Quand la France a amputé le Maroc : Naissance artificielle des frontières algériennes.
Quand la France a amputé le Maroc : Naissance artificielle des frontières algériennes.

«Carte du traité de Lalla Maghnia», Gaboriaud, capitaine d'état-major, et Daumas, lieutenant-colonel. (Archives du Dépôt de la guerre, Paris).


«Carte du traité de Lalla Maghnia», Gaboriaud, capitaine d'état-major, et Daumas, lieutenant-colonel. (Archives du Dépôt de la guerre, Paris).
En redessinant le Maghreb au XIXe siècle, la France a privé le Maroc d’une partie de son Sahara oriental pour bâtir une «Algérie française» aux dimensions impériales.
Ce découpage arbitraire, loin de refléter l’histoire ou les réalités sociales de la région, a scellé des frontières devenues sources de tensions durables.
Entre archives coloniales et mémoire vivante des populations, se révèle le récit d’un territoire déchiré et d’une identité morcelée.
Le 10/11/2025
Les frontières actuelles de l’Algérie ne sont pas le fruit d’une évolution historique naturelle, ni le résultat d’accords entre anciennes entités politiques.
Le 10/11/2025
Les frontières actuelles de l’Algérie ne sont pas le fruit d’une évolution historique naturelle, ni le résultat d’accords entre anciennes entités politiques.
Elles ont vu le jour dans les bureaux du ministère français des Colonies, tracées à l’ombre des canons, puis consacrées par un discours politique post-indépendance fondé sur la «sacralité des frontières héritées du colonialisme».
Le constat est du quotidien Assabah qui consacre une analyse approfondie au sujet dans son édition de ce lundi 10 novembre. Malgré les décennies écoulées depuis la fin de la domination française, cette réalité géopolitique demeure mal comprise.
Elle constitue pourtant la clé pour comprendre les tensions persistantes de la région, notamment la question du Sahara marocain et les relations complexes entre le Maroc et l’Algérie.
Dans cette perspective, la lecture des spécialistes prend une importance particulière, non seulement pour revisiter le passé, mais surtout pour saisir comment les États modernes du Maghreb ont été construits sur des cartes qui ne reflètent pas nécessairement leurs continuités historiques ni leurs structures sociales d’avant la colonisation, écrit Assabah. Deux voix éclairantes se croisent ici: celle du professeur américain Jeffrey Herbst, théoricien de l’État et des frontières en Afrique, et celle de Charles Dahan, président de la Fédération des Juifs marocains à Washington, fin connaisseur de la mémoire orale et du patrimoine identitaire des zones frontalières. Assabah leur accorde la parole.
Leur dialogue met en lumière un fait essentiel. Comprendre le présent du Maghreb suppose de redéfinir la conscience collective de ses frontières. Alors que l’analyse politique décrit comment des décisions arbitraires ont figé sur la carte des lignes sans fondement historique, la mémoire populaire rétablit les liens anciens entre les peuples et leurs territoires. C’est dans cet entrelacement entre la science et la mémoire que surgit la question centrale. Vivons-nous dans des frontières forgées par l’histoire ou dans celles dessinées par la France coloniale?
Dès le XIXe siècle, la France a abordé le Maghreb non comme un espace politique cohérent, mais comme un projet géographique à remodeler.
Dans cette perspective, la lecture des spécialistes prend une importance particulière, non seulement pour revisiter le passé, mais surtout pour saisir comment les États modernes du Maghreb ont été construits sur des cartes qui ne reflètent pas nécessairement leurs continuités historiques ni leurs structures sociales d’avant la colonisation, écrit Assabah. Deux voix éclairantes se croisent ici: celle du professeur américain Jeffrey Herbst, théoricien de l’État et des frontières en Afrique, et celle de Charles Dahan, président de la Fédération des Juifs marocains à Washington, fin connaisseur de la mémoire orale et du patrimoine identitaire des zones frontalières. Assabah leur accorde la parole.
Leur dialogue met en lumière un fait essentiel. Comprendre le présent du Maghreb suppose de redéfinir la conscience collective de ses frontières. Alors que l’analyse politique décrit comment des décisions arbitraires ont figé sur la carte des lignes sans fondement historique, la mémoire populaire rétablit les liens anciens entre les peuples et leurs territoires. C’est dans cet entrelacement entre la science et la mémoire que surgit la question centrale. Vivons-nous dans des frontières forgées par l’histoire ou dans celles dessinées par la France coloniale?
Dès le XIXe siècle, la France a abordé le Maghreb non comme un espace politique cohérent, mais comme un projet géographique à remodeler.
L’invasion d’Alger en 1830 ne visait pas la conquête d’un territoire défini, mais la création d’un pivot africain pour l’empire français, un point d’appui vers la Méditerranée au nord, le Sahara au sud, et les routes commerciales menant vers le Maroc, la Tunisie et la Tripolitaine, explique Assabah. Ce dessein s’est traduit par une reconfiguration systématique des frontières. Le Maroc fut amputé de son Sahara oriental, la Tunisie privée de terres dans les Aurès, et de vastes régions touarègues furent rattachées à une entité algérienne qui n’existait pas avant la colonisation.
Les historiens s’accordent à dire qu’avant 1830, il n’existait pas d’État nommé Algérie.
Les historiens s’accordent à dire qu’avant 1830, il n’existait pas d’État nommé Algérie.
Le nord du territoire relevait de la régence ottomane d’Alger, tandis que le sud était un espace tribal ouvert, traversé par des alliances religieuses et commerciales ancrées dans les sphères d’influence du Maroc ou dans les grandes confréries du désert.
La France bouleversa cet équilibre en décidant d’enfermer la région dans des frontières nouvelles.
Les archives coloniales décrivent alors l’Algérie comme «le centre de gravité africain de la France», une passerelle vers le cœur du désert.
En 1844, le général Eugène Cavaignac écrivait à Paris qu’il fallait «fermer le Sahara au Maroc et garantir la porte de l’Afrique à l’Algérie», reprend Assabah.
Cette phrase, elle, traduisait une doctrine impériale selon laquelle l’Algérie devait devenir non pas une colonie, mais une base de rayonnement français en Afrique.
Les archives coloniales décrivent alors l’Algérie comme «le centre de gravité africain de la France», une passerelle vers le cœur du désert.
Tout ce qui n’était pas français devait le devenir, quitte à être arraché à ses voisins. Parmi les nombreuses annexions opérées, la séparation du Maroc de son arrière-pays saharien fut la plus décisive. Avant le traité de Lalla Maghnia en 1845, l’autorité marocaine s’étendait jusqu’à Touat, Tindouf, Béchar et Figuig.
Ces régions ne représentaient pas seulement des espaces géographiques, mais des prolongements politiques et spirituels du Makhzen, attestés par la présence de représentants du sultan, de tribunaux, d’actes de bay‘a et de documents officiels conservés à Rabat comme à Paris, a-t-on lu.
Le traité de 1845 ne fixa pas de frontières claires. Il laissa volontairement une zone d’ambiguïté, tactique coloniale classique permettant une annexion progressive.
Le traité de 1845 ne fixa pas de frontières claires. Il laissa volontairement une zone d’ambiguïté, tactique coloniale classique permettant une annexion progressive.
En 1901 et 1902, des décrets administratifs français intégrèrent définitivement ces territoires à l’Algérie coloniale, sans consultation ni légitimité.
En 1952, à quatre ans seulement de l’indépendance du Maroc, Paris accéléra l’intégration de ces régions, cherchant à verrouiller la carte avant son départ.
Cité par Assabah, Jeffrey Herbst explique que cette fixation de frontières «dures» fut le changement le plus radical qu’ait connu le continent africain. Avant la colonisation, les limites étaient flexibles, perméables au commerce, aux alliances et aux migrations.
Cité par Assabah, Jeffrey Herbst explique que cette fixation de frontières «dures» fut le changement le plus radical qu’ait connu le continent africain. Avant la colonisation, les limites étaient flexibles, perméables au commerce, aux alliances et aux migrations.
En imposant des lignes rigides, la France a figé un espace qui, pendant des siècles, avait vécu du mouvement. Herbst souligne que ces frontières arbitraires ont détruit les réseaux économiques transsahariens qui reliaient le Maroc au Sahel.
Le Sahara, dit-il, n’était pas un vide, mais un espace vivant d’échanges et de cultures connectées. La colonisation a brisé cet équilibre au nom d’une géographie administrative étrangère à la réalité africaine.
Également cité par Assabah, Charles Dahan, pour sa part, aborde la question à travers la mémoire collective. Il rappelle que, dans les récits oraux des tribus de Tindouf, Béchar ou Touat, l’appartenance au Maroc demeure vivace.
Également cité par Assabah, Charles Dahan, pour sa part, aborde la question à travers la mémoire collective. Il rappelle que, dans les récits oraux des tribus de Tindouf, Béchar ou Touat, l’appartenance au Maroc demeure vivace.
Les habitants évoquent encore «la grande maison» («Dar Lekbira») en parlant du Royaume, et se souviennent du Makhzen comme d’une autorité spirituelle et politique. La France, en redessinant les cartes, a tenté de créer une identité territoriale nouvelle, mais la mémoire a résisté. «Les cartes mentent plus que les mémoires», dit-il.
Là où l’administration coloniale voyait des frontières, les peuples voyaient des routes, des confréries et des alliances.
Pour Charles Dahan, l’archéologie de la mémoire révèle un projet colonial global: construire une «grande Algérie française», englobant des pans de la Tunisie, de la Libye, du Mali et du Niger, afin d’en faire un centre impérial dominant le Sahara et le Sahel.
Pour Charles Dahan, l’archéologie de la mémoire révèle un projet colonial global: construire une «grande Algérie française», englobant des pans de la Tunisie, de la Libye, du Mali et du Niger, afin d’en faire un centre impérial dominant le Sahara et le Sahel.
Ce projet, aujourd’hui effacé des discours officiels, explique pourtant pourquoi l’Algérie actuelle est la plus vaste du Maghreb et d’Afrique, sans que son territoire corresponde à une continuité historique préexistante.
Le chercheur algérien Daoud Arbia, spécialiste du passé colonial nord-africain, confirme et estime que le discours officiel d’Alger s’appuie sur une légende de «frontières historiques» contredite par les archives.
Le chercheur algérien Daoud Arbia, spécialiste du passé colonial nord-africain, confirme et estime que le discours officiel d’Alger s’appuie sur une légende de «frontières historiques» contredite par les archives.
Celles-ci montrent qu’avant 1830, la régence d’Alger n’avait pas de limites fixées, et que le Sahara oriental appartenait à la sphère d’influence marocaine, tant par les liens de loyauté que par les réseaux religieux et commerciaux.
Il rappelle que même certains documents français de 1936 reconnaissent que ces frontières furent tracées pour servir les intérêts de Paris, et non ceux des peuples.
Après les indépendances, le principe de «l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme» a figé cet héritage au lieu de le corriger.
Après les indépendances, le principe de «l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme» a figé cet héritage au lieu de le corriger.
La question du Sahara marocain, ajoute Arbia, ne peut être comprise sans ce contexte.
En privant le Maroc de son prolongement oriental, la France a créé les conditions d’un déséquilibre régional durable. Plus tard, lors de la Marche verte en 1975, les tensions autour du Sahara occidental ont réactivé cette fracture, cette fois sur la façade atlantique.
Mais les évolutions récentes, notamment la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, les investissements massifs dans les provinces du Sud et l’ouverture de plusieurs consulats, ont modifié la donne.
Mais les évolutions récentes, notamment la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, les investissements massifs dans les provinces du Sud et l’ouverture de plusieurs consulats, ont modifié la donne.
Rabat ne réclame pas officiellement la restitution de son Sahara oriental, mais affirme avec constance que ses frontières n’ont pas été dessinées par l’Histoire, mais déchirées par la colonisation.
Cette prise de conscience n’est pas une revendication territoriale, souligne Arbia, mais un acte de mémoire. Elle vise à restaurer la vérité historique face aux récits fabriqués, à reconnecter la géographie à l’Histoire, et à rappeler que l’Afrique du Nord vit encore à l’intérieur de cartes qui ne furent jamais le reflet de son passé.
Cette prise de conscience n’est pas une revendication territoriale, souligne Arbia, mais un acte de mémoire. Elle vise à restaurer la vérité historique face aux récits fabriqués, à reconnecter la géographie à l’Histoire, et à rappeler que l’Afrique du Nord vit encore à l’intérieur de cartes qui ne furent jamais le reflet de son passé.
Par Assabah
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