Promouvoir l’entrepreneuriat social au Maroc.
« Faire le bien autour de soi, c’est toute une entreprise. »
Muhammad Yunus
Youssef vit dans une petite province rurale défavorisée du sud du Maroc.
Il est ouvrier dans une usine et a deux enfants, âgés de 10 et 12 ans.
L’école publique que ses enfants pourraient fréquenter se trouve loin de
son lieu de travail et est en cours de rénovation depuis plusieurs
années. L’absentéisme des enseignants et des élèves y est très élevé,
notamment en hiver, en raison de l’absence de chauffage et du mauvais
état des routes.
Youssef s’estime chanceux : il a pu inscrire ses enfants dans une école
privée, à deux pas de son usine. Et, depuis qu’il fréquente cet
établissement, son fils fait des progrès en lecture, en écriture et en
langue. Tout cela, Youssef le doit à Sanady, une entreprise sociale qui
offre une éducation aux enfants des ouvriers des usines alentour.
À ses débuts, en 2006, le programme Sanady comptait moins de 50 élèves.
Aujourd’hui, l’entreprise vient en aide à plus de 3 500 enfants. Son
financement repose sur le versement de frais de scolarité modiques ainsi
que sur les contributions d’entreprises locales.
Les exemples comme Sanady sont rares au Maroc, où le secteur privé
s’implique rarement dans les services aux populations défavorisées et
vulnérables. Les gens pensent généralement que les services sociaux
fournis aux pauvres relèvent d’un bien public et qu’ils doivent être
gratuits, les plus démunis ne pouvant se les offrir. De l’avis général,
c’est à l’État de garantir des minima sociaux aux plus désavantagés.
Conséquence de ce modèle social : en raison de la capacité généralement
limitée des pouvoirs publics à assurer seuls ce rôle, notamment dans les
pays en développement, les services sociaux se révèlent largement
insuffisants tant sur le plan de leur couverture que de leur qualité.
Ces dernières années, l’essor des entreprises sociales a changé la
donne. Celles-ci, à l’instar de Sanady, reposent sur un principe
inédit : elles fonctionnent souvent sur une base non lucrative, mais
fournissent des biens et des services selon des méthodes qui s’inspirent
du secteur privé. Elles génèrent des revenus, mais leur principal
objectif est d’ordre social. Elles placent l’usager/client au centre de
leur action, innovent, veillent à leur stabilité financière, et ont un
immense potentiel.
Les entreprises sociales peuvent en effet devenir un moteur du
développement et de la croissance économiques.
La KickStart
International Foundation au Kenya, qui soutient le développement de
start-up, a réussi à sortir plus de 500 000 personnes de la pauvreté[1].
Aux États-Unis, le Community Housing Partnership de Los Angeles, qui
propose des formations professionnelles et des opportunités d’emploi à
d’anciens détenus et sans-abri, a constaté que pour chaque dollar
investi, l’entreprise générait une économie de quatre dollars environ,
en raison du nombre de récidivistes en baisse et d’un taux d’emploi en
hausse[2].
Les entreprises sociales peuvent également aider à la création
d’emplois : la Grameen Bank du Bangladesh, spécialisée dans la
prestation de services financiers aux pauvres, emploie environ
35 000 personnes.
Au Maroc, la promotion du développement des entreprises sociales dans
des secteurs clés comme l’emploi, la santé et l’éducation paraît
particulièrement prometteuse. Malgré la présence d’un secteur public
considérable, les moyens ne suivent pas et l’État n’a pas les capacités
suffisantes pour fournir des services sociaux de qualité aux populations
pauvres ou défavorisées. Les pouvoirs publics pourraient nouer des
partenariats avec des entreprises sociales pour la prestation de ces
services.
En dépit de leur potentiel, les entreprises sociales au Maroc demeurent
largement sous-développées. Elles prennent généralement au départ la
forme d’une ONG. Si ces organisations ont le vent en poupe au Maroc, la
plupart d’entre elles affichent des moyens limités et ont un accès
réduit aux services financiers, leurs revenus provenant essentiellement
de dons.
Le développement de l’entrepreneuriat social au Maroc est nécessaire. Il
pourrait reposer sur quatre axes d’intervention simultanés :
renforcement des capacités des ONG constituées ; versement de subsides
aux entreprises sociales tout juste créées ; accès aux services
financiers pour les entreprises sociales de taille moyenne ; régime
préférentiel accordé par l’État pour la fourniture de certaines
prestations sociales.
Avec l’appui d’un fonds fiduciaire multidonateurs, la Banque mondiale et
le British Council œuvrent pour l’entrepreneuriat social au Maroc. Les
deux institutions signeront, à cette fin, un protocole d’entente, lors
du premier forum de l’entreprise sociale qui se tiendra à Casablanca les
21 et 22 mars 2014. Il s’agit de mieux faire connaître le potentiel de
l’entrepreneuriat social en matière de création d’emplois et de
prestation de services sociaux (sous la forme de partenariats avec
l’État), tout en développant un programme pilote pour soutenir,
accompagner et financer les entreprises sociales marocaines.
Les entreprises sociales pourraient ainsi constituer le maillon qui
manquait à la région : un élément indispensable pour améliorer l’aide
sociale aux populations les plus vulnérables, sensibiliser le secteur
privé aux questions sociales et créer des emplois de qualité.
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