Le récit français de la disparition de Mehdi Ben Barka.
Document publié avec l’aimable autorisation d’Éric Dénécé, directeur du Centre français du renseignement http://www.cf2r.org/ à l’occasion du 50 ème anniversaire de la disparition de Mehdi Ben Barka.
«Cette analyse n’entend pas apporter une
réponse à la polémique entourant la disparition du responsable
politique marocain, mais bien montrer comment les services de
renseignement du Royaume chérifien et d’Israël ont pu monter une
opération et comment le ministère de l’Intérieur français se servit de
la révélation de l’enlèvement de Ben Barka pour mener une opération de
déstabilisation à l’encontre du Service de documentation extérieure et
de contre-espionnage (SDECE).
Aborder l’Affaire Ben Barka du
point de vue des services de renseignement revient à délaisser les
interrogations et les suspicions de la querelle politicienne, dans
laquelle l’Affaire s’est enferrée depuis la pantalonnade des deux procès
de 1966 et 1967.
De cette analyse, reposant sur l’abondante
bibliographie publiée [1] et quelques documents d’archives provenant des services français [2] et américains [3], le mystère politique ne sera certainement pas levé.
Toutefois, l’Affaire sera rétablie dans
son double contexte géopolitique. La disparition du dirigeant
révolutionnaire internationaliste El Medhi Ben Barka doit en effet être
replacée dans son époque, à savoir le Maroc des lendemains de
l’indépendance et de l’accession d’Hassan II au trône. Elle doit aussi
l’être en regard du «Grand Jeu» des services de renseignement au milieu
des années 1960. Aussi, cette analyse n’entend pas apporter une réponse à
la polémique entourant la disparition du responsable politique
marocain, mais bien montrer comment les services de renseignement du
Royaume chérifien et d’Israël ont pu monter une opération et comment le
ministère de l’Intérieur français se servit de la révélation de
l’enlèvement de Ben Barka pour mener une opération de déstabilisation à
l’encontre du Service de documentation extérieure et de
contre-espionnage (SDECE).
Le renseignement marocain et Ben Barka
Pour bien comprendre les ressorts de
l’Affaire Ben Barka, il convient de se pencher dans un premier temps sur
la structure de renseignement marocaine. Celle-ci est moins héritée de
la période du protectorat, comme le suggérerait son nom de Sûreté
nationale, que des conceptions personnelles du pouvoir de Mohamed V et
surtout de son fils, le futur Hassan II, à qui il laissa la haute main
sur les affaires de sécurité nationale (police et armée).
Les deux souverains connaissaient
la fragilité de la cohésion nationale autour de leur trône et
utilisèrent les possibilités offertes par la police et les Forces armées
royales, créées le 13 mai 1956, pour contenir les tentations
sécessionnistes (opération franco-hispano-marocaine Ecouvillon-Ouragan [4] dans le Sahara espagnol,
1957-1958; insurrection du Moyen-Atlas, février 1960) et la guérilla
urbaine, comme le Croissant noir (proche du Parti communiste), à
laquelle s’ajoutait l’agitation étudiante et syndicale créée par une
situation économique et sociale indigente.
Pour garantir l’efficacité de sa
police, Mohamed V entreprit une radicale politique de «marocanisation»,
qui se traduit par le renvoi, à compter du 1er juillet 1960, des quelques trois cents policiers français restés à la Sûreté nationale [5]. Confiée depuis l’indépendance à Mohamed Laghzaoui, riche homme d’affaires proche de l’Istiqlal (parti nationaliste), la Sûreté nationale dépendait pour administration du ministre de l’Intérieur par le laconique dahir (décret royal) du 16 mai 1956 [6]. Mais, Laghzaoui, spécialiste des «coups tordus», resta avant tout l’homme-lige du prince héritier.
A partir de janvier 1958, il
commença à organiser une série de brigades spéciales confiées à des
fidèles et dépendant uniquement de son cabinet, d’où leur dénomination
de CAB. Véritables polices politiques autant que commandos urbains, ils
furent créés en fonction des besoins sécuritaires du moment. Le CAB1 fut
ainsi dirigé contre la subversion de la gauche nationaliste, comme
l’Union nationale des forces populaire (UNFP), de Ben Barka [7]. Sept autres suivirent jusqu’au dahir
du 17 juillet 1958, le CAB7 étant chargé des interrogatoires; selon les
canons de la lutte contre-insurrectionnelle développée en Indochine et
en Algérie [8], la «Septième» devint l’antre de la torture à laquelle furent soumis les différents opposants au régime alaouite.
A partir de l’accession d’Hassan
II à la plénitude du pouvoir royal, au décès de son père le 26 février
1961, cette structure de sécurité intérieure devint la colonne
vertébrale du régime jusqu’en 1972. A compter du 13 juillet 1960, un
fidèle parmi les fidèles, son compagnon d’armes au cours
d’Ecouvillon-Ouragan, le lieutenant-colonel Mohamed Oufkir remplaça
Laghzaoui, tout en gardant les sept CAB créés par son prédécesseur, qui
avait jugé prudent d’emmener avec lui leurs personnels [9].
Brillant officier «français» -huit citations, deux croix de guerre
(1939-1945 et théâtres opérations extérieures) avec palmes et étoiles,
officier de la Légion d’honneur (1949) , Oufkir ne fut versé que le 28
février 1957 seulement dans les Forces armées royales.
Toutefois, il navigua à compter du 1er mars 1950 dans les sphères royales. Jusqu’en novembre 1955, cet ancien lieutenant du régiment de marche du 4e régiment de tirailleurs marocains en Indochine fut affecté au cabinet militaire du commandantsupérieur des troupes françaises, le général Maurice Duval.
Il devint ensuite l’aide-de-camp des derniers résidents généraux, puis de Mohamed V à son retour d’exil [10].
Il s’affirma rapidement comme un familier du prince-héritier, au point
que l’ambassadeur de France, Alexandre Parodi, nota perfidement que «sa
femme [était] la maîtresse du roi. A diverses reprises, on l’a[vait] vu
sortir du harem royal. Il fermerait les yeux complaisamment sur son
infortune» [11]. Homme de confiance d’Hassan II, promu colonel le 1er janvier 1962,
il s’avéra un fidèle exécutant de la volonté royale, à l’image du
nationaliste Laghzaoui qu’il remplaçait. Après lui avoir fait suivre un
stage dans le renseignement militaire, Oufkir s’entoura du lieutenant de
parachutiste Ahmed Dlimi, qu’il avait rencontré au cours
d’Ecouvillon-Ouragan. Il confia à ce «Français» la direction du premier
CAB [12].
L’ancien chef de gouvernement
Abdallah Ibrahim, donna une vision plutôt juste du mandat et de la
latitude de cet officier à la tête de la Sûreté nationale: «Oufkir
(…) était un homme façonné par l’armée, et dont le cerveau ne
fonctionnait que par les vertus de l’armée (…). Il a transformé le Maroc
tout entier en centre de renseignement, y compris au sein de l’UNFP.
Pas de morale, pas d’éthique. C’est un lourd handicap qui a ouvert la
porte à une politique de violence officielle. [13] »
Par «armée», il fallait d’abord entendre l’armée
française. Aussi bien Oufkir que son adjoint Dlimi firent, directement
pour l’un, à l’instruction pour l’autre [14], l’expérience des guerres de la décolonisation et de leurs déviances en termes de maintien de l’ordre [15].
S’il n’était pas certain qu’Oufkir eût un rôle actif
dans l’opération visant à arrêter les chefs du Front de libération
nationale algérien du 22 octobre 1956, ni qu’il fut approché, cinq ans
plus tard, par les «Barbouzes» chargées par Roger Frey de lutter contre
l’Organisation de l’armée secrète (OAS) en Algérie (novembre 1961-mars
1962), il était clair que le directeur de la Sûreté nationale jouât un
rôle dans les missions de «la Main rouge», faux-nez du SDECE et de la
DST, au Maroc [16].
Cette violence importée se retrouva bien vite
inscrite dans un cycle proprement marocain enclenché bien avant son
accession à ce poste.
La menace intérieure ne fut jamais jugulée, les
conjurations se succédant sans que jamais l’on sache si elles étaient
avérées ou imaginées (février 1960, juin-juillet 1963 contre l’UNFP;
mars 1965 contre les étudiants et les syndicats), et qui finirent par
emporter jusqu’à Oufkir (août-septembre 1972).
Entre temps, Hassan II
proclama l’état d’exception (7 juin 1965), interrompant pour cinq ans un
difficile processus de dialogue politique et social ouvert par son
Mémorandum aux partis politiques et aux organisations syndicales (20
avril 1965). Dans ce contexte se produisit l’enlèvement du principal
opposant politique qu’était El Medhi Ben Barka.
Décidée au printemps par Oufkir, promu général le 6
septembre 1963 et devenu ministre de l’Intérieur le 20 août 1964, cette
opération fut confiée au CAB1.
Le renseignement israélien et Ben Barka
Pour mener une telle mission contre un
homme qui parcourait le monde entier, les capacités du renseignement
chérifien ne suffisaient pas.
Les inspecteurs du CAB1 n’avaient d’ailleurs pas réussi à éliminer Ben Barka via
un banal accident de la route, le 15 novembre 1962; l’opposant
principal d’Hassan II s’en tira moyennant la fracture d’une vertèbre
cervicale qui nécessita la pose d’un plâtre dans un hôpital allemand.
Pour réussir l’enlèvement d’une cible
aussi mouvante que médiatisée, il fallait disposer d’un réseau que la
brigade spéciale de la Sûreté nationale marocaine n’avait évidemment
pas. Ni ses missions de renseignement intérieur, ni la formation de ses
personnels n’avaient été prévues pour opérer à l’étranger.
Inévitablement, il fallut se tourner vers un service étranger.
Mais Oufkir ne pouvait décemment
pas demander au SDECE ou à la CIA d’intervenir. Certes, ils
bénéficiaient des compétences pour mener à bien la mission, mais ils
n’avaient aucun intérêt à le faire, surtout pour la minuscule Sûreté
nationale. Pourtant, tous deux s’intéressaient aux activités du
dirigeant internationaliste Ben Barka; le premier le faisait depuis
septembre 1959, le plaçant par intermittence pendant la guerre d’Algérie
sur la liste des personnes à éliminer [17], tandis que la seconde semblait ne l’avoir découvert que deux ans plus tard à l’occasion d’un colloque florentin [18].
Mais, au «grand Jeu» des services, Oufkir n’était qu’un pion permettant
à ces deux centrales d’obtenir des informations et des facilités sur le
théâtre africain, comme au Congo, contre une simple aide technique,
notamment en contre-insurrection.
L’action du représentant britannique de l’Agence juive mondiale, Alexander Easterman, avait permis, le 19 juin 1956, de faire revenir sur sa décision Laghzaoui, vraisemblablement contre une part des sommes versés par l’Agence juive pour chaque émigrant. Ayant mis officiellement fin à l’action de Qadimah (1949-1956), il accompagna l’opération clandestine pilotée par le Misgeret(1956-1961), la nouvelle structure mise en œuvre au sein du Mossad, malgré les vicissitudes de la vie politique marocaine [19]. Laghzaoui resta un acteur de la stratégie israélienne, rencontrant dans un premier temps Easterman [20], puis des responsables duMossad, Jo Golan et Akiva Levinsky [21].
Dans le même temps, Easterman,
puis un agent personnel des Affaires étrangères israéliennes, André
Chouraqui, enfin des agents du Mossad, Yaagov Caroz et Lili Castel,
entretinrent une liaison avec Ben Barka; il s’agissait de trouver une
solution au blocage de l’opération du Misgeret consécutif au raidissement marocain.
Avant même le renvoi de Laghzaoui,
les Israéliens cherchèrent à trouver un interlocuteur dans l’entourage
du prince héritier Moulay Hassan. La réussite de cette liaison, en août
1961, marqua également la fin de celle avec Ben Barka, devenu trop
instable pour jouer encore un rôle au Maroc [22]. Au moment où le Mossad se détachait de lui, en mars 1960, l’ancien président de l’Assemblée consultative se laissa approcher par la Státní
Bezpečnost (Sécurité d’Etat, StB) tchécoslovaque. Mieux, le 28 mars, il
rencontra à 11 h 30 Caroz, qui ne lui laissa aucune illusion quant au
soutien israélien à ses projets, et à 20 h 30, se rendit au dîner auquel
le second secrétaire tchécoslovaque, le capitaine du StB Zdeněk Mičke,
rencontré une semaine plus tôt au Fouquet’s, l’avait convié [23].
Instruit de ses contacts avec les Israéliens, Ben
Barka va chercher à obtenir la même chose de la part des
Tchécoslovaques. Ainsi fait-il aux deux parties, le 28 mars 1960 pour le
Mossad [24]
et entre le 12 mars et le 1er juillet 1961 pour le StB, la même
proposition: un soutien financier et un approvisionnement en armes pour
ses partisans quand l’heure du soulèvement arriverait. Comme les
Israéliens, les Tchécoslovaques lui offrirent de venir visiter leur
pays; il s’y rendit onze fois à compter de septembre 1961. Ils le
stipendièrent en outre pour son voyage en Guinée, à la deuxième
Conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques, où Ben Barka
prononça un discours encore très favorable à Israël. Pourtant,
s’enferrant dans sa relation avec le StB, il lui offrit des informations
sur la France, en provenance du SDECE, du Quai d’Orsay et du ministère
des Armées.
Dans le langage du renseignement de l’Est, il fut
d’abord un verbovka agenta (agent en recrutement), puis devint, à
l’issue de son second séjour à Prague, en février 1963, un důvěrným
stykem (contact confidentiel). Le changement qui suscita ce déclassement
aux yeux du StB tenait au changement de la donne politique marocaine.
Ben Barka retourna dans son pays le 15 mai 1962, suspendant ses rapports
avec le capitaine Mičke.
Lors d’un bref séjour à Prague, en février suivant,
il se vit affecter deux nouveaux officiers traitants, Karel Čermák et
Jiřího Van uru, du siège du StB [25].
Ben Barka continua encore ses allers-retours vers Prague de juillet
1963 à octobre 1965. Entre temps, il fut notamment invité à remplir une
mission de bons offices entre les amis tchécoslovaques et ses amis
baasistes en Syrie en mai 1963, mais il ne trouva pas «le moment
approprié pour une telle intervention de l’emporter, propos[ant]
d’attendre un certain temps» [26].
Ces activités clandestines de Ben Barka finirent par
alarmer les services d’Oufkir, notamment le CAB1. Ou, du moins, les
révélations du représentant du Baas syrien à Genève, l’étudiant Atef
Danial, à Abdelkrim el Khatib, ministre d’Etat chargé des Affaires
africaines, dans la chambre d’un hôtel genevois qu’Oufkir et Dlimi
mirent sur écoutes [27].
Ben Barka jugea plus prudent de s’exiler le 23 juin 1963, tandis
qu’Oufkir lançait une nouvelle série d’arrestations dans les rangs de
l’UNFP dans le cadre du «complot de juillet». Dlimi continua son enquête
sur l’ancien président de l’Assemblée constituante et mis à jour les
liaisons avec le StB. La Rezidentura tchécoslovaque de Rabat l’apprit le
15 octobre 1963: «Le Maroc [sut] que [Ben Barka] était en
Tchécoslovaquie. Dans les milieux de la police, on estim[ait] que le but
de sa visite était de discuter du développement de formation et de
divers groupes marocains destinés à être déployés sur la frontière
Maroc-Algérie [28].»
Le CAB1 ne se trompait qu’à moitié, puisque Ben Barka
ne suivit un stage de formation aux techniques conspiratives qu’à
compter du 9 au 17 mars 1965 à Prague [29].
Une quinzaine plus tard, au Caire, dans le cadre d’un colloque sur la
Palestine, il prononça un discours critiquant «le rôle d’Israël en
Afrique» [30]. Il est peu probable, compte tenu du «besoin d’en savoir» qui régit les relations dans le monde du renseignement, que le Mossad fit part de cette évolution à son homologue marocain.
Pourtant, le service israélien
n’avait pas tardé à établir une liaison avec Oufkir. Comme pour
Laghzaoui, son entrée en jeu se concrétisa par l’arrestation de vingt
membres du Misgeret, marquant la fin de leur opération, et en inaugura une nouvelle, Yakhin (1961-1966). Mais la liaison avec Oufkir n’intervint qu’en toute fin des démarches d’Easterman et de Golan [31].
Et encore se contenta-t-il dans un premier temps que de signer les
passeports collectifs et de demander à son ami, le général Ben Aomar
Driss, gouverneur de Casablanca, d’en finir avec le rançonnage des
émigrants [32].
Au cours d’un temps d’observation
(1961-1963) équivalent à celui que connut Laghzaoui (1956-1958) avant
son premier contact direct, Oufkir fut d’abord mis en relation avec le
commissaire divisionnaire de la Sûreté nationale parisienne, Emile
Benhamou. Il est difficile de dire si les deux hommes se connaissaient
depuis la Seconde Guerre mondiale, comme il est généralement établi, ou
si le policier spécialisé dans les affaires financières, né à Tlemcem,
rencontra son collègue marocain à propos des trafics de devises entre
l’Afrique du Nord et la métropole aux lendemains de la décolonisation.
Toujours est-il qu’en février 1963, Behamou organisa un déjeuner entre
le directeur de la Sûreté national marocaine et Yaagov Caroz. Suivirent
la réception par Hassan II du directeur du Mossad, Meir Amit,
accompagné de Caroz et à laquelle assista évidemment Oufkir, à Marakech,
en avril, puis une série de rencontres de ce dernier avec son officier
traitant, David Shomron, dans les hôtels genevois Beau Rivage et
Cornavin [33].
Mi-décembre, le chef des opérations du Mossad,
Rafi Eitan, et Shomron se rendirent à Rabat pour rencontrer Oufkir.
Tandis que Shomron faisait connaissance de Dlimi, Eitan et Oufkir
établirent les bases de la coopération entre leurs services respectifs.
Dans le contexte de guerre avec l’Algérie, soutenue par l’Egypte
nassérienne et Cuba [34],
la Sûreté nationale marocaine était demandeuse de formation à la
protection de ses ambassades et au renseignement électromagnétique,
tandis que le Mossad
recevait un accès aux prisonniers égyptiens qui combattaient aux côtés
des Algériens. Le service israélien obtint d’ouvrir une station par
laquelle transiteraient les renseignements échangés entre les deux
partenaires; Shomron en prit la direction. Cette information fut confiée
à Oufkir lors de son premier voyage à Tel Aviv, le 3 janvier suivant,
que confirma HassanII [35].
Quand le CAB1 comprit que Ben Barka complotait avec
le StB, il chercha à le localiser.
Mais l’opposant marocain se déplaçait
sans cesse, changeant d’identité à chacun de ses voyages entre Alger,
où il avait sa résidence, et Le Caire, où il bénéficiait de complicités.
De là, il s’évaporait vers des destinations que les
compétences du service de renseignement intérieur marocain ne pouvaient
identifier. Le 25 mars 1965, au soir des manifestions de Casablanca trop
sévèrement réprimées par la police d’Oufkir, un conseil restreint se
tint à Rabat en présence d’Hassan II; outre le souverain et le ministre
de l’Intérieur, se seraient trouvés ainsi réunis le directeur-adjoint
(Oufkir en était toujours le directeur en titre) de la Sûreté nationale,
le commandant Ahmed Dlimi, le chef de la maison royale, le colonel
Moulay Hafid, et le directeur général du cabinet royal, Driss M’Hammedi.
L’objet de cette conférence fut d’évoquer «le cas Ben
Barka» dont le rôle à l’étranger pouvait être plus nocif que s’il était
dans le pays [36].
Avant de pouvoir l’amener à rentrer, encore fallait-il réussir à savoir
où il se trouvait. Il fallut donc demander l’aide des Israéliens. Début
mai, David Kimche, de l’unité Tevel (Monde), chargée des relations avec
les services étrangers, vint à Rabat étudier avec Oufkir les attentes
marocaines, puis les deux hommes s’envolèrent pour Tel Aviv, via Rome,
afin d’obtenir l’accord de Meir Amit.
Rapidement, le Mossad localisa Ben Barka à Genève. La
capitale économique helvétique formait la plaque tournante à partir de
laquelle le dirigeant de l’UNFP planifiait ses déplacements en Europe et
dans le monde; ses contacts au sein du SDECE, au temps des opérations
françaises en Algérie, lui avaient conseillé d’éviter la France. Un
kiosque de presse genevois lui servait de boite aux lettres. Mais il s’y
faisait réexpédier différents journaux et revues internationaux, dont
The Jewish Observer.
Le Mossad fit aussi la découverte qu’un autre service
surveillait le Marocain et suspendit ses opérations en sa direction.
Cette décision signifiait que le service en question était un allié,
comme la CIA, avec lequel la Centrale israélienne collaborait depuis
octobre 1952 [37]. En aucun cas, le Mossad n’aurait suspendu sa surveillance s’il s’était agi du StB.
Toujours est-il que les agents de la Sûreté nationale
marocaine durent remplacer ceux du service israélien pour «planquer»
autour du kiosque genevois. En deux semaines, ils retrouvèrent Ben
Barka.
A la fin de l’été 1965, Hassan II
prit la résolution d’en finir avec cette question. Lors de sa demande de
participation au compromis proposé par le souverain, l’opposant en exil
répondit qu’il fallait renvoyer «les opportunistes et les traitres»,
désavouant l’UNFP autant qu’il courrouçât le souverain. Le roi demanda à
Oufkir de conclure un marché avec le Mossad:
en échange de son accès à la conférence de la Ligue arabe, qui devait
se tenir à Casablanca du 13 au 18 septembre 1965, le service israélien
aiderait le CAB1 à mettre la main sur Ben Barka. L’objectif était de lui
donner l’alternative entre un poste ministériel, donc un ralliement à
la monarchie honnie, et un procès pour trahison, sur la base des
informations relatives à ses tractations avec le StB, devant une cour
marocaine. Ce marché, courant entre services de renseignement, révélait
un changement de sens dans la relation entre le Mossadet la Sûreté nationale marocaine: l’opération Yakhin prenait fin et les transferts financiers se faisaient anecdotiques [38].
Début septembre, des membres
de l’unité Tziporim (unité de recherche opérationnelle), dont Rafi
Eitan et Zvi Malkin, se rendirent à Casablanca, que le CAB1 installa,
sous bonne garde, au niveau de la mezzanine de l’hôtel accueillant la
conférence.
Le 12 septembre pourtant, Hassan II se ravisa et
ordonna aux agents israéliens d’abandonner le site, craignant qu’ils ne
fussent reconnus par leurs confrères de la partie adverse arabe. Le CAB1
utilisa les moyens d’écoute installés par le Mossad et, immédiatement
après la conférence, transmit toutes les informations nécessaires, ainsi
que le matériel électromagnétique israélien. Dans l’affaire, le service
israélien obtint un aperçu de l’état d’esprit des plus grands ennemis
d’Israël, notamment que les armées arabes n’étaient pas préparées à une
nouvelle guerre. Quant à Nasser, dont le Gihaz al-Mukhabarat al-Amma
(Service de renseignement général) détecta la présence israélienne, il
eut la preuve de la duplicité marocaine [39]…
La partie du marché en faveur du Mossad ayant été
tenue, il fallait que le service israélien tînt sa part. Il n’est pas
inutile de voir une relation entre cette responsabilité prise par Meir
Amit envers Mohamed Oufkir et le nom que le Premier ministre israélien,
Levi Eshkol, qui aimait citer les sources religieuses, donna à
l’opération: «Baba Batra» était autant une référence à l’ordre
talmudique relatif à la responsabilité individuelle qu’un jeu de mots
autour des initiales de Ben Barka. «Baba Batra» prit la forme d’une
intoxication.
Elle consistait à faire croire à la cible que son conseil
et son aide seraient décisifs pour un projet de film sur les mouvements
révolutionnaires dans le monde.
Depuis cinq ans, le Mossad connaissait la propension
insurrectionnelle de celui qui, depuis le printemps, présidait le comité
préparatoire de la conférence Tricontinentale, ce qui l’amenait à
travailler avec la Dirección de Inteligencia cubaine.
La réalisation opérationnelle et le recrutement de
l’équipe de cinq membres, dont le service israélien fournissait les
passeports, furent laissés à l’initiative marocaine. Le Mossad n’apporta
que quelques éléments ciblés.
Le premier consista certainement dans
celui de crédibilité: un producteur débutant de films [40]
suisse, Arthur Cohn, collaborateur du Shin Bet, le service israélien de
renseignement intérieur, et gendre du ministre israélien de la Justice
Moshe Haïm Shapira.
Le second fut plus décisif: plutôt qu’une action auprès d’un fonctionnaire de la police fédérale des étrangers, le Mossad fit
pression, certainement contre espèces, sur un avocat suisse, évidemment
connu de Ben Barka pour lui faire comprendre, le 28 octobre, que «son
autorisation de séjour et son visa seraient arrivés à expiration et le
fonctionnaire chargé de les renouveler serait parti se reposer en
vacances en Israël» [41].
Le 4 octobre 1965, sans en dévoiler les attendus
opératifs, Amit fit part à Eshkol de la nouvelle demande marocaine. Les
deux dirigeants se montrèrent dubitatifs quant à la sincérité des
Marocains. Leur sentiment sembla être confirmé lorsque le capitaine
Dlimi demanda, le 12 octobre, de fausses plaques de voiture et du
poison. Treize jours plus tard, Amit se rendit à Rabat pour une visite
de routine. Il tenta de dissuader les Marocains de remettre à plus tard
l’assassinat prévu, «de sorte que leurs préparations [fussent] plus
parfaites.» Mais le chef du CAB1 le surprit en lui annonçant que
l’opération était «déjà en cours». Placé devant le fait accompli, le
directeur du Mossad réalisa qu’il ne pouvait plus louvoyer et se devait
d’apport un soutien à l’opération [42].
LE RENSEIGNEMENT FRANÇAIS ET BEN BARKA
Le CAB1 lança son opération dès le printemps 1965 en dépêchant à la suite de Ben Barka un agent sous couverture. Elle fut même lancée depuis Paris par le ministre de l’Intérieur en personne; Le général Mohamed Oufkir organisa une réunion avec des «amis français», le 21 avril; neuf jours plus tard, une note du service de la recherche au SDECE ne précisait pas qui ils étaient.Tout juste était-il mentionné son objet: «Le général Oufkir, ministre marocain de l’Intérieur, qui est arrivé à Paris le 21 avril a été chargé par le roi du Maroc d’entrer en contact avec Mehdi Ben Barka pour tenter de le convaincre de rentrer au Maroc avec ses compagnons. Hassan II est décidé, en effet, à lever la procédure de contumace pris à l’encontre du leader de l’UNFP» [43].
Si l’on considère la réunion du 25 mars 1965 à Rabat
comme lançant la première phase de l’opération, cette réunion semblait
antérieure à la réponse israélienne. Elle correspondait à cette époque
où les Marocains pensaient pouvoir retrouver Ben Barka facilement. Aussi
Oufkir vint-il à Paris dans un état d’esprit différent de celui avec
lequel il se rendait moins de deux mois plus tard à Tel Aviv. Cette
fois, la réunion du 21 avril, aux accents informels puisqu’elle se tînt
au Crillon, où descendit le ministre de l’Intérieur, se contenta
d’obtenir de ses «amis français» l’autorisation de mener une opération
dans la capitale. Parmi les «amis» présents, peut-être se trouvait-il
son homologue français, Roger Frey, le chef de cabinet de ce dernier,
Jacques Aubert, l’avocat Pierre Lemarchand et le directeur général de la
Sûreté nationale, Maurice Grimaud?
Outre leur implication précédente dans les opérations
barbouzardes contre l’OAS, ces quatre hommes, à diverses étapes de
l’opération marocaine, eurent un rôle éminent à jouer. Le premier
connaissait son collègue de Rabat depuis qu’ils avaient été présentés
peu après son accession à l’Intérieur, le 6 mai 1961; certains
prétendent que les deux ministres se fréquentaient depuis cette date, le
Français se rendant en famille chez le Marocain [44].
Le second, directeur de la Sûreté nationale en Algérie (janvier
1960-novembre 1961), puis en métropole (janvier-décembre 1962), eut des
relations avec son homologue marocain à l’occasion d’affaires aussi
diverses que la prostitution, le trafic de devises et la lutte contre
l’OAS.
Lutte que coordonna le troisième, à la demande de son
ami Frey, rencontré en 1947 au service d’ordre du Rassemblement pour la
France (RPF), avant de mettre en musique l’opération dessinée par le
Mossad. Ces trois hommes figurent parmi la fine fleur des réseaux de
renseignement gaulliste. Grimaud était plus atypique, proche de François
Mitterrand. Le 7 janvier 1963, Oufkir lui présenta «son messager», le
commissaire El Ghali El Mahi [45].
Un cinquième homme était un habitué du Crillon et de
la famille Oufkir, mais dont le rang social ne permit probablement pas
de figurer parmi ces «amis français» du ministre marocain de
l’Intérieur: Antoine Lopez. Inspecteur principal d’Air France (1963), il
méritait à tout point de vue son surnom de «Savonnette». Approché par
le SDECE lorsqu’il n’était encore que chef de trafic à l’aéroport de
Tanger (1953-1956), il devint, peu après sa mutation à Orly, un
«honorable correspondant d’infrastructure (HCI)» (1958) du service VII
(service de recherche opérationnelle).
Cette ascension rapide en disait long sur son
entregent pour recueillir des informations brutes, comme en attesta sa
progression professionnelle de sous-chef, puis chef du service passages,
puis du centre de permanence.
Au SDECE, Lopez fut considéré comme une source
généralement fiable, c’est-à-dire qu’il était côté B. Courant 1962, il
devint «collaborateur» de la brigade mondaine; il fut traité par Louis
Souchon, chef de groupe de la section chargée de la répression des
trafics de stupéfiants. Mais ce «combinard-type» [46]
cacha bien son changement de légitimité, effectif au début de l’été
1965, pour devenir un agent marocain. Ce processus avait été entamé dès
l’époque que Lopez passât à Tanger [47].
Le 29 juin 1965, Dlimi lui octroya un laissez-passer du ministère de l’Intérieur marocain [48].
Depuis le printemps, il cherchait à se faire détacher d’Air France, où
il était sur une voie de garage, vers la direction des relations
extérieures de Royal Air Maroc, avec l’appui d’Oufkir et, à Paris, du
SDECE [49].
Dans l’opération marocaine, le rôle de Lopez fut double. D’une part, il
désinforma son officier traitant au SDECE, le colonel Marcel Leroy
(Finville), lui distillant suffisamment de données pour pouvoir
justifier son rang d’HCI, photographiant les documents de la réunion du
Caire de la Tricontinentale, contenus dans la serviette d’un agent
marocain le 5 septembre [50], mais omettant les éléments qui auraient permis d’identifier l’opération en cours [51]. D’autre part, il assura la logistique (hommes du milieu et domiciles privés) de l’opération marocaine en France.
Si Oufkir mobilisa son réseau de soutien, Dlimi
choisit d’envoyer, sous fausse identité, son collaborateur, le jeune
commissaire Miloud Tounsi (Larbi Chtouki), infiltrer l’entourage
parisien de Ben Barka. Rapidement, courant avril, son choix se porta sur
Philippe Bernier, un jeune journaliste autant gauchiste qu’impécunieux.
Il figurait peut-être sur les tables du CAB1, tant il
s’agissait d’une figure connue au Maroc: outre sa proximité avec
l’ancien président de l’Assemblée consultative, il fut
producteur-directeur des programmes de Radio Maroc (1954-1956), puis
anima un réseau de soutien à la résistance algérienne (1958-1960), avant
d’occuper brièvement un poste de chargé de mission à la présidence
algérienne (printemps 1962) [52].
Soupçonné d’être un agent de la Sécurité militaire
algérienne aussi bien que du Mossad, il ne fut qu’un idéaliste, «un
journaliste parfaitement intègre» [53]
embarqué dans une affaire qui le dépassa. S’il fut choisi initialement
pour son contact avec Ben Barka, contre des fonds qui lui permirent de
mettre en chantier le n° 0 d’un nouveau magazine destiné à la jeune
génération, L’Inter Hebdo, il présenta un nouvel intérêt lorsqu’au début
de l’été 1965 le CAB1 dut mettre en œuvre le scénario israélien de film
sur les mouvements révolutionnaires dans le monde. En effet, son
entreprise éditoriale était adossée sur la Société d’étude de presse
L’Inter, 17 rue Joubert, dans le 9e arrondissement parisien; cette
dernière offrit une couverture idéale pour héberger la tentative
d’approche de Ben Barka [54].
La mise en œuvre de l’opération imaginée par les
Israéliens commença le 30 août 1965. A cette date, Chtouki se vit
délivrer le passeport de service n° 551 par le ministère marocain de
l’Intérieur [55].
Le lendemain, il arriva à Paris et rencontra Bernier et Lemarchand.
Après explication du scénario, l’avocat entreprit de rédiger, sous la
dictée de Chtouki, un questionnaire qui servirait à l’interview de Ben
Barka, pour la partie du tournage liée au Maroc et aux événements de
mars 1965.
Puis il invita Bernier à rencontrer un de ses amis de
collège, qui avait ses entrées dans le monde du cinéma français,
Georges Figon. Omit-il de dire qu’il ne fût qu’un petit délinquant,
sorti d’hôpital psychiatrique au printemps, et impliqué dans les trafics
de dinars? Chtouki, et à travers lui, le CAB1, le savait, puisqu’il
traitait les truands chargés des «procédés non-orthodoxes», signalés par
Lopez à Leroy le 12 mai; ces procédés ne consistaient en rien d’autre
que l’enlèvement.
Avec l’opération marocaine, Lemarchand retrouva les
échos de ses activités barbouzardes contre l’OAS. Figon fut son
intermédiaire avec le milieu interlope qui prit ses quartiers, en
attendant Chtouki, à la résidence Niel. Lemarchant intervint également
auprès du commissaire des Renseignements généraux de la Préfecture de
Police de Paris, Jean Caille, pour faire octroyer un passeport à son
«adjoint», celui-ci étant toujours soumis au contrôle judiciaire. Par
contre, Figon utilisa les services de l’inspecteur Roger Voitot, adjoint
de Souchon à la brigade mondaine, pour remplacer le passeport périmé de
Bernier. Ainsi, Chtouki, le journaliste Bernier et le «producteur»
Figon purent-ils se rendre au Caire le 2 septembre 1965. Le lendemain,
le trio rencontra Ben Barka. Il lui soumit le projet de film, au titre
évocateur de Basta!, évoqua le cinéaste Georges Franju, très en vue à
l’époque pour son réalisme sans concession.
Malgré ses multiples occupations, qui l’avaient
obligé à repousser les demandes répétées au printemps et à l’été de
Moulay Ali, ambassadeur du Maroc à Paris, de revenir au pays, le
président du comité préparatoire de la conférence Tricontinentale
s’emballa pour ce documentaire. Il accepta de revoir ses promoteurs à
Genève, entre deux voyages à travers le monde, le 20 septembre et le 6
octobre suivant. Pour cette dernière réunion, Figon fit le voyage seul.
Bernier lui confia une lettre d’introduction à entête de la Société
d’étude de presse L’Inter, datée de la veille à Paris, ainsi qu’un
contrat, daté de Genève, le jour de la rencontre avec Ben Barka. Une
troisième rencontre fut prévue à Paris, en présence du réalisateur. La
date fut fixée au 29 octobre, à Paris.
La veille, apprenant ses difficultés à renouveler son
autorisation de séjour en Suisse, Ben Barka joignit le cabinet de Roger
Frey pour s’enquérir de deux choses: la présence d’Oufkir à Paris et
son libre accès au territoire français. Comme il lui fut assuré que rien
ne s’opposait à sa venue en France, l’opposant marocain refusa les
mesures de protection qui lui furent offertes [56].
S’il est impossible d’identifier le correspondant français -Jacques
Aubert? -, ou d’affirmer que la conversation eut véritablement lieu au
ministère de l’Intérieur parisien, et encore moins d’assurer
l’authenticité de ce coup de fil, il semble toutefois qu’il s’agît de la
seconde partie de la manipulation du Mossad sur l’avocat suisse.
Pendant que Chtouki, Bernier et Figon appâtaient Ben
Barka, le commissaire El Ghali El Mahi vint officiellement s’inscrire à
l’Ecole des Hautes études commerciales. En fait, l’«ordonnance» de la
famille Oufkir lorsqu’elle prenait ses quartiers à Paris avait une autre
mission, celle d’ordonnance de Chtouki, qui ne connaissait pas la
capitale française. Il représenta donc ce dernier auprès des truands,
abrités à la résidence Niel à compter du 21 septembre.
A peine remis de sa stupeur en apercevant Lemarchand
accompagnant Figon à l’avion de Genève deux jours plus tôt, Lopez
s’imagina que les Marocains étaient en train de le doubler. Son
détachement pour Royal Air Maroc était au point mort, malgré les
contacts pris par Leroy à Air France, auprès d’Henri Barnier, un ancien
du SDECE reconverti chef du cabinet du directeur général de la compagnie
nationale, et avec la secrétaire de Roger Frey, Henriette Renaud, au
cours d’une réception donnée à l’occasion du mariage de sa fille, en
juillet. «Savonnette» connaissait aussi les truands recrutés par
Chtouki. Il était même l’interlocuteur privilégié de Georges
Boucheseiche, proxénète bien connu des deux côtés de la Méditerranée et
ancien de la Gestapo française de la rue Lauriston et du gang des
tractions avant. Il partageait leurs doutes quant à la sincérité du
CAB1: il ne s’agissait pas de la mission, bien sûr, mais de la
rémunération.
Cette question les agita du 10 au 27 octobre, Figon
se montrant finalement le plus instable et menaçant d’utiliser ses
contacts journalistiques pour déverser sa bile dans les jours qui
suivirent [57]. Lopez préféra dévoiler l’opération Bernier-Figon à Leroy [58].
Il fit de même après l’enlèvement, taisant naturellement son rôle, en
téléphonant au chef du service VII… alors qu’il savait qu’il serait
absent de chez lui ou de son bureau.
Si le SDECE fut maintenu consciemment sous embargo,
hormis peut-être le directeur de la recherche, le colonel René Bertrand
(Jacques Beaumont), il n’en alla pas de même du cabinet du ministre de
l’Intérieur. Outre la conversation téléphonique du 28 octobre avec Ben
Barka, son implication apparut sous deux aspects. Le premier était le
plus connu, toujours au téléphone, à 10 heures et demie, à travers
l’autorisation imputée à Jacques Aubert, bien que la voix perçue par
l’auditeur fut différente de celle de l’orateur, donnée à Louis Souchon
de répondre à la réquisition de Lopez.
Le 28 octobre, le «collaborateur» de la brigade
mondaine offrit à son officier traitant une tricoche, c’est-à-dire une
rémunération pour services rendus à des intérêts privés. Il n’aurait
qu’à «interpeller un bic», ainsi que Souchon l’expliqua le lendemain au
commissaire-adjoint Lucien Aimé Blanc, responsable du parc automobile de
la brigade. Le second aspect est moins connu: du 10 septembre au 25
octobre, le cabinet du ministre de l’Intérieur autorisa le commissaire
Gaston Boué-Lahorgue, un ancien des barbouzeries anti-OAS devenu chef de
la Brigade de documentation et de recherche criminelle de la Direction
générale de la police nationale (DGPN), à mener des écoutes à Paris, en
contradiction avec la procédure qui voulait que seule la Préfecture de
Police fût compétente dans le ressort de la capitale.
La cible était la résidence Niel, un hôtel de rendez-vous
assez bien agencé et dirigé par le proxénète parisien Marius
Chataignier. Tous les truands sélectionnés par Chtouki et Boucheseiche y
résidèrent jusqu’au 23 octobre [59].
Ces écoutes signifiaient soit, que Roger Frey se méfiait aussi de
Mohamed Oufkir, soit qu’il tenait à anticiper un mauvais coup de ces
criminels, armés depuis le 21 septembre. Dans un cas comme dans l’autre,
il savait qu’une opération marocaine était en cours et que la structure
de soutien était la Préfecture de Police.
Evidemment, il ne soupçonna pas l’implication du Mossad.
Lorsque le décès de Ben Barka fut constaté, le 29 octobre, la panique
prit toute l’équipe marocaine, les truands, Chtouki et même Lopez; ce
dernier ne savait que trop quelle était sa responsabilité dans
l’affaire, lui qui avait désigné, camouflé derrière d’épaisses lunettes
noires et de fausses moustaches, à Souchon et Voitot la personne de Ben
Barka sur le trottoir de l’avenue des Champs-Elysées. Après avoir été
ramené à Paris, vers 13 h 30 par les deux policiers, Lopez rejoignit
Boucheseiche à Fontenay-le-Vicomte. Entre temps, il téléphona à Leroy,
laissant un message laconique à son officier-traitant qu’il savait
pertinemment en réunion, comme tous les vendredis [60].
Ben Barka décédé, il dut regagner
Orly pour téléphoner au Maroc, mais à entre 17 h 32 et 17 h 38, il ne
toucha que les directeurs de cabinet de Dlimi, le commissaire principal
Abdelhaq Achaâchi, et d’Oufkir, Hajj Ben Alem. Le général rappela
seulement vers 22 h 30, annonçant son arrivée par l’avion de nuit;
seulement, il dut passer par Fès, pour «rendre compte au patron»,
c’est-à-dire à Hassan II. Si le décès avait été prévu, il est clair que
l’avis du souverain n’aurait pas été nécessaire pour poursuivre
l’opération! Et Dlimi n’aurait pas eu besoin d’abandonner la préparation
du déplacement du roi à Alger, pour le sommet afro-asiatique du 1ernovembre.
Lui aussi annonça tardivement son arrivée avec l’avion du lendemain.
Mais l’un et l’autre durent repousser leur venue à la fin d’après-midi
et au début de soirée du 30 octobre.
Dlimi profita de ce délai aérien pour se concerter avec Oufkir et appeler Naftali
Keinan, chef de la section Tevel du Mossad. Ils convinrent de se
retrouver à Orly, où après quelques propos, ils préférèrent se revoir
après l’arrivée d’Oufkir, à la porte de Saint Cloud; leur rencontre fut
surveillée par Eliezer Sharon et Zeev Amit, un cousin du chef de Meir
Amit.
Là, Dlimi lui indiqua la route pour gagner la maison
de Lopez où Ben Barka fut conduit après son enlèvement et où il trouva
la mort. Keinan demanda à Emanuel Tadmor, le chef de poste du service
israélien à Paris, d’y envoyer en urgence une équipe de quatre personnes
(Eliezer Sharon, Zeev Amit, Rafi Eitan et Shalom Baraq) couverte par
d’autres agents planqués dans deux voitures diplomatiques, s’occuper de
la dépouille. Ils l’enveloppèrent, le mirent dans le coffre de la
voiture diplomatique de Baraq et se dirigèrent vers le périphérique pour
quitter Paris.
Le corps de Ben Barka fut enterré nuitamment dans un
bois au nord-est de Paris, en un lieu où les agents du Mossad avaient
l’habitude de faire des pique-niques avec leurs familles. Ils versèrent
ensuite sur et sous le corps un produit chimique, acheté en petites
quantités dans plusieurs pharmacies de Paris, puis versèrent de la chaux
et enfin recouvrirent la dépouille.
Quelques heures plus tard, la pluie
activa les produits chimiques et le corps se dissout.
En l’absence de
corps, l’enquête n’en serait que plus difficile.
Le lendemain matin, à
cinq heures, Oufkir, Dlimi et Chtouki quittaient Paris, l’un pour
Genève, les autres pour Casablanca.
Le 31 octobre, Boucheseiche s’envola
à son tour pour Casablanca.
Peu après, Lopez rendit compte à Leroy de
ces allers et retours, n’en sachant à vrai dire pas plus. Sinon, il tut
la mort de Ben Barka, s’évitant de quelconques poursuites ultérieures [61].
Les services de renseignement et l’affaire Ben Barka
Dès le 30 octobre au soir, des bruits entourant la disparition de dirigeant de l’UNFP se répandirent dans Rabat [62],
alors que l’événement passa presque inaperçu dans les premiers jours à
Paris. Toutefois, l’annonce par Europe 1 de la disparition de Ben Barka,
à 19 heures, alerta Leroy. Mais il ne put rien faire en raison du long
week-end qui s’annonçait. Néanmoins, il nota «mentalement de rappeler au
général Jacquier, après les fêtes de Toussaint, le mardi suivant, nos
deux rapports des 19 mai et 22 septembre», puis d’en rédiger un nouveau
suite à la conversation qu’il aurait avec Lopez [63].
Le chef du service VII imaginait déjà avoir été dupé
par son HCI. Il en eut le pressentiment dès le 22 septembre, lorsque
Lopez lui dévoila l’opération israélienne. Leroy ne dit-il pas à cette
occasion à son rédacteur pour les questions arabes, Marcel Chaussée
(Marc Desormes): «Je crois que les Marocains viennent plutôt à Paris
pour flinguer (sic) Ben Barka».
Ces propos furent prononcés trois quarts d’heure
après que le chef du service VII eût demandé à son subordonné de rédiger
une note sur la politique d’Hassan II après les révélations de Lopez [64].
Leroy tint-il ces propos d’une conversation qu’il eût, le 22 septembre,
avec son supérieur, le colonel Bertrand (Jacques Beaumont)?
La question ne fut jamais posée car le SDECE fut emporté dans une vaste «opération d’intoxication» [65].
Dès l’annonce de la disparition de Ben Barka, les «amis français»
d’Oufkir s’ingénièrent à distiller dans la presse une vérité incriminant
le service de renseignement extérieur. Le 3 décembre, l’ambassadeur
britannique Cynlais Morgan James, put ainsi noter: «Prétendument
corrompu, véreux, dépourvu d’une bonne direction ou d’un vrai contrôle,
le SDECE va prendre une dérouillée très sévère » [66].
A ce petit jeu médiatique, ce dernier répondit par le
plus grand mutisme, permettant toutes les hypothèses, en premier lieu
celle de l’implication du SDECE dans cette disparition. Ce silence
extérieur se traduisit à l’intérieur du service dans une note du
directeur général, le 3 novembre, prescrivant à son directeur de la
recherche – qui répercuta dans les services – de «ne rien faire dans
l’histoire Ben Barka (pas d’initiative)» et surtout pas «orienter
particulièrement nos sources» [67], en l’occurrence le poste de Rabat.
Dans sa dépêche du 3 décembre, Cynlais Morgan James
établissait dans cette ville l’élaboration du complot «par le service de
sécurité marocain et des représentants régionaux du SDECE. Les deux
agents du SDECE ne semblaient pas être haut placés» [68] ;
l’information venait d’une «source sûre», mais rien ne dit que cet
ancien officier de renseignement dans la Royal Air Force pendant la
Seconde Guerre mondiale ne fut pas également intoxiqué par les mêmes
«amis français» du Maroc qui attaquèrent le SDECE. Un fonctionnaire du
Foreign Office, lui-aussi ancien officier de renseignement jusqu’en
septembre 1956, tenta «de résumer ce que [la diplomatie britannique]
savait de l’affaire Ben Barka».
Il conclut que «mis à part [un] télégramme de Paris
(…) et deux lettres de Rabat, nous dépendons d’articles de presse, dont
certains sont peu fiables» [69].
Les télégrammes déclassifiés de la CIA, entre le 2 novembre 1965 et le
1er janvier 1967, relayèrent également, à 77 %, les publications de la
presse [70].
Pour autant, le 3 novembre 1965, Jacquier se méfia-il
de ses agents sur le terrain, dont l’un d’eux, le capitaine Jarry,
était très lié à Oufkir [71] ?
Ou bien de son responsable géographique Monde arabe (III/A), le colonel
Tristan Richard? Ou encore du colonel René Bertrand (Jacques Beaumont),
véritable chef du SDECE et premier recruteur, à Tanger, de Lopez?
Ou bien comprit-il que tout cela fut attaque en règle
de la part des parties à cette affaire, aussi bien à la Préfecture de
Police qu’au ministère de l’Intérieur, et que la meilleure des positions
fût de laisser le réseau marocain du service en état de léthargie afin
de voir ce qu’il se passerait?
Le directeur-général du SDECE, le général Paul
Jacquier, qui n’était pas un homme du renseignement, ne se prononça
jamais sur ses doutes et options. Néanmoins, ces questions s’éclairaient
à la lumière du climat régnant au sein du service, au lendemain du long
week-end de Toussaint. Comme à chaque fois depuis 1958, les officiers
de renseignement, personnels militaires et civils, s’attendirent à une
nouvelle purge.
Leroy devint bientôt la victime expiatoire idéale.
Lui-même chercha vainement à se défausser sur ses subordonnés, réputés
proches de l’OAS, comme Marcel Chaussée (Marc Desormes).
Cette solution à courte vue s’imposa en raison des
élections présidentielles qui allaient se dérouler, le général de
Gaulle, président sortant n’ayant pas encore annoncé s’il se
représentait.
Un scandale impliquant la police, et à travers elle
l’Etat, ne pouvait être que désastreux pour sa réélection.
Qui plus est,
ce coup de projecteur sur le service de renseignement permettrait de
faire le ménage.
D’une part en éliminant la tendance pro-OAS qui
rendait cette administration particulière difficilement commandable
depuis 1961.
D’autre part en réaffectant administrativement le service.
Ces grandes décisions furent repoussées à après les élections, tant il
était clair que le général de Gaulle fût réélu. Le 18 janvier 1966,
Leroy fut suspendu de ses fonctions; son arrestation et sa mise sous
écrou intervint le 10 février suivant.
Le lendemain, le Conseil des ministres retira le
SDECE à l’autorité du Premier ministre pour la confier au ministre des
Armées. Le général Jacquier fut admis à faire valoir ses droits à la
retraite. Bertrand resta en place encore quatre ans. Le 10 novembre
1970, suite au soupçon d’être un «agent de l’Est», il fut remplacé
furtivement (un an) par le colonel Richard. Le service VII fut supprimé,
son personnel et ses fonctions opérationnelles réparties entre les
autres services, notamment Action. Pour sa part dépossédé du SDECE, le
Premier ministre Georges Pompidou nota que: «les chefs de service ne
[semblaient] pas avoir couvert le moins du monde leurs subordonnés; ni
le préfet de Police Papon, ni le général Jacquier qui n’étaient pas au
courant eux-mêmes». Toutefois, il pointa l’absence de «coopération entre
les services. Les polices [72] se détestaient ensemble elles détest[aient] les services spéciaux, et ce monde détestaient la justice» [73].
En Israël également, la révélation de la disparition de Ben Barka tourna à l’affaire politique. Les
quelques personnes qui connaissaient l’implication du Mossad pensèrent
d’abord pouvoir l’éviter. Au fond, le service n’avait offert qu’«une
assistance technique minimale», selon un télégramme envoyé de la station
parisienne du Mossad à Amit. Le 5 novembre, ce dernier put dire au
Premier ministre Eshkol que «les Marocains avaient tué Ben Barka. Israël
n’avait aucune connexion physique à l’acte en lui-même.» Seulement,
cette vision ne fut qu’une description partielle, voir évasive, des
évènements. Pour Amit, «La situation était satisfaisante (…) Si des
erreurs [avaient] été faites ici et là, elles n’étaient pas dus à
l’inattention, mais à l’absence de moyen de prédire ce qui se passerait.
Les gens sur le terrain, qui avaient travaillé sous la pression du
temps et dans les circonstances les plus difficiles, firent quelques
erreurs, et je prends toute la responsabilité sur moi. Malgré les
erreurs, nous sommes encore dans les limites de sécurité que nous nous
sommes fixés.»
Mais Amit oubliait l’histoire interne de son service.
Se dressa contre lui son prédécesseur, Isser Harel, connu comme le
«père du renseignement israélien», et à ce titre se croyant détenteur de
droit sur le Mossad. Surtout, il avait été forcé de quitter son poste
suite à un différend avec David Ben Gourion. Consultant pour les
affaires de renseignement d’Eshkol, il n’attendait qu’un faux pas d’Amit
pour montrer que son successeur n’était pas digne de ses fonctions. La
médiatisation internationale de la disparition de Ben Barka en était une
et il entendait s’en saisir. Mais, contrairement à ce qui se passa à
Paris, le Premier ministre soutint son directeur du service de
renseignement. Harel ne démissionna qu’en juin 1966, suivit par son plus
grand allié à l’intérieur du Mossad, l’artisan de la liaison avec le
Maroc, Yaagov Caroz [74].
Aigri par la tournure des événements, il confia à Maxime Ghilan et Schmuel Mohr, tous deux journalistes à Bul (Cible), un magazine semi-pornographique, une documentation présentant l’apport technique du Mossad
(appartement de repli, passeports, matériel de maquillage, fausses
plaques, poison), mais taisant l’opération de manipulation, même si
l’implication d’Arthur Cohn était mentionnée.
L’auditeur militaire israélien fit saisir le numéro du 11 décembre 1966 de Bul, mais cinq cents exemplaires avaient déjà quitté le pays. L’article «Des israéliens dans l’affaire Ben Barka» fut publiée dans The New York Times du 19 février 1967, et repris dans Le Monde et France Soir du 22 février suivant.
L’«opération d’intoxication» toucha également, dès le 2 novembre 1965 [75],
la CIA qui, comme le SDECE, n’avait rien à voir dans ces événements.
«Il n’était toujours pas connu au juste de quoi il en retourne
exactement, et nous ne voulons pas y être mêlés» fut la réponse que le
service américain entendit faire passer par le biais du département
d’Etat [76].
Mais le désordre qui toucha ces services de renseignement fut aussi
l’occasion pour les services de l’Est, guerre froide obligeait,
d’exploiter les difficultés de la partie adverse. Dès le 12 novembre
1965, le StB décida de lancer une Opération Départ
dont les objectifs étaient d’attirer les soupçons sur le gouvernement
américain et la CIA, pour faire croire qu’ils étaient les organisateurs
directs du rapt, tout en dénonçant d’une part pour compromettre autant
que possible la police, les services de renseignement français et
Charles de Gaulle, et d’autre part Hassan II, Oufkir, Dlimi, les cadres
du régime, tous présentés comme des «larbins actifs de l’impérialisme»
ou des agents de l’espionnage américain. En France, un journaliste du
Canard enchaîné (Pipa) contribua à l’opération de déstabilisation du StB
[77].
Bien que du point de vue marocain l’opération fut un
ratage total, ni le ministre de l’Intérieur, ni le directeur-adjoint de
la Sûreté nationale, ni le chef du CAB1 ne furent ennuyés par l’enquête
judiciaire qui se déroulait en France. Dès le 3 novembre, l’ambassadeur
marocain à Paris, Moulay Ali, fut remplacé par Laghzaoui. Hassan II
optait pour le conflit avec Charles de Gaulle. Quant aux truands, ils
furent placés sous surveillance du CAB1.
Les inculpations d’Oufkir et de
Dlimi restèrent non seulement lettre morte, mais le ministre de
l’Intérieur devint l’enjeu des rapports diplomatiques [78] entre les deux pays pour quinze ans.
Lorsque le procès des protagonistes français débuta
le 5 septembre 1966, le souverain marocain tenta une dernière manœuvre
dilatoire: le 19 octobre, le commandant Dlimi se présenta au palais de
justice et se constitua prisonnier. Cette «initiative personnelle» lui
valut cent vingt jours d’arrêt de rigueur et une promotion au grade de
lieutenant-colonel. Interrompu le temps de la nouvelle instruction, le
procès reprit le 17 avril 1967.
Le 5 juin, Dlimi fut blanchi par la cour d’assise de Paris, tandis
qu’Oufkir et les truands furent pour leur part condamnés par défaut à
la réclusion à perpétuité. Antoine Lopez et Louis Souchon écopèrent de
six et huit ans de réclusion. Leroy fut libéré mais sa carrière dans le
renseignement était finie.
Quant à Oufkir, son aura grandit dans la
population autant que son étoile pâlit aux yeux de son souverain. Il
sombra dans la boisson et finit par tenter de renverser Hassan II. Il
fut exécuté le 16 août 1972. Quelques heures plus tard, les truands
furent éliminés.
Dlimi mourut dans un accident le 22 janvier 1983.
Ainsi
s’acheva, du point de vue du renseignement, l’affaire Ben Barka.
Gérald Arboit – Mai 2015
* POUR ALLER PLUS LOIN
http://www.renenaba.com/la-jordanie-et-le-maroc-deux-voltigeurs-de-pointe-de-la-diplomatie-occidentale/
1Jean-Paul Marec, La ténébreuse affaire Ben Barka. Les grandes affaires de ce temps, Paris, Les Presses noires, 1966; François Caviglioli, Ben Barka chez les juges, Paris, La Table ronde de Combat, 1967; Roger Muratet, On a tué Ben Barka, Paris, Plon, 1967; Daniel Guérin, Les assassins de Ben Barka, dix ans d’enquête, Paris, Guy Gauthier, 1975 et Ben Barka, ses assassins, Paris, Syllepse & Périscope, 1991; Bernard Violet, L’affaire Ben Barka, Paris, Fayard, 1991; René Gallissot, Jacques Kergoat (dir.), Medhi Ben Barka. De l’indépendance marocaine à la Tricontinentale, Paris, Kerthala/Institut Maghreb-Europe, 1997; Zakya Daoud, Maâti Monjib,Ben Barka une vie une mort, Paris, Michalon, 2000; Maurice Buttin, Ben Barka, Hassan II, De Gaulle, ce que je sais d’eux, Paris, Karthala, 2010; Mohamed Souhaili,
L’Affaire Ben Barka et ses Vérités, Paris, La Procure, 2012…
2Archives de la Préfecture de Police de Paris, E/A 1390 (articles de presse) et HB3
1-9, Renseignements généraux (1965-1967)*; Archives nationales,
Pierrefitte, 19870623/41-42, dossier de la Section des étrangers et des
minorités des Renseignements généraux*, 2003327/2, enquête judiciaire
(1965-1967), 19920427/42-44, dossier de la Direction générale de la
Police nationale (1965-1967); Documents diplomatiques français
[DDF], 1965-II, 1966-I et 1966-II, Paris/Bruxelles, Ministère des
Affaires étrangères/Peter Lang, 2004 et 2006; Roger Faligot, Pascal Krop
(RFPK),
La Piscine. Les services secrets français 1944-1984, Paris, Seuil, 1985, p. 390-405; Pascal Krop (PK), Les secrets de l’espionnage français de 1870 à nos jours,
Paris, Lattès, 1993, p. 798-821 (dans les deux cas, il s’agit de
documents provenant du dossier de Marcel Le Roy, colonel du SDECE
contraint de démissionner suite à l’Affaire).
3FOIA
CIA et David S. Patterson, Nina Davis Howland (Dir.), Foreign Relations
of the United States, 1964-1968, XXIV, Africa [FRUS], Washington,
United States Government Printing Office, 1995.
4Service historique de la Défense, Département de l’armée de Terre, Vincennes, 6 Q 32/3.
5Ignace Dalle, Les trois rois. La monarchie marocaine de l’indépendance à nos jours, Paris, Fayard, 2004, p. 203.
8Gérald Arboit, Des services secrets pour le France. Du dépôt de la Guerre à la DGSE (1856-2013), Paris, CNRS Editions, 2014, p. 269-274.
10Bureau central des archives administratives militaires, Pau, 134953.
12Roger Muratet, op. cit., p. 160.
14Dlimi était à Pau à l’automne 1956, comme adjoint au commandant de la 1re Compagnie de parachutistes marocains à l’instruction [Jamila Abid-Ismaïl, Calvaire conjugal, Casablanca, Eddif, 2007, p. 53].
15Avec
les précautions d’usage relatif à tout travail journalistique et
éludant les effets sur les forces de sécurité marocaines, cf.
Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort. L’Ecole française, Paris, la Découverte, 2004.
16Maurice Buttin, op. cit., p. 72 ; Gérald Arboit, op. cit., p. 278-279 ; Raymond Aubrac, Où la mémoire s’attarde, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 233.
17Philippe Bernert, SDECE Service 7. L’extraordinaire histoire du colonel Le Roy-Finville et des clandestins, Paris, Presses de la Cité, 1980, p. 89, 268.
18FOIA
CIA, 51966ec6993294098d509ff5, note de criblage, 19 mars 1963 ;
51966ec6993294098d509ff5, Ugo Antonio Emanuele Dadone (Desdemone),
« “colloquio Mediterraneo” Firenze 3/6 octobre 1958 », p. 14.
19Yigal Bin-Nun, «La quête d’un compromis pour l’évacuation des Juifs du Maroc», Pardès, n° 34, 2003/1, p. 75-98.
20Archives de l’Etat d’Israël (AEI), Jérusalem, Ministère des Affaires étrangères, 2525/9, Easterman à Goldmann, 1er
juillet 1957; 4317/10/II, télégr. Shneurson suite à sa conversation
avec Easterman, 19 janvier 1958; 4318/10/II, Easterman à Laghzaoui, 26
novembre 1958. Cf. Yigal Bin-Nun, «The contribution of World
Jewish Organizations to the Establishment of Rights for Jews in Morocco
(1956-1961)», Journal of Jewish Modern Studies, n° 9/2,2010, p. 251-274.
22Ibid.,
4319/4/1, rapport de Chouraqui, Chouraqui à Castel et Gazit à Castel,
24 mars 1960. Cf. Yigal Bin-Nun, «Chouraqui diplomate. Débuts des
relations secrètes entre le Maroc et Israël», Perspectives, Revue de l’Université hébraïque de Jérusalem, n° 15, 2008, p. 169-204.
23Archives de l’Úřad pro zahraniční Styky a Informace (AÚZSI), Prague, 43802-20, rapport de Mičke, 1eravril 1960.
29Petr Zídek, Karel Sieber, Československo a Blízký východ v letech 1948-1989 [La Tchécoslovaquie et le Moyen-Orient, 1948-1989], Prague, Ústav mezinárodních vztahů, 2009, p. 220-225.
31Ian
Black, Benny Morris, Israel’s Secret Wars. A History of Israel’s
Intelligence Services, New-York, Grove Press, 1992, p. 179 ; Yigal
Bin-Nun, « La quête d’un compromise…, op. cit., p. 83-95.
32Stephen Smith, op. cit., p. 232.
33Raouf Oufkir, Les invités, Vingt ans dans les prisons du Roi, Paris, Flammarion/J’ai lu, 2005, p. 370-373, citant Y. Bin-Nun, Les relations secrètes entre le Maroc et Israël, 1955-1967,
manuscrit et cycle de conférences au Centre Communautaire de Paris,
2004; Yigal Bin-Nun, «Les agents du Mossad et la mort de Mehdi Ben
Barka», La Tribune juive, 1er avril 2015.
34Cf.
Karen Farsoun, Jim Paul, «War in the Sahara: 1963», Middle East
Research and Information Project, n°45, mars 1976, p.13-16 ; Piero
Gleijeses, «Cuba’s First Venture in Africa: Algeria, 1961-1965», Journal
of Latin American Studies, vol. 28, n° 1, février 1996, p.159-195.
35Michel
Bar Zohar, Nissim Mishal, Mossad les grandes opérations, Paris, Plon,
2012, p. 178-179 et Ronen Bergman, Shlomo Nakdimon, «The Ghosts of
Saint-Germain Forest», Yediot Aharonot, 23 mars 2015.
36Ahmed
Boukhari, Raisons d’Etats. Tout sur l’affaire Ben Barka et d’autres
crimes politiques au Maroc, Casablanca, Maghrébines, 2005, p. 89 [ce
livre, bourré d’affabulations, doit être manié avec précautions, malgré
des éléments issus des permanenciers du CAB1 toujours classifiés].
37Ephraim
Kahara, «Mossad-CIA Cooperation», International Journal of Intelligence
and Counterintelligence, vol. 14, n° 3, 2001, p. 409-420.
38Yigal Bin-Nun, «La négociation de l’évacuation en masse des Juifs du Maroc», Shmuel Trigano (dir.),La fin du Judaïsme en terres d’Islam, Paris, Denoël, 2009, p. 357.
39Muhammad Hassanein Haykal, كلام في السياسة (Propos politiques), Le Caire, Al-Misriyya linarch, 2001, cité par Abdelhadi Boutaleb, Un demi siècle dans les arcanes du pouvoir, Rabat, Az-Zamen, 2002, p. 274.
44Ahmed Boukhari, op. cit., p. 103.
45Maurice Grimaud, Je ne suis pas né en mai 1968. Souvenirs et carnets (1934-1992), Paris, Tallandier, 2007, p. 270-271.
46Roger Muratet, op. cit., p. 163-164.
47Cf. les propos d’Ali Benjelloun, in DDF, 1966-1, Beaumarchais, 20 août 1966.
51PK,
p. 798-800, « Compte rendu de voyage effectué du 8 au 10 mai 1965 »,
annexé à la note VII/102/010/100 du 17 mai 1965 de Leroy à Richard. Note
VII/1912/R du 22 septembre 1965 de Leroy à Bertrand (non publiée)
reprise dans RFPK, p. 391-393, note 5140/DG/CAB du 22 décembre 1965 de
Jacquier à Zollinger ; Ibid., p. 395-397, Leroy à Bertrand, sd [3 novembre 1965].
52Roger Muratet, op. cit., p. 169-174.
53Philippe Bernert, op. cit., p. 328.
54World’s Press News and Advertisers’ Review, 18 juin 1965, p. 14 ; Roger Muratet, op. cit., p. 221.
55Bernard Violet, op. cit., p. 153.
56Zakya Daoud, Maâti Monjib, op. cit., p. 347.
61Ibid., p. 350-352 ; Ronen Bergman, Shlomo Nakdimon, op. cit. ; Yigal Bin-Nun, « Les agents du Mossad et la mort de Mehdi Ben Barka », La Tribune juive, 1er avril 2015.
62DDF, 1965-II, télegr. N° 3671, 31 octobre 1965.
63RFPK, p. 395-397, et PK, p. 807-809, Leroy à Bertrand, sd.
64Archives privées, M. Chaussée-Desormes, 13 février 1981.
65Philippe Bernert, op. cit., p. 350, 353.
66The National Archives, Kew (TNA), Foreign Office, 371/184006, James à Brown.
67Philippe Bernert, op. cit., p. 368, RFPK, p. 398, et PK, p. 801, Bertrand à Leroy, 3 novembre 1965.
70FOIA CIA, série 75-00149R.
72Police judiciaire, DST, RG, Préfecture de Police de Paris.
73Alain Peyrefitte, op. cit., p. 43.
74Ronen Bergman, Shlomo Nakdimon, op. cit. ; Ian Black, Benny Morris, op. cit., p. 204-205.
75FOIA CIA, CIARDP-75-00149R000100360072-6.
76FRUS, p. 179, McCluskey à Ball, 25 janvier et Rusk à Johnson, 12 février 1966.
77AÚZSI, 43802-100.
78Cf. DDF 1965-II, télégr. 2299/2300, Couve de Murville à Gillot, 6 novembre 1965.
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