Faut-il régler ses comptes avec ses parents ?



Faut-il régler ses comptes avec ses parents ?



Vaut-il mieux exploser au risque de blesser, ou taire ses reproches au risque de ne jamais régler le problème ? 

Témoignages et conseils d’experts pour éviter que le repas de Noël ne vire au cauchemar.

Noël approche. 
Avec, chez certains d’entre nous, une angoisse diffuse. 
Celle que les vieux mécanismes – la plupart du temps tenus en laisse grâce à un certain nombre de subterfuges – soient ravivés par les fêtes familiales. 

Que des paroles, des cadeaux, des attitudes nous renvoient à notre sentiment d’être mal aimé ou étouffé d’amour, jaloux ou exclu, surinvesti ou pas reconnu… 

Tous ces chagrins qui survivent à notre enfance et qui suscitent parfois en nous l’incontrôlable désir de dire une bonne fois pour toutes ce que nous avons sur le cœur.

« C’est un soir de Noël que j’ai explosé, se souvient Stéphane, 33 ans. 
Pour la énième fois au cours de la soirée, maman a répété combien les filles de mon frère, qu’elle avait couvertes de cadeaux, étaient mignonnes. 
Moi, j’étais célibataire, sans enfant, je galérais dans mon boulot et le bonheur insolent de mon frère éclaboussait tout. 

J’ai ruminé pendant tout le réveillon et le 25, je me suis levé, décidé à vider mon sac. 

J’ai dit à mes parents qu’ils avaient toujours préféré mon frère, qu’ils ne m’aimaient pas parce que j’étais un raté mais que j’étais un raté parce qu’ils ne m’avaient jamais aimé… Personne n’a rien compris, ma mère a pleuré toute la journée, je me suis excusé et on n’en a plus jamais reparlé. 

Depuis ce jour, il y a sept ans, tout le monde appréhende Noël. 
Aujourd’hui, je ne le ferais pas. 
Mais c’était le début de mon analyse. 
C’est une bonne excuse, ça ? »

C’est en tout cas un déclic habituel, commente la psychothérapeute Isabelle Filliozat : « Quand on commence une thérapie, on retrouve toutes nos émotions enfouies, toutes nos peurs, tous nos blocages. 

Et nous réalisons que c’est à nos parents que nous les devons. 
Alors nous n’avons qu’une envie, les leur renvoyer à la figure. 
Mais comme nous ne sommes pas encore dégagés de ces émotions, nos parents sont les mieux placés pour appuyer sur les mauvais boutons et tout réactiver. 
Et nous nous retrouvons dans la peau du petit enfant apeuré que l’on a été.
Des émotions d’enfant qui resurgissent

Si ce sentiment resurgit lors des réunions de famille, c’est que, le reste du temps, nous faisons taire l’enfant en souffrance que nous avons été. 
Nous avons grandi, nous sommes nous-mêmes devenus parents, nous avons construit notre vie… 

Et puis nous nous retrouvons projetés, sans préavis, dans cette enfance dont nous portons les cicatrices, intimes et profondes.

Ces empreintes inscrivent en nous le ressentiment, la colère, la rancœur et parfois la haine. 
Et nous ne parlons pas ici des sévices, de la maltraitance ou de la violence, mais d’une claque tombée au mauvais moment, de la répétition de paroles vexantes, de la position de chouchou dans la fratrie… « Il y a des blessures qui creusent des trous qui ne se referment jamais, explique la psychologue Maryse Vaillant.

Ce qui n’était pour l’un qu’un détail véniel s’est fixé dans la chair de l’autre comme une épine empoisonnée. 
Même en dehors des situations de maltraitance, alors que nous sommes devenus adultes, devenus vieux, des émotions venues de l’enfance peuvent nous maintenir dans une sorte de ressentiment avide ou amer à l’intention de nos parents. 
Ils n’ont pas été à la hauteur, ils nous ont blessés, détruits, manqués…
Et toute notre vie a été marquée par leurs manquements. 
C’est le roc indépassable sur lequel achoppe le ressentiment. » « Si l’on a le sentiment qu’il nous faut régler des comptes, c’est qu’il y a, justement, des comptes en cours, c’est-à-dire que nous sommes en dette, constate le psychiatre et thérapeute familial Serge Hefez. 
Or ce sentiment de dette est de plus en plus exacerbé dans la famille contemporaine.

Auparavant, la famille servait à transmettre des valeurs et des règles pour bien vivre en société. L’amour était donné de surcroît. Aujourd’hui, la famille est devenue le lieu d’amour par excellence. 
Sa signification même est de s’aimer et d’être aimé. 
Du coup, le sentiment de dette n’est plus mesurable puisqu’il s’appuie sur le ressenti de l’enfant que l’on a été. »



A lire également. 

Quand la famille s’emmêle de Serge Hefez. Cessons de nous jeter la pierre en famille, car ce ne sont pas tant les liens que la structure familiale qui a changé. 
Par un thérapeute familial, un essai novateur et déculpabilisant (Hachette, 2004).

Pardonner à ses parents de Maryse Vaillant. 
Après avoir démêlé les névroses familiales et personnelles se pose la question du pardon. 
Mais qu’est-ce que le pardon ? 
Un livre intimiste et émouvant ...
(Pocket, 2004).

Comment survivre à sa propre famille de Mony Elkaïm. 
La thérapie familiale à l’œuvre… 
Un livre constructif et porteur (avec Caroline Glorion, 
Seuil, 2006.


Une souffrance dangereuse à exprimer

En elle-même, insistent les psys, cette souffrance est légitime. Mais l’exprimer peut être dangereux. Car celui qui va mettre sur la table familiale des souvenirs difficiles court le risque d’entendre sa parole dévalorisée : « Tu exagères », « Tu dis n’importe quoi », « Tu inventes ». Pire : « Demande à ta sœur, tu verras… » « Ce qui arrive à un enfant fait toujours sens dans sa réalité d’enfant, explique le neuropsychiatre et thérapeute familial Mony Elkaïm. Même si ce n’est pas celle des adultes ou des frères et sœurs.

Un enfant de 3 ans qui perd sa mère dans les allées d’un supermarché pendant quelques minutes avant de la retrouver au détour d’un rayon peut vivre ces minutes-là comme les plus longues de sa vie. 

Et avoir, une fois adulte, le sentiment que sa mère ne s’occupait “jamais” de lui. 
Mais la mère, elle, peut très bien ne s’être même pas rendu compte que l’enfant la cherchait. »

Sans compter les dénis de certains parents, parce que c’est insupportable d’entendre qu’ils ont mal aimé leur enfant alors qu’ils ont fait de leur mieux. 
Accepter que papa et maman ne soient pas parfaits, c’est prendre sa place dans une lignée, dans une généalogie pleine de failles, où des générations de parents ont fait ce qu’ils pouvaient, comme ils pouvaient, avec leurs propres souffrances et leurs propres ressentiments.

Grandir, « c’est faire avec ce qu’ils sont », nous dit Maryse Vaillant. 
L’acceptation des failles parentales est une des voies ordinaires de la maturité, celle qui permet de sortir du cocon de la dépendance première. « Vouloir régler ses comptes, poursuit Serge Hefez, c’est se comporter en petit enfant. 
Comme le nourrisson qui prête à ses parents la puissance et le pouvoir de le rendre heureux. »

D’autant que des règlements de comptes mal vécus renforcent chez l’enfant le sentiment de ne pas être écouté, voire de ne pas être aimé, puisqu’il a exposé sa souffrance et qu’elle n’a pas été entendue.

Déterminer ce que l’on veut profondément

Marina, 35 ans, se souviendra toute sa vie d’avoir accusé sa mère de ne pas l’avoir désirée. « Elle m’a regardé, dans ma colère et mon désarroi. 
Et, très froidement, elle m’a dit qu’elle m’aimait beaucoup, mais que, oui, si elle avait pu avorter, elle l’aurait fait. 
J’avais beau le pressentir, ç’a été pire de le savoir. 
Et de voir avec quel calme et quelle assurance elle disait ça, comme si c’était normal. 
Pire, comme si ça la soulageait de le dire alors que ça me déchirait le cœur. 
Je donnerais n’importe quoi pour ne pas avoir provoqué cette scène. »

Pour la plupart des thérapeutes, la vraie question à se poser avant d’exploser à la table familiale, c’est de savoir ce que l’on veut profondément : Régler ses comptes au risque de tout briser ou trouver la voie pour améliorer notre relation aux parents.

Dans le deuxième cas, Mony Elkaïm imagine que l’on puisse leur dire : « Je suis sûr que vous avez fait du mieux que vous avez pu, mais voilà comment je l’ai vécu. 
Je ne vous le dis pas parce que je veux vous attaquer mais parce que vous êtes importants pour moi, que notre relation m’est essentielle. »

Parler différemment à sa famille peut lui permettre de nous écouter différemment. D’autres thérapeutes, comme Isabelle Filliozat, conseillent d’écrire. 
Non pas d’un jet, sous le coup d’une douleur, mais calmement, en pesant chaque mot. 
Non en accusant, mais en racontant notre propre souffrance.
Laisser enfin tomber la rancœur


Agnès, 42 ans, l’a fait. 
Elle se sentait étouffée par sa mère qui s’ingérait dans sa vie de couple et qui en savait toujours plus qu’elle sur l’éducation à donner à ses enfants. « Un soir, je lui ai écrit une longue lettre où je lui disais à quel point son amour était important pour moi mais combien il me paralysait. 
Il m’empêchait de grandir et de prendre, vis-à-vis d’elle, ma place d’adulte. 
Je lui ai expliqué combien elle me ramenait à un rôle de petite fille et combien j’en souffrais. 

Je n’ai pas posté la lettre tout de suite. 
Je l’ai relue, j’ai changé des phrases, tentant d’imaginer de quelle façon elle allait la recevoir. Puis je l’ai envoyée, l’angoisse au ventre, mais avec beaucoup de fierté d’avoir posé, face à elle, un geste d’adulte.

Quelques jours après, j’ai reçu une lettre dans laquelle elle s’excusait. 
Où elle me parlait de la façon dont sa propre mère lui avait manqué et comment elle essayait de réparer avec moi. 
Curieusement, nous n’en avons jamais parlé de vive voix. 
Mais son comportement a changé et je pense qu’elle en est heureuse. »

Une fois compris, avec Françoise Dolto, que « ce n’est pas de leur faute, c’est de leur fait », il est parfois plus facile de laisser tomber la rancœur. 
Tous ceux qui parlent du « métier de parents » oublient de préciser que l’on cherche l’adresse de l’école où il est enseigné. On n’apprend pas à devenir parent. On le devient grâce ou en dépit des relations que l’on a soi-même entretenues avec ses propres géniteurs. 
C’est en mesurant cette chaîne généalogique et en y tenant sa place, le jour venu, avec ses propres enfants et les reproches qu’ils nous feront, que l’on prend le chemin de l’acceptation. Et que l’on devient adulte.


Quand les parents ne sont plus là

Aleth Naquet, psychologue et formatrice à la méthode Espere (Energie spécifique pour écologie relationnelle essentielle), mise au point par Jacques Salomé, conseille d’écrire une lettre, en six étapes. 
Un travail de plusieurs mois qui suppose avant tout de s’écouter soi-même.

1. Faire la paix
D’abord, on explique au parent mort que l’on va lui écrire tout ce que l’on n’a jamais osé lui dire de son vivant, dans un but de réconciliation.

2. Dire sa souffrance dans le deuil. 
On reconnaît, sans la minimiser, la violence que cette mort nous a faite.

3. Faire le point sur ses sentiments. 
On commence par décrire tous les sentiments positifs qui nous ont habités au long de la relation : « Quand j’étais petite, je t’admirais pour ton assurance. 
A l’adolescence, l’admiration a disparu, mais j’ai continué de t’aimer… » Puis, on passe aux sentiments négatifs.

4. Analyser la qualité de la relation. 
Toute la « bonne » transmission est détaillée : « Tu m’as donné la vie, tu m’as nourri, protégé… » Puis on explique ce que l’on a reçu de néfaste. 

Croyances (« Tu me disais que tous les hommes étaient mauvais, c’était faux »), manques (« J’avais besoin de plus de tendresse »), mauvais traitements, phrases blessantes et humiliantes. …

5. Restituer le mauvais. 
En conclusion, on déclare que l’on va garder tout le bon de cette relation et rendre symboliquement tout ce qui nous a fait souffrir.

6. Dire au revoir sur la tombe. 
La lettre terminée, il n’y a plus ni colère ni ressentiment. 
On la dépose alors sur la tombe avec deux objets, l’un représentant le bon que l’on a reçu, l’autre le mauvais.

Thérapie familiale : Un espace où s’exprimer.



Plutôt que de tout déballer lors d’un Noël en famille, la thérapie familiale propose un cadre où les ressentiments peuvent se dire. 

Le point avec Sylvie Angel, pédopsychiatre, spécialiste des thérapies familiales et directrice du centre Pluralis :

- « En thérapie familiale, il ne s’agit pas de régler des comptes mais de clarifier des problèmes, prévient Sylvie Angel. 
Dans une famille, tout le monde a quelque chose à reprocher à quelqu’un. 
Or, les gens se taisent de peur de tout casser. 
En séance, ils pourront s’exprimer, trouver la bonne distance pour se parler. »

- La thérapie permet de repérer des violences insidieuses. 

Les « prophéties négatives » notamment, petites phrases acerbes qui, à force d’être répétées, orientent un destin, enferment dans une mauvaise image de soi et des autres : « Ne te fie pas aux hommes : tous des salauds », ressasse la mère déçue par l’amour. « Tu n’as pas de cœur, tu n’es qu’un égoïste, comme ton père », geint cette autre, pour qui un égoïste est quelqu’un qui ne pense pas tout le temps à elle.

- La thérapie familiale repère aussi les mythes qui servent de vérité absolue pour comprendre le monde dans les familles à tonalité anxieuse ou dépressive : « Le bonheur, ça ne dure jamais », « Si une catastrophe a une chance sur un million de se produire, elle se produira à coup sûr. » Par une loyauté aussi inconsciente qu’indéfectible, l’enfant pense selon ce modèle et, vingt ans plus tard, reproche violemment à ses parents de lui avoir transmis une vision désespérante de l’existence.

- Elle sert également à prévenir les conflits. 
Un enfant, un ado qui fait preuve d’agressivité retourne sa propre violence contre lui-même, multiplie les conduites à risques. 

C’est souvent la manifestation que quelque chose cloche au sein de la famille. Il ne faut pas hésiter à consulter. 

Non, les problèmes de l’enfance ne passent pas tout seuls, au contraire ils s’amplifient. …

- Elle permet de prendre du recul, de cesser de ruminer les injustices dont nous estimons avoir été victimes, de faire le deuil des bons parents que nous n’aurons jamais. 
Si elle n’accomplit pas de miracles – l’ardoise ne va pas s’effacer d’un coup de baguette magique –, « elle va induire des changements qui rendront les relations enfin vivables », insiste Sylvie Angel. 

Poser des limites très strictes, y compris géographiques, se révèle parfois obligatoire. 
Et, en cas de violence avérée, de relations vraiment toxiques, « il est légitime de couper le contact avec ses parents et de ne plus les revoir si ce n’est sur leur lit de mort, 
insiste Sylvie Angel. Il nous est demandé de respecter nos parents, pas de les aimer. »

(Isabelle Taubes)


Pour aller plus loin

Ah, quelle famille !, de Sylvie Angel (Robert Laffont, 2003)




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