L'univers est-il éternel ?

 L'univers est-il éternel ?



Je suis profondément troublé par l’idée d’un univers éternel. 

Parce que si le temps ne s'arrête jamais, je crains que notre existence n'ait aucun sens. Pourquoi ? Je vais tenter de l’expliquer sommairement.

Certains scientifiques croient que le temps peut vraiment durer éternellement. Mais si l’éternité existe, des choses très étranges peuvent se produire. Ainsi, le cosmologiste Sean Carroll, du California Institute of Technology, se demande à quoi ressemblera le ciel nocturne dans des milliards d'années. En ce moment, nous vivons dans un univers lumineux composé de 100 milliards de galaxies, chacune avec 100 milliards d’étoiles. Mais ces étoiles ne peuvent pas briller éternellement. 

Elles consomment du carburant. Leur durée de vie est limitée. Donc, d'ici 10 ^15 années, ces étoiles se seront toutes consumées. Il n’y aura plus d’étoiles brillantes dans le ciel. Dans un million de milliards d’années, les seuls objets célestes qui resteront seront des trous noirs.

On pourrait penser, eh bien d’accord, maintenant c’est fini. Trous noirs et espaces vides. Mais ces trous noirs s’évaporent par le rayonnement de Hawking. Ils émettent des radiations, et les trous noirs eux-mêmes finiront aussi par disparaître. Cela prendra beaucoup de temps, mais une fois que cela se produira, il ne restera plus qu’une fine bouillie de particules. Et alors nous serons confrontés à la question de savoir qu’est-ce qui se passera dans cette période infiniment longue après que tout se soit vidé ? Que sera l’existence dans le vide ? Le temps aura-t-il encore une signification ?

Or, il s’avère que l'espace vide n’est pas vraiment vide. En 1998, les astronomes ont découvert une étrange force cosmique appelée « énergie noire », une pression expansive qui existe partout dans l'espace. Même un univers vide, dans un futur lointain, serait rempli de cette énergie. Et les lois de la mécanique quantique dictent que, partout où il y a de l’énergie, des particules peuvent apparaître spontanément à partir du néant. Parce que cette énergie noire se cache dans l’espace vide, celui-ci a donc une température. L’avenir de l'univers n’est pas au zéro absolu. Il y a une petite fluctuation thermique, même dans le vide. Si nous imaginons, par exemple, qu’un four représente l’univers tout entier, nous pouvons regarder à l’intérieur et voir des choses apparaître. Donc si nous attendons longtemps, entre 10 ^ 10 années, nous verrons un seul photon solitaire se propager dans l’univers. 

Et si on accorde plus de temps à l’univers, plus de particules apparaîtront. Éventuellement, après 10 ^ 10 années, puis 10 ^ 30 années, quelque chose d’aussi complexe et d’improbable qu’un cerveau humain parfaitement formé pourrait surgir du vide quantique. Et si on attend encore plus longtemps, nous assisterons à un tout nouveau Big Bang, nous verrons tout un univers fluctuer dans l’existence à partir du chaos environnant.

Pour Carroll, comme pour moi, ces fluctuations aléatoires posent un énorme problème. Si l’univers dure éternellement, un temps infini signifie un nombre infini de possibilités, ce qui signifie que tout ce que vous pouvez imaginer finira effectivement par se produire, par apparaître — y compris une autre version de vous, de moi, qui pense être arrivé le premier. Beaucoup, beaucoup de copies de moi vont fluctuer dans l’existence, beaucoup d’entre elles avec exactement les mêmes souvenirs que moi. 

Il y aura une autre version de moi qui pense exactement la même chose que moi et qui a le même ensemble de souvenirs que moi. Mais pour la plupart de ces versions de moi, elles ne seront pas réellement intégrées dans un Univers sensible avec un Big Bang et d’autres galaxies. Chacun de ces moi suppose qu’il est la première version de lui-même. Toutes ces copies pensent qu’elles ont grandi à Montréal, étudié à McGill et enseigné les mathématiques. 

Mais ce ne sont en fait que des fluctuations aléatoires qui ont vu le jour, de futurs imposteurs qui vivent réellement dans le vide.

Le scénario selon lequel l’univers est éternel et qu’il y a toutes ces fluctuations dans tout ce que nous pouvons imaginer signifie que nous n’avons pas le droit d’accepter et de croire nos propres souvenirs ! Voilà ce qui est troublant. Si les gens, les galaxies et les univers peuvent fluctuer au gré du hasard dans l’existence, la conclusion est que cela ne peut pas être le bon portrait de l’univers. Je suis en effet d’avis que cela n’est absolument pas plausible. 

En outre, chaque fois que je vois des physiciens faire intervenir l’infini dans leur théorie, leurs équations, que ce soit l’énergie, l’espace ou le temps — quand je les entends parler d’éternité, je me méfie.

Si l’énergie noire continue de s’étendre dans le cosmos, d’innombrables versions de chacun d’entre nous finiront par voir le jour, d’ici à l’éternité. Il n’y a qu’une seule chose qui pourrait empêcher un univers aussi grotesque : une véritable apocalypse cosmique. Que signifie le mot « univers » ? On croyait autrefois que cela voulait dire absolument « tout ». Aujourd’hui, certains physiciens pensent qu’il y a plus dans la création que toutes les étoiles et toutes les galaxies que nous ne pourrions jamais espérer observer. Nous pourrions n’être qu’une petite parcelle de quelque chose de beaucoup plus grand, un multivers, un endroit qui dure pour toujours, et où un petit univers comme le nôtre va et vient en un clin d’œil. Raphael Bousso fait partie d’une nouvelle génération de cosmologistes qui ont grandi avec l’idée que notre univers n’est peut-être pas tout ce qui existe. Pour lui, d’autres univers surgissent tout le temps et existent à l’intérieur d’un multivers colossal.

Selon Bousso, le multivers est composé de plusieurs régions différentes. Ces régions individuelles peuvent être si grandes que, si vous y viviez, vous seriez vraiment comme un poisson dans un bassin d’eau extrêmement grand. Vous pourriez penser qu'il n’y a rien d'autre, mais vous seriez dans l’erreur. 

Imaginez que l’univers dans lequel nous vivons est comme un ballon. Au début, ce n’était qu’un minuscule morceau d’espace compact. Au Big Bang, une puissante force appelée inflation a pris le dessus, l’étendant en une fraction de seconde. Nous vivons tous à l’intérieur d’un immense ballon gonflé par l’inflation cosmique, aveugles de ce qui se trouve à l’extérieur.

Or, Bousso croit que l’inflation est toujours à l’œuvre en dehors de notre ballon. Il prend constamment de minuscules morceaux d’espace et les agrandit. Donc, le multivers ressemble à une pièce rempli de ballons : chacun de ces ballons est un univers en tant que tel, et tous ces univers existent grâce à l'inflation. 

La compréhension qu’a Bousso de l’inflation cosmique découle d’une théorie de la réalité appelée « théorie des cordes », qui soutient qu’il n’y a pas que trois dimensions de l’espace, mais neuf. Dans notre univers, six de ces dimensions sont recroquevillées sur elles-mêmes des milliards et des milliards de fois plus petites que la plus petite des particules. Qui sait, il y a peut-être des endroits où les neuf dimensions spatiales ont pris de l’expansion. Il y en a peut-être d’autres où moins de trois de ces dimensions ont pris de l’ampleur, se sont expansées. 

L’inflation s’étend donc à certaines dimensions de l’espace, mais pas nécessairement à toutes. Or, tout comme pour un ballon gonflé, les dimensions gonflées de l’espace sont intrinsèquement instables et finissent inéluctablement par s’affaisser à nouveau.

Dans une pièce remplie de ballons qui, pour les fins de notre exposé, est notre modèle du multivers, on peut voir que ces ballons éclatent l’un après l’autre, très très lentement. Il y a beaucoup de ballons, mais si on arrête notre regard sur un ballon en particulier, tôt ou tard ce ballon finira par éclater. 

Et comme ça, notre espace finira par éclater, par se décomposer. En étudiant comment l’inflation fait muter les dimensions courbées de l’espace, Bousso a pu calculer que le taux de création des univers gonflés par l’inflation est beaucoup plus élevé que leur taux de décomposition. Aussi, même si les univers s’anéantissent tout le temps, beaucoup d’autres sont constamment en train d’être créés. Ainsi, le multivers continue de croître et durera pour toujours. 

Si nous regardions notre pièce pleine de ballons de l’extérieur, le temps serait éternel. Il continuerait pour toujours. Mais pour nous, de l’intérieur, il est éphémère.

Ce multivers est peut-être éternel, mais c’est une éternité dont personne ne peut espérer faire l’expérience parce que personne ne pourra jamais échapper à l’univers duquel il est issu, dans lequel il a été créé. Nous n’avons pas le bénéfice de voir cette éternité avec de plus en plus d’inflation et des ballons de plus en plus nombreux. La limite de la vitesse de la lumière nous empêche de voir tous ces autres ballons. 

Si on attend patiemment à l’intérieur de notre ballon, tôt ou tard, il va éclater. Si vous vivez dans un univers, comme toute chose doit le faire, alors Bousso croit que votre temps va définitivement s’arrêter. 

Et tous les problèmes d’un univers éternel qui inquiètent Sean Carroll et moi sont des problèmes que notre univers ne connaîtra jamais. Nous pouvons calculer à quelle vitesse l’espace se décomposera. 

Tant que la décomposition de notre univers se produit plus vite que ces événements incroyablement improbables, alors nous savons que nous n’avons pas à nous soucier de voir des copies de nous-mêmes surgir du néant. Une fois que notre univers éclate, se décompose, le temps s’arrête brusquement là. 

Mais notre univers est-il vraiment destiné à périr dans un cataclysme cosmique ? Il semblerait bien que ce soit le cas. Cela aussi, je le concède, n’est pas très rassurant. Puissions-nous néanmoins trouver un peu de réconfort dans l’idée que nous ne serons pas là pour assister à cette mort annoncée.



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