Le récentisme, une falsification de l’Histoire.


Le récentisme, une falsification de l’Histoire.



Comment distinguer le faux du vrai ? 
Comment savoir quelle partie de l’histoire du monde racontée dans les ouvrages est digne de confiance ? La question est difficile, et la réponse appelle à beaucoup de subtilités, de nuances, et aussi à beaucoup de rigueur dans la méthode employée pour établir la vraisemblance d’une information. 
Parce que la science c’est compliqué, et parce que l’histoire, pratiquée dans les règles de la méthode hypothético-déductive, en respectant le principe de parcimonie et celui de la réfutabilité des hypothèses, c’est de la science.
Malheureusement, certains ont dans la tête de jolis scénarios qu’ils s’emploient à démontrer avec toutes les apparences d’une maîtrise des disciplines afférentes à l’Histoire ; ceux-là font de la pseudoscience. Les récentistes sont une catégorie de pseudo-historiens tout à fait cocasses.
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Savez-vous ce qu’il s’est passé entre le 4 et le 15 octobre 1582 ?

Rien. Absolument, rigoureusement rien. Ces jours n’ont pas existé. On passe du jeudi 4 au vendredi 15 octobre dans le calendrier grégorien pour rattraper le retard du calendrier julien. On a donc retiré dix jours du calendrier sans que personne ne s’en offusque, sans que vous vous en soyez rendu compte, vous-même. Pourquoi n’aurait-on pas pu en retirer davantage… ou en ajouter ? Eh oui, car selon certaines thèses, ce n’est pas 10 jours qu’il manque à l’histoire, mais plusieurs siècles qu’elle a en trop !
C’est le récentisme.
L’histoire telle que nous la connaissons est une construction intellectuelle, une reconstitution des événements du passé, de leurs causes et de leurs conséquences. Personne aujourd’hui n’a été témoin du siège d’Alésia ou de la prise de la Bastille. À partir de ce constat, on peut choisir de croire que tout ou partie de ce que nous savons sur l’Histoire, est en fait une fiction (Cf. l’éditorial de l’émission : Science, Pyramides et Pipeau.)
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On trouve cette lecture hypercritique de la chronologie un peu partout, et notamment en France avec Jean Hardouin au 17e siècle pour qui la plupart des œuvres antiques étaient des faux inventés par des moines bénédictins. Hardouin a promis de révéler le nom des moines et leurs motivations dans un document à n’ouvrir qu’après sa mort, mais un tel document ne fut pas retrouvé, ce qui laisse évidemment toute la place nécessaire aux interprétations conspirationnistes[1].
On parle de récentisme ou de la théorie du temps ajouté, et elle existe en plusieurs parfums en fonction de ce que le pseudo-théoricien voudra mettre en valeur. On évoque des doublons historiques ; pour inventer les siècles manquant, on aurait recopié des siècles existant… parfois plusieurs fois. Ainsi pour certains l’histoire communément admise serait fausse aux ¾.
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Cette image n’a rien à voir. C’est donc la preuve que le récentisme est vrai.

Un délire nationaliste.

La thèse récentiste a été popularisée par Anatoli Fomenko, un mathématicien russe. Il se fonde sur les travaux de Nikolaï Morozov. Tous les deux ont publié ensemble, mais sans susciter une réponse très chaleureuse de la communauté scientifique. Pour les savants, cette thèse ne tient simplement pas debout. Qu’à cela ne tienne, Fomenko abandonne alors l’idée de publier ses travaux dans des revues scientifiques et sort plutôt des livres. Et là, c’est le succès en librairie !
Que dit la thèse récentiste version Fomenko ?
La chronologie actuellement admise serait une vaste invention des jésuites aux 17-18e siècles. Pour Fomenko, le plus célèbre des récentistes, il est absurde au plus haut point que la civilisation russe ait émergé si tard, près de mille ans après les grandes civilisations méditerranéennes. Pour nier ce qu’il semble vivre comme un insupportable affront, il affirme qu’avant la Russie, rien n’existait.
L’histoire du monde commence aux alentours de l’an 800. La vierge était Russe, le Christ aussi… (même si Jésus serait sans doute, en réalité, le pape Grégoire VII Hildebrand). Il a été crucifié en 1086 (ou en 1183) à Constantinople qui est la vraie Jérusalem. La Jérusalem actuelle n’est qu’une invention du 18e siècle construite dans le désert pour les besoins de la « chronologie officielle ». Par ailleurs Jules César est une projection d’Otton III, et Charlemagne n’a jamais existé. Sachez également que l’Illiade d’Homère ne raconte pas la Guerre de Troie, mais les Croisades.
Gengis Khan est en fait le roi russe Youri III, il soumet les peuples européens, il fonde la papauté à Rome, et ses troupes continuent… Alexandre le Grand, chef de la horde cosaque, fonde l’Islam et le califat à Bagdad, il y a moins de 500 ans. La horde continue, traverse la Chine et fonde l’ordre des samouraïs au Japon (originaires de la ville russe de Samsara ?), puis traverse le détroit de Béring et fonde les civilisations Maya et Aztèque. Les Pyramides de Gizeh sont les tombeaux de Youri-Gengis Khan et ses fils. Elles datent du 14e siècle. Après la dislocation du grand empire russe, les ex-vassaux auraient fait inventer les langues européennes afin d’affirmer l’indépendance de leurs territoires. Même le grec et le latin seraient plus récents que la langue d’origine : le russe. Et toutes les religions du monde dériveraient de la religion originelle : le christianisme orthodoxe.
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Otton III, le véritable César. (Puisqu’on vous le dit !)
Selon certaines versions, la peste de Justinien (530-590) et la grande Peste Noire (1348) sont un seul et même événement qu’on aurait dédoublé pour masquer le cataclysme d’origine cosmique responsable de la chute de Rome (cf Mondes en Collision de Velikovsky).
Comment peut-on croire à de telles… histoires ?
La question se pose, et la réponse n’est pas : par stupidité. Une explication aussi simple est démentie par Garry Kasparov, ancien champion du monde d’échecs, qui adhère (au moins un peu) à cette thèse. Il faut donc se retenir de traiter d’imbéciles ceux qui croient à des thèses objectivement ineptes.
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C’est qui le champion ?!

Un grand flou

Les récentistes sont flous. Le nombre d’années à retirer va de 300 (année 614 à 911, pour des théoriciens allemands) à plus de 1000. Certains parlent d’un cataclysme mondial (comme Velikovsky), d’autres n’en parlent pas. Il y a comme un manque de méthode, et en tout cas une absence d’homogénéité et de consensus. Et ça ne plaide pas en faveur de leur thèse
Immanuel Velikovsky (1895-1979) est un pseudo-historien et psychanalyste russe. Il défend l’idée que le passé de la Terre est rempli de catastrophes astronomiques. Vénus aurait émergé de Jupiter sous forme de comète (oui, comme dans la mythologie) et son passage près de la Terre aurait fait basculer son axe de rotation 1450 ans avant notre ère, causant l’ouverture de la mer rouge. Un peu plus tard la planète a retrouvé son axe, mais Mars a également fait des siennes ensuite. Par de semblables phénomènes, Velikovsky pense ainsi pouvoir expliquer le déluge, la Tour de Babel, Sodome et Gomorrhe, etc. Devant les démentis formels des modèles astronomiques à ce scénario, Velikovsky a inventé l’idée que des forces électromagnétiques pouvaient affecter les orbites planétaires. (extrait de : http://menace-theoriste.fr/lrdp-origines/)
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Ce grand flou où les thèses se multiplient et ne se ressemblent que dans le rejet de la thèse dite « officielle » (ou scaligerienne), est peut-être dû à l’amateurisme des défenseurs de ces thèses, et à leur manque de méthode. Les théoriciens les plus célèbres, Fomenko et Nosovski sont respectivement mathématicien et physicien, et ils fondent leur découverte sur ce qui leur semble des incongruités mathématiques dans les datations. Rien ne les qualifie en archéologie, en histoire ou en linguistique, disciplines dans lesquelles ils n’ont aucunement fait leurs preuves, et dont ils bafouent complètement l’état des connaissances actuelles dans un parfait Syndrome de Galilée.
Sophisme - Point Galilée
Qui sont les autres experts du récentisme ?
Uwe Topper : artiste sans formation scientifique. Eugen Gabowitsch : mathématicien. Heribert Illig, auteur et éditeur… continuateur des thèses de Velikovsky. Velikovsky : psychiatre et écrivain. Gunnar Heinsohn : sociologue et économiste. Pierre Dortiguier : professeur de philosophie. François de Sarre : zoologiste (et défenseur de la théorie pseudoscientifique dite de la bipédie initiale). Emilio Spedicato : mathématicien. Hans-Joachim Zillmer : géologue, partisan d’un raccourcissement… des ères géologiques ! Christoph Marx : il semble être le seul historien à partager l’idée d’un temps ajouté. Laurent Villaverde : se présente comme un archéologue, notamment, sur Meta TV, mais on ne retrouve son nom sur aucune publication scientifique.
Nul consensus n’existe entre ces gens qui considèrent comme véridiques des époques différentes. Aucun n’a publié une véritable étude scientifique à l’appui de ses thèses. Pour voir l’ampleur de la réécriture défendue par le récentisme, évoquons Uwe Topper, pour qui la vraie histoire ne remonte pas avant 1400… Et selon lequel le mur du Mont Sainte-Odile en Alsace (le « mur des païens ») était destiné à protéger les habitants des attaques… de dinosaures.
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Pour ajouter au flou général, le Mouvement Matricien a sa propre version du récentisme, totalement inversée avec les thèses citées plus haut. Tout ce qui est authentique chez Fomenko est fictif pour les Matriciens, et inversement. Ce que l’un tient pour une invention est la véritable histoire pour les autres.
« La « Nouvelle Chronologie Patricienne » défend l’hypothèse que 1000 ans fictifs furent inventés entre la conversion de l’empereur Constantin, et la dernière croisade, soit l’âge d’or chrétien médiéval ; et ce afin de cacher la vraie cause de la décadence de Rome, un retour à une société matriarcale, sur le modèle de la plèbe, des étrusques, des crétois, ou de la civilisation égyptienne… dotée d’un clergé féminin et d’une royauté matrilinéaire, sous la protection d’Isis. » (extrait du site du mouvement matricien vers lequel je choisis de n’ajouter aucun lien)
On constate que la méthode utilisée par les récentistes leur permet de conclure une chose et son exact contraire ; cela pour la bonne raison que le récentisme est par essence irréfutable, car il consiste à douter de manière catégorique et excessive de tout ce qui tend à prouver qu’il est faux. Position intenable dans une véritable pratique de la science.
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(Relativité, Maurits Cornelis Escher, 1953)

Comment l’histoire s’est-elle retrouvée modifiée ?

Une fois que le récentiste a constaté qu’il lui semblait y avoir des périodes historiques fictives, il lui reste à expliquer comment cela s’est produit. Certains évoquent bien sûr un complot (impliquant des jésuites ou des bénédictins), mais pour d’autres, plus parcimonieux, la principale explication est une série d’erreurs. C’est notamment la faute du X.
X est utilisé comme abréviation de Christ. Selon eux, le 1er siècle après Christ a été noté X1, puis X2, etc… Ce qui a été confondu avec XI (onze) XII (douze). Quand on ne parle plus du siècle mais de l’année, le M de MCCC veut dire millésime, mais pas mille, et alors tout fonctionne. Bien sûr, tout le monde n’écrivait pas en chiffres romains et on trouve donc des documents datés, par exemple de 1300. Mais là encore on entend une explication assez similaire. « Jésus » commence pas un J ou un I… Et donc l’an 300 de Jésus pouvait être noté j300 ou i300… Qui par mégarde est devenu partout 1300.
L’hypothèse de l’erreur se voit complétée à l’aide d’autant d’hypothèses ad hocqu’il faut pour rester cohérente. Et cohérente, elle peut sembler. Sauf que cela n’explique pas pourquoi personne jamais n’a vu cette erreur, pourquoi il faut attendre des non-historiens pour s’apercevoir que la science fait fausse route… Et là, pour rester « cohérent », on a besoin au bout du compte d’une forme de conspiration.
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Conspirons, conspirons.

Pourquoi cette conspiration ?

Erreur ou pas erreur au départ, la chronologie admise serait aujourd’hui maintenue volontairement pour d’obscures raisons. On dira que les scientifiques actuels ne supporteraient pas de remettre en cause tout ce sur quoi ils ont fondé leurs travaux. On dira que les pouvoirs politiques doivent leur légitimité à celle de leurs prédécesseurs, et que cela les incite à ne pas chambouler la chronologie. C’est invraisemblable, mais cela donne une illusion de cohérence, alors ça fera l’affaire.
Mais à l’origine de cette manipulation de l’histoire mondiale, beaucoup voient plus qu’une simple erreur. Les récentistes sont quasiment tous de fervents conspirationnistes, quoiqu’ils s’en défendent souvent. Puisque leur parole est qualifiée de ridicule par les scientifiques qui prennent rarement la peine de leur répondre, leur interprétation est : « Je dérange ! Ma vérité fait peur. On veut me faire taire. Etc. »
La thèse récentiste explique la falsification de l’histoire par le besoin des seigneurs européens de faire oublier l’existence de l’empire russe dans le but de renforcer la légitimité de leur pouvoir. Tous les chefs d’État de l’époque se seraient mis d’accord (bel exploit) sur une version fictive commune. À cette occasion, les langues européennes auraient été inventées de toutes pièces (ce qui pour un linguiste est une thèse aussi absurde que le créationnisme l’est pour un biologiste). Tout cela se serait passé avec l’approbation de l’Eglise Catholique, car on nous dit qu’elle en tirerait profit ; rallonger son histoire permettrait de renforcer son autorité[2].
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« Les vrais complots ça existe ». N’est pas un argument. Les requins blancs aussi existent, et pourtant il n’y en a pas dans cette pièce.
Quant à ceux qui auraient voulu résister à cette falsification… Eh bien, on les a supprimés. Il suffira d’imaginer que c’est la véritable cause des massacres des Cathares et des Templiers, et des guerres de religion. CQFD. D’ailleurs, de manière générale on va expliquer tous les épisodes historiques notables à la lumière de cette théorie particulière, et l’on se retrouve dans un mode d’explication monocausal assez caractéristique des pseudosciences.
Rapidement, il devient compliqué, voire impossible, de discuter de l’hypothèse irréfutable de la conspiration, alors on attend des récentistes qu’ils fournissent des éléments de preuve objectifs, qui ne soient pas entièrement dépendants des intentions cachées d’un groupe de conjurés. Et là encore, ils ont des réponses.

Les « Preuves »

Il existerait une preuve « métallurgique ». Les musées sont pleins d’œuvres en bronze que l’on date… de l’âge du bronze (-3000 à -1000) c’est-à-dire une époque où, à en croire certains récentistes, on ne savait pas faire de bronze. Plot twist ! Car le bronze est un alliage de cuivre et d’étain, or l’étain n’a été découvert qu’au Moyen âge, disent-ils. Donc le récentisme est vrai !
En réalité il existe des minerais d’étain exploités depuis l’antiquité, sous la forme d’oxydes nommé cassitérites, et on estime que les premiers objets en bronze ont été obtenus par sérendipité à cause d’impuretés dans les minerais de cuivre. D’ailleurs, l’âge du cuivre égyptien était presque un âge du bronze car les gisements de cuivre exploités contenaient assez d’arsenic pour renforcer les outils que l’on fabriquait avec. Un détail : on connait les mines d’étain de Cornouailles en Grande-Bretagne depuis 3 ou 5 siècles avant notre ère ; Jules César a même écrit à ce sujet (mais bien des récentistes nient l’existence de César, donc…).
Il existe néanmoins un mystère : d’où sort l’idée que l’étain n’aurait été découvert qu’au Moyen-Âge ?
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La dague en fer de Toutankhamon date de… l’âge du bronze ?
Dans le même registre, les récentistes font remarquer qu’on trouve des objets en fer dans des tombes remontant à une époque d’avant l’âge du fer (qui débute en -1000). C’est le cas par exemple des « perles tubulaires » en fer retrouvées en 1911 dans des tombes remontant à -3300 ans. Cela doit bien vouloir dire que les récentistes ont raison, non ?
En 2013 une étude a confirmé que le fer de ces « perles » était d’origine météoritique. Idem pour le poignard en fer de Toutankhamon (14e siècle A.E) qui a été forgé dans du minerai de météorite, comme l’a prouvé une étude de 2016 en étudiant la composition de la lame.
Autre preuve : le « saint suaire ».
Ce morceau de tissu dont certains veulent croire qu’il a été le linceul de Jésus Christ a été analysé par des scientifiques. L’expertise au carbone 14 l’a daté du 14e siècle. Et Fomenko prétend que c’est parfaitement cohérent avec sa thèse. Il plaide à la fois pour l’authenticité du suaire, et pour la crucifixion tardive du Christ. À y regarder de plus près, il demeure un intervalle de trois siècles entre la datation scientifique et la date alléguée de cette crucifixion en 1086, la cohérence est donc tout à fait discutable, mais les récentistes sont ravis de pouvoir prétendre qu’une radiodatation officielle leur donne raison… tout en rejetant globalement toutes les autres radiodatations compatibles avec la chronologie du consensus historique.
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Il ne date pas de l’antiquité, donc il est vrai ! CQFD
Cela relève de l’effet bi-standard où l’on change les règles du jeu afin d’obtenir le résultat désiré : un coup la méthode A est acceptable car elle donne un résultat conforme à nos attentes, et le reste du temps elle est rejetée car plus rétive aux hypothèses qu’il fallait conforter. Glissons au passage qu’aucun doute ne subsiste sur la nature artificielle et médiévale du suaire de Turin.
De manière générale, les preuves des récentistes reposent sur l’interprétationalternative qu’ils offrent pour expliquer des faits. C’est un travail tout entier d’interprétation, sans aucune production de nouvelles connaissances, dans lequel on use et abuse des analogies et des approximations, une démarche que l’on a croisée chez les pyramidologues, lesquels aboutissent à des conclusions inverses, avec une prolongation de l’histoire en des temps reculés de dizaines de millénaires.

Bon, et en réalité ?

Nous venons de constater que la thèse est largement absurde, mais c’est insuffisant pour rejeter complètement l’idée d’une vaste manipulation de la chronologie. Prenons quelques instants pour bien expliquer que la chronologie admise repose sur des données bien réelles et cohérentes.
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 Il y a les textes, les documents d’époques, les chroniques des historiens du passé. Les registres, les chartes, validés par l’étude de la nature de l’encre, la paléographie, les formules, les sceaux. Autant de disciplines dans lesquels les experts parviennent à un consensus sur l’âge des documents.

On peut notamment consulter un site (http://www.rose.uzh.ch/docling/) regroupant plusieurs milliers des premiers documents rédigés et datés en français entre 1204 et 1331, dont de nombreuses chartes royales. Pour des chartes datant de l’an 600 à 1200, presque 5000 exemplaires sont consultables ici (http://www.cn-telma.fr/originaux/index/)

Numismatique
 Il y a les pièces de monnaie.

On en a retrouvé de toutes les époques historiques, à l’effigie des seigneurs romains jusqu’aux rois les plus récents en passant par les mérovingiens, dans tous types de sites archéologiques. Parfois ce sont des pièces solitaires, parfois de véritables trésors.
L’hypothèse du complot devient exorbitante ; qui aurait pu dépenser temps, talents et métaux précieux pour enfouir des centaines de milliers de pièces un peu partout ? Alors une hypothèse ad hoc est proposée, celle de la superposition des époques : les pièces sont réelles, mais elles sont toutes de la même époque, les seigneurs figurant sur les pièces ne seraient que des vassaux de l’empire. Le problème c’est que leur disposition est toujours cohérente avec la chronologie scientifique. Il n’y a pas une seule pièce romaine dans un trésor carolingien et inversement, ce qui indique que les deux époques sont distinctes.
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Willard Libby contribue à l’invention la méthode de datation au C14. Il reçoit le prix Nobel de Chimie en 1960.
 Il y a la radiodatation.

Notamment la technique du carbone 14 qui permet de dater un objet, pourvu qu’il ait moins de 50 000 ans et qu’il contienne de la matière organique. Autant dire que les objets datés avec cette technique ne rentrent pas bien dans la thèse récentiste. La parade revient alors à dire que la technique repose sur le présupposé que les lois de la physique n’ont pas changé au cours des siècles, ce qui ne serait pas une certitude absolue, et que le calibrage se fait sur des objets dont l’âge est déterminé à partir de la chronologie scientifique, ce qui introduirait un biais au départ.
Cette deuxième objection pourrait avoir du sens s’il existait des incohérences dans les résultats obtenus au cours d’études en double aveugle… ou des inconsistances en regard des autres modes de datation. Or la radiodatation est cohérente avec les études des documents, des monnaies et du mobilier archéologique.
Dendrochronologie
Le profil des cernes du bois permet d’identifier les années.
 Il y a la dendrochronologie.

C’est la datation à l’aide des arbres. Les arbres produisent du bois dans lequel le passage des saisons peut se lire avec l’alternance de bois d’été et de bois d’hiver. En fonction des conditions extérieures, les cernes auront des apparences variées. Il est par conséquent possible d’établir un étalon des différentes essences de bois présentes dans différentes régions à partir desquelles on saura dater les morceaux de bois retrouvés sur des sites archéologiques. Cette méthode se combine parfaitement avec une analyse au 14C, et là encore, on s’attend à trouver quantité d’incohérences si la chronologie actuelle était fausse.
La dendrochronologie permet de confirmer l’existence des siècles passés jusqu’à l’empire romain et même avant, notamment car il existe des arbres vivant aujourd’hui et vieux de plusieurs millénaires (y compris en France). Cette discipline permet notamment d’avoir des informations sur le climat durant la Guerre des Gaules
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Cette supernova a explosé (pour un Terrien) en 1987
 Enfin il y a l’astronomie.

Beaucoup d’événements astronomiques cités dans les textes anciens peuvent être datés grâce à des modèles du système solaire. Par exemple les astronomes ont pu dater l’explosion de la supernova SN1006 dans la constellation du centaure à partir des nuages qui entourent le cadavre de l’étoile. Les calculs lui donnent un âge d’environ mille ans. Les données astronomiques nous disent qu’elle est la supernova la plus brillante depuis l’Antiquité ; on estime que c’est la seule étoile en dehors du Soleil à avoir pu projeter des ombres sur Terre. Elle fut visible dans le ciel durant plus d’un an[3].
Si l’on se tourne vers les documents historiques, cette supernova permet de mettre en parallèle des textes du monde entier.
« Elle est mentionnée dans des textes européens, (par exemple, le manuscrit Cod.Sang. 915 de l’Abbaye de Saint-Gall en Suisse), chinois, japonais, égyptiens et irakiens ainsi que, en Amérique du Nord, sur une pierre gravée par les amérindiens Hohokams et découverte en 2006 dans le parc régional de White Tank Mountain en Arizona.» (source wikipedia)
D’autres supernovæ offrent d’autres points de repère extérieurs à la Terre, et visibles par toutes les civilisations… Mais on a aussi un certain nombre d’éclipses, dont celle du 5 mai 840 qui est intéressante car elle a lieu en plein milieu de la période la plus discutée par les récentistes, quelques jours avant la mort de Louis 1er et la partition en trois de l’empire de Charlemagne. Elle figure dans au moins trois récits de l’époque dans différents royaumes… Et elle est parfaitement raccord avec les modèles astronomiques permettant de prévoir les dates des éclipses.

Quelques références pour en savoir plus sur les preuves à l’appui de la chronologie admise par le consensus scientifique.

Sur les textes
Sur les pièces de monnaie
Sur la dendrochronologie
Sur l’astronomie

http://www.e-codices.unifr.ch/frhttp://www.europeanaregia.eu/fr/rechercher/manuscrits?filters=tid%3A235
http://www.culture.gouv.fr/documentation/archim/tresor-chartes.htmlhttp://www.digi-archives.org/fonds/agsb/static/intro4.html
http://numelyo.bm-lyon.fr/manuscrits/list.phphttp://www.limousin-medieval.com/#!manuscrits/c1hanhttp://www.bibliotheca-laureshamensis-digital.dehttp://manuscritsenlumines.fr
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Croire au récentisme ?

Les preuves données ci-dessus sont bien sûr accessibles aux récentistes. Ils font le choix de ne pas les consulter, ou bien les rejettent, en vertu de processus psychologiques bien connus, les biais de confirmation, et grâce à une méthode en béton armé : la méthode hypercritique. Celle-ci permet de rejeter en bloc tous les éléments qui ne s’accordent pas avec la thèse défendue parce qu’on peut toujours invoquer une raison de douter de l’information malvenue.
« Ne tombez jamais amoureux de votre hypothèse. » Claude Bernard
Celui qui veut défendre la thèse que César n’est que la projection du roi Otton 3 (voire qu’il n’y a eu qu’un seul roi Otton qu’on a ensuite triplé) trouvera forcément des arguments. Comme on pourra trouver des arguments pour défendre l’idée d’un vaste projet mondial visible à travers l’alignement de sites archéologiques (Rome, Babylone, St Jacques de Compostelle, Pergame, Melbourne, etc.) Les points communs dans la vie des personnages publics, ça arrive, et certains en ont d’ailleurs dressé une liste impressionnante entre Kennedy et Lincoln ; qui n’est impressionnante que parce qu’on ne songe pas spontanément à tout ce que ces hommes n’ont pas en commun. Avec la logique récentiste, on en conclurait que Lincoln et Kennedy sont un seul et même homme.
Parce qu’ils ne mettent pas en œuvre une méthode qui leur permettrait d’écarter leurs hypothèses erronées, les récentistes sont dans la croyance ; ils croient à ce qu’ils prétendent savoir. Et plus ils travaillent à confirmer ce qu’ils croient plus ils courent le risque de s’enfermer dans une boucle de rétroaction positive où l’aversion à la perte leur rend chaque jour un peu plus insupportable l’idée d’avoir tant travaillé… sur des fadaises.
Mais si des gens y croient, ce n’est pas sans « raison », sans motif. Il y a une certaine séduction dans la thèse proposée, surtout si vous êtes chrétien. Le récentisme de l’école Fomenko supprime la filiation de l’islam et du christianisme avec le judaïsme, et fait du christianisme le premier monothéisme de l’histoire. Il exalte une identité caucasienne qu’il rend antérieure et supérieure à la culture méditerranéenne et africaine (Egyptienne notamment). Il balaie la méthode scientifique et toutes les techniques de datation qui ont disqualifié la Bible en tant que texte historique. Il rajeunit le monde et le rend compatible avec une lecture fondamentaliste des Écritures. Le récentisme est 100% compatible avec le créationnisme avec lequel il partage le goût du négationnisme des preuves scientifiques. Le récentisme soupçonne un complot mondial compatible, et c’est une spécificité de la pensée conspirationniste, avec l’ensemble des thèses conspirationnistes, c’est-à-dire même celles qui présupposent que le récentisme est faux, puisque le plus important est de soutenir l’idée d’un vaste mensonge organisé.
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C’est une conspiration mondiale. Mais ça reste entre nous !

Vous n’aurez jamais LA PREUVE que le récentisme est faux

Dans un champ disciplinaire aussi riche et complexe que l’histoire, presque rien ne repose sur UNE preuve. Notre connaissance du passé dépend d’une myriade d’éléments qui se coordonnent, se valident entre eux et créent une sorte de maillage sur lequel on peut faire reposer hypothèses et théories.
Ce que fait le récentisme, c’est prétendre que chaque nœud de ce maillage, chaque fait, est isolé. Il considère ce fait, lui propose une explication ad hoc en dehors du consensus (du maillage) et considère aussitôt qu’il a neutralisé les relations que ce fait entretient avec le consensus. Après des centaines de pages de ce petit jeu, la thèse récentiste a donc agglutiné quantité de faits artificiellement arrachés à leur contexte explicatif, et il devient impossible de montrer en quoi elle est fausse, puisque pour ce faire, il faudrait remettre les faits dans leur contexte, or ce contexte est nié par le récentisme.
Toute tentative de réponse au récentisme ne peut donc passer que par une critique de la méthode employée pour le construire. Il faut rappeler que la charge de la preuve incombe à celui qui avance une proposition étonnante ou détonante avec la connaissance établie ; il ne revient donc à personne de démontrer que le récentisme est faux, mais c’est à ceux qui le croient vrai d’en faire la démonstration, et en cas d’échec il leur faut se demander pourquoi ils n’ont pas été convaincants, et ce sans évoquer aussitôt la malhonnêteté de leur contradicteur.
Vous n’aurez JAMAIS la preuve absolue que Clovis s’est vengé qu’on ait brisé le vase de Soissons, ou qu’il ne l’a pas fait. Vous n’aurez jamais la preuve absolue que César a vaincu Vercingétorix ou que l’Homme a marché sur la Lune*. Vous n’avez même pas la preuve absolue que l’univers n’a pas été créé jeudi dernier, comme font mine de le croire les membres de l’Eglise de Jeudi-Dernier.
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En l’absence de preuve absolue, faut-il croire n’importe quoi ?

Votre mission : distinguer les registres.

Quiconque réclame une preuve absolue de quoi que ce soit se condamne à la déception, à la frustration, et à courir le risque de se réfugier dans les délices d’une illusion de savoir en dehors des espaces balisés par la science. Ceux qui veulent croire au récentisme mettent un doigt dans l’engrenage du doute hyperbolique où il devient apparemment judicieux de nier toute connaissance actuelle au nom du frein qu’elle impose à notre imagination.
L’erreur fondamentale réside dans le mélange des registres. L’histoire de la haine entre les Stark et les Lannister est passionnante, cohérente, et on peut vouloir y consacrer son temps et ses loisirs. Et cela ne pose aucun problème. Sauf à l’instant où vous commencez à oublier qu’il s’agit d’une fiction. Les amoureux des pseudosciences ont peut-être besoin de se rappeler que l’art de la fiction est noble, qu’il est important, que l’imagination, la facétie, la fantaisie sont de grandes qualités de l’être humain. Et qu’on peut les cultiver en les respectant assez pour ne pas vouloir les obliger à singer la science.
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« Le récentisme n’est pas une science. C’est une fiction refoulée. » Acermendax 2016
[1] Autre hypothèse : Hardouin était un peu fêlé. Il existe des précédents avérés.
[2] Hmm, on parle d’une église qui promet de retour de Jésus… retour d’autant plus retardé et donc d’autant moins certain… Logique ?
* Finalement cette photo sur la Lune avait un lien avec le contenu de l’article. Tout est lié ??

Remerciements aux relecteurs de cet article : Michel, Alexis, Morgane, Thomas et Vled…


Par Tradinews Maroc

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