Coronavirus : Soixante fois plus de morts en Israël qu’en Palestine.
La pandémie a révélé certaines faiblesses structurelles d’Israël, où le nombre de morts du coronavirus est soixante fois supérieur à celui des territoires palestiniens.
Manifestation contre Nétanyahou respectant la distanciation sociale, le 25 avril à Tel-Aviv (Jack Guez, AFP)
Nétanyahou est un redoutable communicant, doublé d’un excellent manoeuvrier. Il vante sur tous les tons son bilan dans la lutte contre le coronavirus, avec 266 morts au 15 mai en Israël pour une population de près de neuf millions d’habitants, soit un nombre de décès proportionnellement douze fois moins élevé qu’en France.
C’est cependant oublier qu’Israël ne se trouve pas en Europe, mais au Moyen-Orient, où tous ses voisins arabes ont des bilans humains très sensiblement moins élevés. La comparaison avec le nombre de morts palestiniens (4 morts en Cisjordanie pour plus de trois millions d’habitants et aucun décès à Gaza pour environ deux millions), malgré la faiblesse du système de santé dans ces territoires, est accablante pour Israël. A défaut de pouvoir expliquer un tel différentiel, force est de constater que la crise sanitaire a révélé la profondeur de certains problèmes structurels de l’Etat hébreu.
LA CRISE DES INSTITUTIONS DEMOCRATIQUES
La prestation de serment, ce 17 mai, d’un gouvernement israélien devrait enfin clore une suspension longue de seize mois du fonctionnement normal des institutions israélienne. Nétanyahou dirige en effet depuis janvier 2019 un gouvernement théoriquement chargé des seules affaires courantes, puisque trois élections successives n’avaient pas jusqu’alors permis de dégager une majorité claire pour un nouveau cabinet à la Knesset. Le Premier ministre, en fonction depuis déjà onze ans, après un mandat antérieur de trois années à la tête du gouvernement, est parvenu à s’accrocher à son poste au nom de l’unité nationale face à la crise sanitaire. Le chef de l’opposition, Benny Gantz, s’est rallié à un gouvernement d’union, après avoir longtemps juré que la triple mise en examen de Nétanyahou (pour fraude, corruption et abus de confiance) le disqualifiait comme Premier ministre. Un tel retournement a été condamné par la gauche israélienne, qui manifeste contre ces compromissions en respectant la distanciation sociale (photo ci-dessus). Ce retournement paraît d’autant moins justifiable que Nétanyahou a annoncé lui-même, dès le 4 mai, qu’Israël avait surmonté le pire de la crise sanitaire.
UNE CONTRE-SOCIETE ULTRA-ORTHODOXE
L’ampleur de la pandémie en Israël s’explique en partie par le fossé creusé entre le plus d’un million d’ultra-orthodoxes et le reste de la société israélienne. Les enclaves surpeuplées où se concentre cette communauté de haredim (les « craignant Dieu ») ont payé un lourd tribut au coronavirus, avec 37% des décès en Israël enregistrés dans les deux bastions fondamentalistes de Bnei Brak (au nord de Tel-Aviv), d’une part, et des quartiers ultra-orthodoxes de Jérusalem, d’autre part. Les rabbins les plus obscurantistes ont en effet longtemps refusé les mesures de distanciation sociale et le confinement, jusqu’à ce que celui-ci leur soit imposé par les forces de sécurité. Yaakov Litzman, le ministre de la Santé, lui-même un rabbin ultra-orthodoxe, a été critiqué avec virulence pour sa gestion déplorable de la crise. Les deux partis ultra-orthodoxes, forts de leurs 16 sièges à la Knesset (sur 120), continueront pourtant de participer au prochain gouvernement Nétanyahou, aux côtés de Gantz, et même du parti travailliste. L‘extrême-droite d’Avigdor Lieberman, que sa farouche opposition aux ultra-orthodoxes a exclu d’un tel arrangement, peut plus que jamais se poser en défenseur de la laïcité en Israël.
L’ENJEU DES ARABES ISRAELIENS
Les Arabes représentent un cinquième de la population israélienne, une proportion qui se retrouve dans le nombre de médecins du pays. Il s’orientent d’autant plus volontiers vers ces carrières médicales que leur exclusion de la conscription militaire (à l’exception des Druzes) leur ferme d’autres débouchés. Les Arabes israéliens constituent en outre le quart des infirmiers, la moitié des pharmaciens et une écrasante majorité des personnels d’entretien des hôpitaux. C’est dire combien le système de santé a dépendu des « Palestiniens d’Israël » pour faire face à la pandémie. Cette contribution signalée a pourtant été fort peu mise en avant par Nétanyahou. Il est vrai que le Premier ministre a fait adopter dès 2018 une loi sur « Israël comme Etat-nation du peuple juif » qui fragilise le statut même des Arabes israéliens. Nétanyahou se pose en seul rempart du « sionisme » face à une « menace arabe » identifiée à la minorité arabe d’Israël. Gantz l’a rejoint sur ce point, préférant se rallier à un gouvernement d’union plutôt que d’accepter le soutien des partis « arabes » à un cabinet sans Nétanyahou.
DES PALESTINIENS CONFINES DEPUIS DES DECENNIES
Le bilan très faible de la pandémie dans les territoires palestiniens peut s’expliquer par la jeunesse de la population locale, ainsi que par les strictes mesures de confinement adoptées très tôt par l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et par le Hamas à Gaza. Mais cela fait de toutes façons des décennies que la liberté de circulation des Palestiniens est bridée par les barrages de l’occupant israélien en Cisjordanie, sans parler du siège imposé depuis 2007 par Israël et l’Egypte à la bande de Gaza. La crise sanitaire n’a entraîné aucune forme de suspension de la répression des forces israéliennes, qui ont continué d’intervenir en Cisjordanie à des fins d’arrestation et de destruction de domiciles. Dans la partie orientale de Jérusalem, occupée depuis 1967 et annexée depuis 1980, Israël n’a accordé qu’une assistance minimale à la population palestinienne, pourtant majoritaire. Une telle discrimination laisse augurer le pire en cas d’annexion d’une partie de la Cisjordanie par le gouvernement Nétanyahou-Gantz.
D’ici là, libre à chacun de méditer sur ce paradoxe israélo-palestinien, où le dominé semble avoir moins souffert de la pandémie que le dominant.
Le Monde
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