Modèle de développement: des idées novatrices, mais également beaucoup d’interrogations !
Le Nouveau modèle de développement (NMD) présenté par Chakib Benmoussa à Sa Majesté le Roi, le mardi 25 mai 2021, inclut un volet économique important. Il propose des mesures concrètes, des idées novatrices et des approches nécessaires pour une vraie transformation du tissu économique national. Pour certains, ce qui est proposé par l’équipe Benmoussa est du «déjà vu», mais il n’en demeure pas vrai que l’approche s’inscrit dans une démarche plus globale, qui prône des mutations et transformations profondes au niveau de tous les secteurs de développement sociétal, qui devraient nous interpeller, eu égard à la réflexion et au travail rigoureux entamés par la Commission chargée de l’élaboration du NMD.
Afin d’atteindre «une économie dynamique et diversifiée créatrice de valeur ajoutée et d’emplois», cinq axes stratégiques ont été arrêtés, notamment la sécurisation de «l’initiative entrepreneuriale», l’orientation des «acteurs économiques vers les activités productives», la réalisation d’un «choc» compétitif, la mise en place d’un «cadre macroéconomique au service de la croissance», et l’émergence de «l’économie sociale comme secteur économique à part».
Au niveau entrepreneurial, l’accent est mis sur la simplification des autorisations, l’adoption du «modèle coût standard» dans le calcul du coût des procédures, la modernisation, l’assainissement de l’environnement des affaires via la modernisation, la mise en place d’une vraie concurrence saine, renforcer le rôle et l’indépendance des régulateurs, étendre la régulation au secteur de l’eau, garantir un accès équitable à la justice…
Des sentiers battus certes, mais je trouve judicieux leur agencement dans le cadre d’une politique volontariste d’aide à l’entreprise.
L’idée de la mise en place de «défenseur de l’entreprise, rattaché au chef du gouvernement, dont la mission est d’intervenir en médiation directe, selon une procédure structurée, pour débloquer des situations liées à des lenteurs ou des abus administratifs causant un préjudice économique significatif» est une proposition novatrice.
J’aurais aimé voir un encadré sur comment il va fonctionner et un benchmark des bonnes pratiques à l’international; mais l’idée est bonne et il faut la creuser davantage. Ce qui n’est pas clair à ce niveau est comment mettre fin aux pratiques de rente, à l’accès déloyal à l’information et au foncier, et aux conflits d’intérêts aberrants.
Le rapport en parle, mais sans pistes concrètes de comment lutter contre ces fléaux. La protection des PME face aux grands groupes n’est pas abordée non plus. Par ailleurs, les auteurs parlent de la modernisation de l’entreprise, mais sans aller dans le détail sur comment inciter et réaliser une vraie mutation positive de la gouvernance des entreprises marocaines. Au niveau de l’orientation de l’action économique vers les secteurs productifs à haute valeur ajoutée, le rapport parle de modernisation et de lutte contre la rente, mais à titre volontaire de la part des entreprises. L’Etat assure l’accompagnement et l’aide au financement, mais le «business case» pour le passage d’une activité rentière à une activité compétitive n’est pas fait. Il n’est pas clair non plus ce qu’on veut entendre par «un nouveau mécanisme harmonisé pour le pilotage et l’exécution des politiques sectorielles stratégiques» ? Une institution ? Un comité interministériel ? Comment va-t-il fonctionner ? Comment assurer son efficacité de pilotage ? Aucune piste de réflexion.
Par ailleurs, conditionner l’appui public à la «contribution à la création de valeur et d’emplois et de respect des obligations sociales» est louable, mais il n’est pas clarifié comment la Commission prévoit la solution au paradoxe de l’automatisation et la digitalisation, prônées par le rapport, d’une part, et la nécessité de création d’emplois dans un monde post-covid bien ancré dans la quatrième révolution industrielle, d’autre part. Par ailleurs, l’intégration de l’informel est un vieux slogan, mais le comment est la «question à un million de dollars.»
Idem pour la mobilisation de la commande publique afin d’accélérer «la transformation productive» : l’Etat va-t-il mettre l’accent sur les projets à haute valeur ajoutée au détriment d’autres ? Comment ? «Le choc de compétitivité» est une idée assez intéressante; mais la réduction de la facture énergétique ne semble pas rimer avec le «recours aux énergies renouvelables» assez coûteuses pour le moment. L’Etat va-t-il intervenir pour payer la différence ? A quel prix ? Et comment ? Idem pour le foncier, le coût logistique et les compétences : comment assurer un coût compétitif d’une façon concrète face à des environnements qui ont pris une longueur d’avance par rapport à nous (la Turquie, l’Afrique du Sud, le Mexique, la Slovaquie, la Roumanie, sans parler de Taiwan, Singapour et la Corée du Sud).
Le numérique, certes, fait partie des solutions; mais il faut aller plus loin en prônant l’intervention de l’Etat en amont et en aval de la production, avec un soutien ciblé et intelligent, et compter sur l’économie d’échelle, les gains de niche et un retour sur investissement à long terme (le modèle turc).
Au niveau du cadre macroéconomique, la grande question à laquelle le rapport ne semble pas donner de réponse est comment parler d’une réduction conséquente de la charge fiscale et en même temps s’inscrire dans la nouvelle sensibilité en matière d’idéologie économique qui parle d’un «nouvel Etat- providence», post-libéral, basé sur la redistribution équitable des richesses et la réduction des écarts entre les pauvres et les riches.
L’extension de l’assiette fiscale accompagnée d’une réduction de la pression des impôts est un vieux vœu pieux qui ne semble pas donner de résultats. J’apprécie l’idée d’ériger l’économie sociale en un secteur économique à part entière. La mesure incitant à «la délégation de services publics aux acteurs de l’économie sociale» est innovante, mais il faut l’adopter de manière judicieuse et là où l’Etat ne peut pas aller. Il faut partir d’une évaluation des secteurs où on a adopté cette politique comme l’alphabétisation, l’éducation non formelle et le préscolaire, pour voir ce qui a marché et les risques de dérives potentielles (comme c’est relaté dans la presse ici et là par rapport à ces domaines).
Pour conclure, le rapport ouvre le bal des débats sur des questions fondamentales relatives à une transformation radicale du tissu productif marocain. Il contient pas mal d’idées novatrices, mais également des contradictions et des contresens. Mais il a le mérite de proposer une démarche, une approche, qui peut des fois manquer de cohérence, mais qui demeure, néanmoins, un effort louable qui a comme objectif de porter des réponses à des problématiques qui ont freiné la compétitivité de l’économie marocaine.
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