Boris Cyrulnik : “Être résilient, c’est aller vers un nouveau développement”.

Boris Cyrulnik : “Être résilient, c’est aller vers un nouveau développement”.


Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, spécialiste de la résilience, livre à TNM Demain sa vision de la crise mondiale du Covid-19, ses causes profondes, les façons d’affronter le confinement, et d’éviter de revivre un tel traumatisme.


Pollution, bouchons, exploitation sociale... les plateformes VTC sont au coeur de nombreuses critiques. (Crédit : Flickr)

Il est “le” spécialiste de la résilience, un concept qu’il a contribué à populariser. 
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik revient sur la crise mondiale liée au Covid-19. Il analyse ses causes profondes : en bonne partie, selon lui, la course à la performance de nos sociétés mondialisées.

Il livre aussi trois conseils pour affronter le confinement : l’action, l’affection et la réflexion. Et esquisse une voie à emprunter pour éviter de revivre un tel traumatisme : Oser imaginer un modèle de développement différent.


TNM Demain : Face aux crises, nous ne sommes pas tous égaux. 
Quels sont les facteurs qui peuvent, ou pas, aider à les affronter ?


Boris Cyrulnik. En effet, ceux qui ont grandi dans une famille stable et sécurisante, qui ont un bon réseau amical, ceux qui ont appris à communiquer, vont téléphoner, lire, écrire, se remettre à la guitare, inventer des rituels, se débrouiller grâce à ces facteurs de protection acquis au cours de leur développement antérieur. À l’opposé, ceux qui ont acquis des facteurs de vulnérabilité, isolement sensoriel, carences affectives, maladies, précarité sociale… peuvent avoir plus de mal et risquent même de sortir du confinement avec un trauma. Ils ont davantage besoin d’aide.


- Quels conseils alors pour gérer la crise ?


La protection repose sur trois axes : l’action, l’affection et la réflexion. Les deux premiers sont des tranquillisants naturels qui permettent d’éviter les tranquillisants chimiques. Pour l’action, il faut bouger au moins une heure par jour, ce qui aide à sécréter des endorphines, dehors si possible et sinon en suivant par exemple des cours de sport sur internet. Il faut avoir une discipline. Je reçois d’ailleurs beaucoup de messages de gens qui se mettent à bricoler, à repeindre leurs volets, ceux-là seront sauvés !

L’affection est un autre tranquillisant. Le confinement est l’occasion de faire une déclaration d’attachement à nos proches, de renforcer les liens. Pendant les guerres, les soldats ont souvent tenu grâce aux lettres de leurs proches.

La réflexion enfin : cela peut être la méditation, la spiritualité si l’on est croyant, la lecture, l’écriture d’un journal intime qu’on laissera à nos enfants, ou même d’un roman ! Cette plongée intérieure permet de retrouver de la liberté, des ressources qui aideront à la résilience. Pour l’instant, nous sommes dans l’affrontement de la crise. La résilience est la reprise d’un nouveau développement après le confinement, après le traumatisme.


- Comment devenir résilient alors ? Et quelle nouvelle voie prendre demain ?


Il faudra essayer de mettre en chantier des projets, ce qui est un excellent dynamisant, au niveau individuel et collectif.

Et aussi chercher les causes de la catastrophe. Pourquoi il y a-t-il des épidémies répétées ? 
Notre culture passée acceptait la mort. L’individu n’avait pas une grande valeur. 
Il y a eu 1,5 millions de morts en France pendant la Première Guerre mondiale, des dizaines de millions pendant la grippe espagnole. Les femmes mourraient en couche et les bébés souvent lors de leur première année de vie. 
Mais on se résignait. “Inch’Allah”, c’est écrit, disaient les musulmans. “On a été punis par dieu parce qu’on ne croyait pas assez”, disaient les chrétiens. Et d’ailleurs beaucoup pensent encore ainsi.


- Un exemple contemporain ?

En Colombie après des massacres ou en Haïti après le tremblement de terre, j’ai vu des processions remerciant Dieu de sa punition. On risque d’assister à un réveil de la spiritualité, voire du fanatisme. 
Et puisque le virus est un ennemi invisible, comme la peste au Moyen Age, certains vont chercher des bouc-émissaires : l’étranger, le juif, le voisin. Un mécanisme qui ajoute du malheur au malheur. 
Mais on essaye tout de même d’être plus scientifique aujourd’hui, de chercher des causes rationnelles aux problèmes. 


- Pour vous, justement, quelle est la cause de cette crise ?


Maintenant, on considère que la personne est une valeur prioritaire. 
Les femmes et les hommes ne veulent plus se soumettre aux guerres. Mais cette nouvelle culture qui valorise l’individu est aussi à la source de la catastrophe. C’est au nom de la performance qu’on a développé des formes d’élevage intensif qui favorisent la naissance de virus. La course technologique, aux transports, le commerce international, la globalisation, ont ensuite permis l’extension du virus sur toute la planète.

Seulement, maintenant, on se rend compte qu’on préfère avoir un échec économique plutôt que des centaines de milliers de morts. Nous assistons à une vraie révolution de la pensée, une révolution dans la hiérarchie des valeurs morales, dans l’ethos !


- Donc pour vous il y aura forcément un “après-coronavirus”, lequel ?


Il va y avoir un conflit entre ceux qui voudront la continuité et ceux qui voudront changer de civilisation. Je pressens déjà que des économistes vont dire “on sait ce qu’il faut faire pour relancer l’activité”, et sûrement vont-ils réactiver des processus qui ont mené à la catastrophe, c’est à dire la consommation excessive, le sprint culturel. Est ce qu’on va les laisser faire ?

J’ai travaillé avec des Japonais, des Chinois, des Coréens et tous disaient “L’école est devenue une forme de maltraitance, faire sprinter nos enfants a un prix psychologique exorbitant, cela conduit à des suicides, des psychopathies, des garçons s’enferment avec des jeux vidéo”, alors que les pays du Nord – en suivant plutôt le rythme des enfants – obtiennent les mêmes résultats scolaires à 15 ans que les Japonais.

Dans ce débat passionnant, il faudra que les philosophes et les scientifiques, la démocratie, les journalistes, les romanciers, les fabricants de mots se mettent en chantier pour décider ensemble du futur souhaité.


Par Boris Cyrulnik.


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