé la demande de M. Khan de délivrer des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l'ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant et trois dirigeants du Hamas en novembre dernier se trouvaient parmi eux.

Au début du mois, MEE a rapporté que Khan a fait l'objet d'une série de menaces et d'avertissements de la part de personnalités éminentes, dont l'ancien ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, ainsi que de proches collègues et amis de sa famille, qui ont publiquement pris position contre lui. Le quotidien a également révélé que la sécurité du procureur a été menacée par une équipe du Mossad à La Haye.

Le 20 mai 2024, Khan a néanmoins introduit des requêtes qui ont abouti à la délivrance de mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant en novembre de la même année.

“Plus rien ne pouvait arrêter le processus”

Selon MEE, malgré les pressions constantes, l'équipe d'avocats du procureur a poursuivi son enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité présumés commis par Israël en Cisjordanie occupée.

Mais avant de pouvoir déposer les requêtes, Khan a démissionné après une tentative infructueuse de le suspendre.

“Karim avait tout préparé”, a déclaré à MEE une source de la CPI.


“Les requêtes n'étaient plus qu'une formalité. Elles n'étaient pas en cours de rédaction. Elles n'étaient pas en cours de révision. Elles étaient finalisées.

“Il ne restait plus qu'à suivre la procédure judiciaire pour soumettre une demande. Mais Karim n'a pas eu le temps de le faire, car tout s'est passé très vite. Puis il est parti”.

Une déclaration de la CPI a alors indiqué que les adjoints de Khan poursuivraient son travail sur toutes les affaires, y compris l'enquête sur la Palestine.

Mais le dépôt des requêtes de mandat d'arrêt contre Ben Gvir et Smotrich ne serait pas rendu public, la Cour ayant ordonné en avril que toute nouvelle demande ne puisse être rendue publique.

Deux sources de la CPI ont déclaré à MEE que les deux procureurs adjoints, Nazhat Shameem Khan et Mame Mandiaye Niang, n'ont pas déposé les requêtes en raison de la menace de sanctions américaines.

L'avocat britannico-israélien de la défense devant la CPI, Nicholas Kaufman, a déclaré en juin à la chaîne publique israélienne Kan que les sanctions américaines contre quatre juges de la CPI étaient


“destinées à encourager l'abandon des mandats d'arrêt contre le Premier ministre Netanyahu et l'ancien ministre de la Défense Gallant”.

Et Kaufman a ajouté :


“En conséquence, la plupart des commentateurs s'accordent à dire que ces sanctions constituent un nouveau signe avant-coureur, si je puis m'exprimer ainsi, avant les sanctions susceptibles d'être prises contre les procureurs adjoints qui ont désormais pris la relève de Karim Khan”.

Interrogé par MEE sur l'état d'avancement des réclamations de Ben Gvir et Smotrich, ainsi que sur la question de savoir si la crainte de sanctions les avait retardées, le bureau du procureur a répondu :


“Le bureau ne peut faire de commentaires sur des questions liées aux enquêtes en cours et aux accusations spécifiques pouvant être portées en lien avec les situations traitées par le bureau. Cette approche est essentielle pour protéger l'intégrité des enquêtes et garantir la sécurité des victimes, des témoins et de tous ceux avec qui le bureau est en contact”.

Karim Khan a refusé de commenter pour MEE.

“Justice différée, justice refusée”

Raji Sourani, avocat représentant la Palestine devant la CPI et la CIJ, a critiqué les procureurs adjoints pour leur lenteur à solliciter des mandats.


“Pour nous, ils sont très en retard. Qu'attendent-ils ? Ils ont pourtant tout ce qu'il faut”, a-t-il déclaré à MEE. “Justice différée, justice refusée”.

Une source de la CPI a déclaré craindre que l'affaire ne voie jamais le jour.


“Des mois et des mois de travail intense ont été nécessaires pour préparer des dossiers très solides qui attestent de crimes très graves.

“Si les requêtes concernant Ben Gvir et Smotrich sont abandonnées, l'occasion de poursuivre l'un des exemples les plus flagrants d'apartheid dans le monde aujourd'hui sera probablement perdue à jamais”.

Le 27 mai, le Wall Street Journal a rapporté que le procureur s'était préparé à solliciter des mandats d'arrêt contre Ben Gvir et Smotrich avant de partir, et que les procureurs ont cherché à “évaluer” si les deux hommes ont commis des crimes de guerre liés à leur rôle dans l'expansion des colonies.

Toutefois, d'après trois sources proches du dossier interrogées par MEE, le rapport ne mentionnait pas que l'apartheid constituait une accusation centrale contre les deux dirigeants israéliens, ni que le bureau du procureur était sur le point de soumettre les demandes.

En vertu du Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, l'apartheid est un crime contre l'humanité. Il est défini comme étant « des actes inhumains [...] commis en tant que partie d'un régime institutionnalisé d'oppression et de domination systématiques par un groupe racial sur tout autre groupe ou tous les autres groupes raciaux, et commis dans l'intention de préserver ce régime ».

Des juristes et de nombreuses organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch basée à New York et l'organisation israélienne B'Tselem, ont accusé Israël d'apartheid.

En juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire des Nations unies, a rendu un avis juridique selon lequel l'occupation de Gaza et de la Cisjordanie par Israël est illégale. Elle a également conclu que l'isolement quasi total des Palestiniens en Cisjordanie, notamment par l'expansion des colonies, viole les obligations qui qui incombent à Israël en vertu du droit international de prévenir, d'interdire et d'éliminer toute ségrégation raciale et tout apartheid.

Le 10 juin, le Royaume-Uni, l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Norvège ont sanctionné Smotrich et Ben Gvir pour “leur incitation répétée à la violence contre les communautés palestiniennes”.

MEE a contacté le gouvernement israélien pour obtenir des commentaires, mais aucune réponse ne lui a été fournie au moment de publier cet article.

“Ils vont vous détruire”

Le mois dernier, une enquête de MEE a révélé que, le 1er mai, l'avocat de la défense devant la CPI, Kaufman, a déclaré à Khan s’être entretenu avec le conseiller juridique de Netanyahu et être “habilité” à lui faire une proposition qui lui permettrait de “sortir de l'impasse”.

Il lui a conseillé de demander à la Cour de reclasser les mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant en “confidentiel”, selon une note de la réunion déposée au dossier de la CPI et consultée par MEE.

Cela aurait permis à Israël d'accéder aux détails des allégations, chose impossible à l'époque, et de les contester en privé, sans que le résultat soit rendu public.

Cependant, Kaufman a averti que si le procureur requérait d'autres mandats d'arrêt concernant la Cisjordanie ou si les mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant n'étaient pas abandonnés, “toutes les options seraient sur la table”.

Selon la note, Kaufman a déclaré à Khan : “Ils vous détruiront, vous et la Cour”.

Le bureau de Netanyahu n'a pas répondu aux demandes de commentaires à l'époque.

En réponse aux questions de MEE, Kaufman a nié avoir menacé Khan. Il a nié avoir été autorisé à faire des propositions au nom du gouvernement israélien et a déclaré avoir partagé ses opinions personnelles avec Khan sur la situation en Palestine.

Deux semaines après la réunion, Khan a démissionné pour un congé illimité à la suite de la publication par le Wall Street Journal de nouvelles allégations d'inconduite sexuelle à son encontre, qu'il a toutes niées.

On ne peut établir aucun lien entre la rencontre entre Kaufman et Khan et la publication de ces allégations.

MEE a également révélé en juin que le 23 avril 2024, alors que Khan s'apprêtait à requérir des mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant, le ministre britannique des Affaires étrangères de l'époque, David Cameron, a menacé le procureur lors d'un appel téléphonique de retirer le financement du Royaume-Uni à la CPI et de se retirer de la Cour si celle-ci délivrait les mandats.

Cet appel téléphonique a également été rapporté au début du mois par le journal français Le Monde.

Le ministère britannique des Affaires étrangères et Khan ont tous deux refusé de commenter cette information, tandis que Cameron n'a pas répondu aux multiples demandes de commentaires de MEE.

Khan a subi davantage de pressions de la part d'autres sources. Lors d'une réunion virtuelle avec des responsables de la CPI en mai 2024, le sénateur républicain américain Lindsey Graham les a menacés de sanctions si Khan sollicitait les mandats.

Aujourd'hui, la CPI traverse une période difficile. Beaucoup craignent en effet que l'institution elle-même ne soit la cible de sanctions, qui paralyseraient son fonctionnement.

Le mois dernier, la Cour a été de nouveau menacée : le conseiller juridique du département d'État américain, Reed Rubinstein, a averti que “toutes les options restent sur la table” si les mandats d'arrêt et l'enquête sur les crimes de guerre présumés commis par Israël ne sont pas abandonnés.

Reste à savoir si la CPI délivrera des mandats d'arrêt contre Ben Gvir et Smotrich dans un tel contexte.

Source : Middle East Eye


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