Lutte contre le blanchiment des capitaux : Quid du secret professionnel des avocats ?
Les députés entendent amender le projet de loi modifiant et complétant le Code pénal et la loi relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Les discussions en commission sont animées. En tête des remarques figure la nécessité de prendre en considération la spécificité du métier d’avocat qui est tenu par le secret professionnel.
Il y a fort à parier que le projet de loi modifiant et complétant le Code pénal et la loi relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux ne passera pas comme une lettre à la poste au Parlement, comme en témoignent les discussions animées sur ce texte au sein de la Commission de la justice et de la législation à la Chambre des représentants. Face aux inquiétudes et aux remarques des parlementaires, la mission du ministre de la Justice, Mohamed Benabdelkader, s’annonce on ne peut plus compliquée lors de la phase décisive de l’adoption des amendements, eu égard aux positions exprimées tant par l’opposition que par la majorité. Il s’avère, en effet, difficile de convaincre les députés de certaines dispositions de ce projet de loi qui vient muscler le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux afin d’éviter que le Maroc ne bascule dans la liste noire du Groupe d’action financière (GAFI).
Le texte a un caractère urgent, comme l’a laissé entendre le gouvernement. C’est pourquoi le Maroc est appelé à adapter rapidement sa loi, en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, aux normes internationales en vue d’éviter la dégradation de son classement.
Malgré cette contrainte, les députés ne comptent pas reproduire les expériences du passé et n’entendent pas renoncer à leur droit de passer au crible ce texte. À plusieurs reprises, l’institution législative a dû adopter, sans débat de fond, les amendements du gouvernement pour que le Maroc puisse se conformer aux recommandations internationales.
En tête des remarques, figure l’élargissement de la liste des personnes assujetties qui sont tenues de recueillir tous les éléments d’information permettant de déterminer et de vérifier l’identité de leur clientèle habituelle ou occasionnelle et des bénéficiaires effectifs et de faire une déclaration en cas de soupçon. L’inclusion des avocats dans cette liste suscite les inquiétudes des députés de la Commission de la justice et de la législation, dont certains exercent ce métier. Quid du respect du secret professionnel ? Les avocats peuvent-ils se soumettre aux nouvelles règles sans mettre en péril leur indépendance ainsi que leur devoir de loyauté à l’égard de leurs clients ?
La députée socialiste Amina Talbi estime que les avocats ne peuvent pas être confondus avec d’autres professions ou instances, comme les banques et les assurances, et ne doivent pas, de ce fait, figurer sur la liste des personnes assujetties. Même son de cloche auprès du président de la Commission de la justice, Taoufik Mimouni.
Les dispositions du projet de loi risquent de porter atteinte, selon lui, au droit à un procès équitable, car les justiciables seraient privés de la garantie que ce qu’ils confient à un avocat ne sera pas divulgué par celui-ci. Les parlementaires affichent leurs appréhensions à cet égard et certains doutent de la capacité non seulement des avocats, mais aussi d’autres professionnels comme les adouls et les notaires à s’inscrire dans cette démarche qui risque de peser lourdement sur leur travail, estime-t-il. La question des moyens humains et logistiques reste en effet posée. Pour faire les déclarations, il faut s’adapter aux nouvelles règles et garder les archives des clients pendant 10 ans.
La députée Amina Maelainine met en garde contre la complexité de la mise en œuvre de certaines dispositions de la loi comme le montre l’expérience, précisant qu’il ne serait pas nécessaire de répondre à toutes les recommandations du GAFI.
De son côté, le ministre de la Justice se veut rassurant, précisant que les rencontres avec les professionnels se poursuivront pour préciser les indicateurs de suspicion et lever toute ambiguïté. Rappelons que des rencontres ont déjà eu lieu avec les avocats et les notaires pour faire connaître les obligations imposées à ces professionnels ainsi que les moyens à même de les mettre en œuvre. Benabdelkader entend mobiliser les professionnels autour de la nécessité d’adhérer à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Jusque-là, aucune crainte n’a été officiellement formulée par les instances représentatives des professionnels. Le gouvernement compte les accompagner pour une mise en œuvre fluide des nouvelles dispositions.
Renforcement des mesures de vigilance
Le projet de loi modifiant et complétant le Code pénal et la loi n° 43.05 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux vise le renforcement des mesures de vigilance et de contrôle interne et la mise en place des règles d’accréditation auprès de tiers afin de mettre en œuvre les dispositions relatives à l’identification du client et du bénéficiaire effectif et de comprendre la nature de la relation commerciale. Plusieurs amendements ont été introduits dans la loi actuelle, à commencer par l’adoption d’un système de liste au lieu de la méthode du seuil dans la détermination des infractions constituant un blanchiment de capitaux.
D’autres infractions relatives aux marchés financiers ainsi que des infractions en matière de vente et de services fournis de façon pyramidale ont été ajoutées à la liste des infractions citées dans l’article 574-2 du Code pénal. Le texte revoit à la hausse les amendes minimales et maximales prononcées à l’encontre des personnes physiques impliquées dans l’infraction de blanchiment de capitaux prévue à l’article 574-3 du Code pénal, conformément aux normes internationales qui exigent que la peine encourue pour ce genre d’infractions soit dissuasive.
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