Maman à 12 ans, un printemps v(i)olé !
Publié le 23/05/2023
Elle a 12 ans, s’est faite violée à répétition par trois adultes au printemps 2021 et est désormais maman. Ses violeurs, eux, sont condamnés à deux ans de prison. Voilà l’histoire d’un drame humain qui en dit long sur notre société. Quand un verdict censé rendre justice finit par indulger le mal fait à une fillette qui devra désormais élever un enfant dans le constant rappel de l’horreur éprouvée.
Plus d’un an après les faits, la chambre criminelle de la Cour d’appel de Rabat, statuant en premier ressort, a condamné trois hommes à deux ans de prison, pour avoir violé collectivement, à répétition et mis enceinte une enfant, alors âgée de 11 ans. Les trois hommes de 25, 32 et 37 ans ont également été tenus de verser une amende allant de 20.000 DH à 30.000 DH.
Ce n’est qu’au terme de huit mois de grossesse, que la famille de la petite, originaire de Ghzouana, petit village près de Tiflet dans la province de Khemisset, s’aperçoit de cette triste réalité. Quinze jours plus tard, elle accouche de son enfant. Une expertise médicale par ADN a identifié le père. Mais ce dernier n’est nullement tenu, et de par la loi, de reconnaître l’enfant, ni de l’entretenir. Voici le drame humain au Maroc du 21e siècle.
Les trois reconnus coupables sont un cousin paternel de la victime, un ami de la famille, marié et père de trois enfants, ainsi qu’un voisin. Ces derniers profitaient de l’absence des parents de la petite. Et menaçant de tuer ses proches si elle racontait à qui que ce soit ce qui lui était arrivé, ils continuaient.
Selon les témoignages et les récits retenus contre les mis en cause, c’est un ami proche du père qui aurait alors indiqué à ce dernier que la mineure avait fait l’objet d’un viol collectif répété.
«L’insoutenable légèreté de la justice»
Poursuivis pour «détournement de mineure» et «attentat à la pudeur sur mineure avec violence», un des hommes a été condamné à deux ans de prison ferme, les deux autres à deux ans, dont 18 mois ferme, dans une affaire qui aurait dû les enfermer une dizaine d’années au minimum.
Alors que la société civile, vent debout, s’interroge sur les circonstances atténuantes ayant conduit à une telle sentence, la justice, elle, ne s’est pas prononcée. Comment peut-on faire subir un tel crime odieux et s’en sortir avec 18 ou 24 mois de prison ? Et tenant compte de la détention préventive, deux accusés sortiront dans moins de six mois !
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C’est dans un article publié ce dimanche par nos confrères de Médias24, que l’on peut trouver les premiers éléments de réponse. Examinant le prononcé du jugement, le média explique que la Cour s’est forgée la conviction suivante : «les deux premiers accusés [ayant écopé de deux ans de prison dont 18 mois ferme] ont été reconnus coupables des délits de détournement de mineure par la fraude et d’attentat à la pudeur par violence. Ils doivent être sanctionnés en vertu des articles 471, 485 et 488 du Code pénal.» (Les articles sont disponibles en fin d’article)«Le pouvoir discrétionnaire du tribunal permet, lorsqu’il est jugé nécessaire, d’accorder le bénéfice des circonstances atténuantes aux accusés dès lors qu’aucun texte légal ne l’interdit, (…) à chaque fois qu’il est estimé que la peine prévue par la loi est dure aux faits incriminés ou au degré de criminalité de l’accusé».
Le troisième accusé s’est avéré être, après confirmation par ADN, le père du bébé. «Il convient dès lors de l’incriminer pour détournement d’une mineure par la violence et d’attentat à la pudeur ayant entraîné la défloration; et de le sanctionner en vertu des articles 471, 485 et 488 du Code pénal.»
Selon la même source, la Cour a rappelé ensuite le pouvoir discrétionnaire du tribunal qui prend en considération à la fois la gravité des faits et la personnalité du criminel «tout en ayant la possibilité, s’il le juge nécessaire, d’accorder le bénéfice des circonstances atténuantes aux accusés dès lors qu’aucun texte légal ne l’interdit. Il peut le faire à chaque fois qu’il estimera que la peine prévue par la loi est dure aux faits incriminés ou au degré de criminalité de l’accusé».
Les mineurs de moins de 12 ans sont des enfants «non-discernants». En 2015, la Cour de cassation avait tranché en leur accordant un statut particulier. L’attentat à la pudeur, consommé ou tenté contre des mineurs dépourvus de discernement, même sans violence, a été requalifié en crime. La Cour considère de plus, qu’en cas d’agression sexuelle sur un mineur de moins de 12 ans, le consentement supposé de l’enfant ne doit pas être retenu, car il n’a pas un discernement suffisant.
Une proposition survenue alors, qu’en l’état, l’article 484 du Code pénal reconnaissait cette agression comme simple délit, lorsqu’elle est commise à l’encontre d’un mineur de moins de 18 ans avec à la clé des peines allant de 2 à 5 ans de prison.
Au cours de la délibération, écrit Médias24, la formation a donc décidé d’accorder les circonstances atténuantes aux trois accusés «eu égard aux conditions sociales de chacun d’entre eux et à l’absence d’antécédents judiciaires; et parce que la peine prévue légalement est dure au regard des faits incriminés».
Interrogé par le même média, Me Mohamed Oulkhouir, avocat au barreau de Tétouan et vice-président de l’association INSAF considère que les faits devraient en effet être requalifiés en «viol». «Il est difficile de qualifier cela comme attentat à la pudeur sachant qu’il y a trois personnes accusées de viol en réunion et qu’un test ADN a démontré que l’un d’eux était le père de l’enfant», déclare-t-il.
Et d’ajouter : «On parle de viol d’une mineure de 11 ans pendant plusieurs mois par plusieurs adultes en réunion. La peine octroyée est très légère. Nous ne sommes pas en matière correctionnelle mais criminelle. L’enjeu doit être la réclusion de 10 ans, au minimum».
Dans un communiqué publié vendredi 31 mars, l’Organisation des femmes socialistes déclare que ce jugement «se contredit avec les dispositions de la Constitution du Royaume de Maroc, en particulier les articles 110 et 117 relatifs à la sécurité et à l’application judiciaires». Pour la structure féminine, il se contredit également «avec la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir».
Indignation, le terme est bien faible
«Injuste», «choquant», les adjectifs ne manquent pas pour exprimer le désarroi et l’indignation de plusieurs défenseurs des droits de l’Homme ainsi que des internautes. Ces derniers dénoncent une injustice inadmissible jugeant la peine de «légère pour un acte horrible».
«On est bien loin des 2 ans prononcés par le tribunal», constate amèrement Soumaya Naamane Guessous. Dans une lettre ouverte adressée au ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, la sociologue et professeure universitaire dénonce «une injustice inadmissible». Elle y exprime une «indignation, et le mot est faible, devant être générale quant à l’insoutenable légèreté d’un jugement qui, en définitive, normalise non seulement le viol sur mineurs, mais toute une injustice que subissent encore des Marocain(e)s dont le seul tort est d’être mal-né(e)s».Aucune personne dotée d’un minimum d’humanité ne peut considérer qu’un tel verdict rendrait justice aux survivantes.
– Aatifa Timjerdine, Vice-présidente du bureau de Rabat de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), organisation coordinatrice de la Coalition Printemps de la dignité.
«Sachant également que les investigations ont duré près d’un an avant le verdict rendu il y a quelques jours, rien ne nous garantit que les coupables seront réellement emprisonnés pour deux années», s’indigne de plus Aatifa Timjerdine, vice-présidente du bureau de Rabat de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM).
Pour la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDM), le problème est loin d’être le texte et la loi : c’est l’interprétation et le traitement des juges des affaires de pédophilie et de viol. Dans un communiqué rendu public vendredi soir, la Fédération a exprimé son incompréhension face à cette sentence dérisoire, «alors que le code pénal est clair et précis : les peines peuvent aller de 10 à 20 ans de prison ferme lorsqu’il s’agit d’un viol sur mineur. Dans le cas de viol avec défloration comme c’était le cas pour cette fillette, la peine peut atteindre jusqu’à 30 ans».
En ce sens, les organisations membres de la Coalition Printemps de la dignité ont lancé, jeudi soir, le hashtag, _آش_من_عدالة_هادي#, (traduisez, quelle justice est-ce?) sur les réseaux sociaux pour rendre justice à la victime.
Aatifa Timjerdine, vice-présidente du bureau de Rabat de l’ADFM, organisation coordinatrice de la Coalition Printemps de la dignité, a déclaré à Yabiladi que cette campagne est lancée sur les réseaux sociaux pour «exprimer la consternation des militantes féministes à l’égard d’un jugement qui doit être vigoureusement dénoncé».
«Une peine de deux ans de prison à l’encontre de trois mis en cause majeurs, reconnus coupables du viol en groupe d’une fille mineure ayant accouché après les faits, nous laisse nous interroger sur quelle justice et quelle réparation nous voulons pour les victimes de cas similaires», a-t-elle déploré.Deux ans seulement pour avoir brisé un destin et détruit un être. Est-ce là la justice ?
– Bouchra Abdou, directrice de l’association Tahadi pour la Citoyenneté et l’égalité.
L’association INSAF, organisation membre de la Coalition Printemps de la dignité et dotée du statut d’utilité publique, s’est portée partie civile, dans le cadre de cette affaire. Contactée par nos confrères de Yabiladi, l’association a confirmé qu’elle suivait, en effet, le cas de la victime depuis que son accouchement a révélé l’affaire.
La présidente d’honneur de l’ONG, Meriem Othmani a déclaré que l’association avait appris le verdict en première instance «avec consternation», alertée par une publication sur les réseaux sociaux. L’association a affirmé présenter le dossier en appel dans les prochains jours à la Chambre criminelle.
Même s’il est généralement difficile d’anticiper ce que sera le jugement en appel, beaucoup s’attendent à ce que dans cette affaire la peine initiale soit revue à la hausse. Ils se basent en cela sur un antécédent, lorsqu’un Espagnol avait vu sa peine passer de trois ans à huit ans de prison pour des faits similaires.
«Il faut s’attendre à une décision nettement plus importante en appel», espère Meriem Othmani, en concluant que «cette affaire nous concerne tous, elle appartient à tous et nous devons militer pour que les criminels reçoivent des peines plus significatives».
Yasmina Chami, historienne et anthropologue
«Qui sommes-nous si nous acceptons que des pédophiles ne paient pas pour leur crime, si nous tolérons qu’une enfant de douze ans porte seule le poids d’un patriarcat qui déresponsabilise les hommes de leur paternité, punit les enfants de ces pères qui se défaussent, absout les violeurs, les violents, les fossoyeurs de la dignité humaine ?
Je compte sur les femmes mais aussi sur les hommes de mon pays pour s’indigner haut et fort, afin que plus jamais des juges n’osent promouvoir par leur décision cette possibilité que le corps martyrisé, la psyché détruite d’une enfant de onze ans ne méritent pas justice».
Une pétition a été lancée afin d’exiger une justice pleine et entière pour ces deux enfants : la petite fille et son bébé, victimes d’une misogynie qui accable les mères, déresponsabilise les hommes de leur paternité, absout les violeurs et s’accommode des violences contre les enfants et les femmes, en général.
Plus de 10.000 personnes ont déjà signé la pétition. Pour ceux qui souhaitent faire de même, voici le lien : https://chng.it/R8HcsQfv
Le ministre de la Justice réagit
Face à la consternation collective, le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi s’est dit, samedi 1er avril lors d’une conférence de presse, «choqué» par ce verdict. Il a toutefois tenu à être rassurant en rappelant que l’affaire était toujours en cours puisque le ministère public a fait appel du jugement afin de protéger les droits de la victime et de veiller à la bonne application de la loi.
Cette affaire, déplore Ouahbi, «nous interpelle tous, à nouveau, en tant que responsables, acteurs et tant que société civile, sur les efforts nécessaires qui doivent être renforcés et mis en œuvre au plan législatif, de la réflexion, de l’éducation et de la sensibilisation afin de protéger notre enfance, d’abord du viol, et aussi punir sévèrement tous ceux qui commettent de tels actes».
Lire aussi : Nouveau Code pénal, une victoire pour les libertés individuelles selon Ouahbi
Le ministre a également rappelé qu’il tient «à intensifier les peines prévues pour les agresseurs d’enfants dans le nouveau projet de Code pénal». «Nous sommes déterminés législativement au ministère de la Justice à rendre plus sévères les peines maximales dans la nouveau projet de Code pénal, afin de protéger l’enfance du viol, de la toxicomanie et les autres violations dont nos enfants pourraient être victimes», précise le ministre.
Si Soumaya Naamane Guessous se dit satisfaite de la réaction du ministre, elle insiste sur l’importance d’intégrer la notion de pédophilie dans la loi marocaine : «Pour mieux protéger nos enfants, il faudrait véritablement qu’il y ait un code de l’enfant et qu’il soit respecté. Un enfant qui a été violé, plusieurs fois, par trois adultes, à l’âge de 11 ans et qui fait un enfant à 12 ans, [cela] devrait être jugé dans le cadre particulier d’un code de l’enfant et non pas en fonction du fait qu’il soit mineur.»
Un drame, comme il en existe encore plusieurs autres
Dans le monde, 12,5% des filles et 10% des garçons ont été violés avant l’âge de 18 ans. Au Maroc, ce sont plus de 400 enfants qui ont été victimes de violences sexuelles en 2021. Cette année-là, trois enfants ont été victimes de violences chaque jour : 961 cas de violences ont été recensés à l’égard des enfants durant l’année. Et sur ce nombre, on compte pas moins de 405 cas d’agressions sexuelles. Des chiffres alarmants publiés en février 2022 par l’hebdomadaire La Vie éco.
Les abus sexuels sur mineurs sont en effet «un véritable fléau». Pour preuve, les statistiques du ministère de la Justice font état de 7.263 affaires de violences contre les enfants qui ont été traitées par les tribunaux en 2018, dont 2.500 agressions sexuelles contre des mineurs.
Laila Slassi, avocate et co-fondatrice du Mouvement Masaktach, à l’origine d’une enquête sur le traitement judiciaire des infractions sexuelles au Maroc, rappelle que les mineurs sont les premières victimes des agressions sexuelles dans le Royaume. «Les affaires de violences sexuelles qui sont portées dans les 21 juridictions du Royaume, pour deux tiers d’entre elles, elles concernent des mineurs. C’est un chiffre qui doit nous interpeller.»
Et maintenant quoi ?
Alors que le dossier sera porté en appel dans les prochains jours, les associations de défense des droits de l’Homme et la société civile montent au créneau. Une manifestation est prévue ce mercredi devant la cour d’appel de Rabat pour dénoncer le jugement léger rendu dans cette affaire mais dans toutes les autres affaires d’agressions sexuelles sur les femmes et les mineurs.
La petite, elle, essaie de reprendre une vie normale. Si c’est encore possible… Prise en charge avec son bébé par l’association INSAF, elle est aujourd’hui interne et poursuit sa scolarité. Elle revient les week-end chez elle, s’occuper de son propre petit.
Elle n’a que 12 ans, a subi un viol collectif, devra désormais élever son fils. Ses détracteurs, eux, sont condamnés à seulement deux ans de prison. Deux de ceux qui l’ont volé du printemps de son enfance sortiront dans moins de six mois. Alors oui indignons-nous, encore et encore car aucun enfant ne devrait vivre une telle atrocité.
Article 471 – Quiconque par violences, menaces ou fraude, enlève ou fait enlever un mineur de dix-huit ans ou l’entraîne, détourne ou déplace, ou le fait entraîner, détourner ou déplacer des lieux où il était mis par ceux à l’autorité ou à la direction desquels il était soumis ou confié est puni de la réclusion de cinq à dix ans.
Article 485 – Complété par la loi n°24.03, l’article concerne l’attentat sur les mineurs de moins de 18 ans et stipule: «Est puni de la réclusion de cinq à dix ans tout attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violences contre des personnes de l’un ou de l’autre sexe. Toutefois si le crime a été commis sur la personne d’un enfant de moins de dix-huit ans, d’un incapable, d’un handicapé, ou sur une personne connue pour ses capacités mentales faibles, le coupable est puni de la réclusion de dix à vingt ans».
Article 488 – Si la défloration s’en est suivie la peine est : la réclusion de cinq à dix ans, dans le cas prévu à l’article 484; la réclusion de dix à vingt ans dans le cas prévu à l’article 485 alinéa 1; la réclusion de vingt à trente ans dans le cas prévu à l’article 485 alinéa 2; la réclusion de dix à vingt ans dans le cas prévu à l’article 486 alinéa 1; la réclusion de vingt à trente ans dans le cas prévu à l’article 486 alinéa 2. Toutefois, si le coupable rentre dans la catégorie de ceux énumérés à l’article 487, le maximum de la peine prévue à chacun des alinéas dudit article est toujours encourue.
Pour précisions, l’article 484 évoque «l’attentat à la pudeur» et prévoit une peine de prison de deux à cinq ans pour «tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence, sur la personne d’un mineur de moins de dix-huit ans, d’un incapable, d’un handicapé ou d’une personne connue pour ses capacités mentales faibles, de l’un ou de l’autre sexe»
L’article 486 stipule que «si le viol a été commis sur la personne d’une mineure de moins de dix-huit ans, d’une incapable, d’une handicapée, d’une personne connue par ses facultés mentales faibles, ou d’une femme enceinte, la peine est la réclusion de dix à vingt ans».
L’article 487 distingue en effet entre plusieurs catégories de coupables, notamment ceux des ascendants de la victime (le cas de l’inceste): «Si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l’attentat, s’ils sont de ceux qui ont autorité sur elle, s’ils sont ses tuteurs ou ses serviteurs à gages, ou les serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignées, s’ils sont fonctionnaires ou ministres d’un culte, ou si le coupable quel qu’il soit, a été aidé dans son attentat par une ou plusieurs personnes…», la réclusion peut aller de cinq à trente ans selon les cas prévus
Sce : La Vie éco.
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