Peut-on entretenir un mensonge toute sa vie ?
Steve Rannazzisi, le comédien de la série The League a menti pendant des années en prétendant être un survivant de l'attentat du 11 septembre.
Peut-on mentir toute sa vie ou un jour, le secret finit-il par être révélé ?
Pendant des années, Steve Rannazzisi, le comédien de la série The League, a revendiqué être un survivant de l'attentat du 11 septembre, assurant que la tragédie lui avait ouvert les yeux et l'avait fait basculer de la finance à la comédie. Un art qu'il maîtrise visiblement à merveille : le New York Times vient de démonter le bel exercice de storytelling de l'acteur qui a avoué avoir tout inventé.
Les menteurs célèbres nous fascinent par l'énormité de leur supercherie mais aussi d'une certaine façon, par leur audace.
Ainsi Rachel Dolezal s'est fait passer pour une militante afro-américaine jusqu'à ce que ses parents révèlent la supercherie, avec des photos d'elle jeune, blanche comme neige.
Le Grand Rabbin Gilles Bernheim jouissait d'une réputation d'éminent philosophe alors qu'il n'a jamais obtenu d'agrégation et était coutumier du plagiat.
Mais le maître mythomane de référence reste Jean-Claude Romand, qui a prétendu pendant 22 ans être un médecin renommé de l'OMS à Genève, ami de Bernard Kouchner, alors qu'il passait sa journée à lire sur des livres sur un parking. Un mensonge sur le point d'être découvert, qui le poussera à tuer sa femme, ses deux enfants et ses parents.
Peut-on mentir toute une vie ? Ou le poids du secret serait-il à un moment donné si lourd que la brèche finit par céder ? Le psychanalyste Pascal Neveu, auteur de Mentir pour mieux vivre ensemble ?, nous éclaire.
Question : - Peut-on vraiment entretenir un mensonge toute une vie ?
Pascal Neveu. - Cela
demande beaucoup d'énergie et un très grand contrôle de soi, ce qui
nous empêche toute attitude naturelle avec les autres. Il faut être très
intelligent et avoir une bonne mémoire pour ne pas se prendre les pieds
dans le tapis. Soit le menteur cloisonne ses relations et ses vies, et
se coupe des personnes qui connaissent la vérité, soit il répète
tellement le discours du scénario de sa vie qu'il peut le réciter par
coeur de façon cohérente à tout le monde. Mais aujourd'hui avec les
nouveaux systèmes de communication, il est de plus en plus facile d'être
démystifié. Souvent, la vérité éclate avant ou après le décès du
menteur, qui révèle tout sur son lit de mort ou dans son testament.
Pourquoi ce besoin de rétablir la vérité avant de mourir ?
La
peur du jugement dernier ! Il faut se libérer, se décharger du
mensonge, c'est un fardeau. On craint trop le jugement moral, on a peur
de ne pas aller au paradis. C'est dû au bain culturel éducatif et
religieux dont nous sommes imprégnés. Mais cela concerne surtout les
menteurs qui souffrent d'une déficience narcissique, qui savent qu'ils
mentent. À la différence du mythomane qui, lui, croit réellement à son
mensonge.
Pourquoi restent-ils dans le mensonge ?
Le
menteur vit à travers le regard de l'autre, il cherche à être perçu
comme quelqu'un de différent, il veut la reconnaissance parmi la
foule... S'ils sont découverts, tout s'effondre, ils vont perdre toute
crédibilité, tous leurs amis, toute leur vie. Je me rappelle d'une femme
qui découvre deux jours après son mariage que son époux a menti, qu'il
est au chômage et qu'il a contracté des crédits auprès de ses proches.
Elle n'est pas partie, elle n'a rien dit à personne. Ils se sont
enfermés tous les deux dans le mensonge. Quasi immédiatement, on est
prisonnier de cette histoire qu'on doit faire sienne.
Pourquoi ces histoires de menteurs nous fascinent ?
Nous
grandissons dans cette école du mensonge. Petits, nos parents nous font
croire au Père Noël. La première jouissance de l'enfant a lieu quand il
comprend le mensonge, qu'il intègre que cela permet de manipuler
l'autre, de le contrôler. Il ressent une forme de toute puissance. On
élabore des mensonges, des postures, ça devient un jeu, ça nous fait
rêver. Certains mentent par plaisir de se savoir puissants. Nous sommes
fascinés car cela nous renvoie à nos jeux d'enfants, on est admiratif de
ces menteurs de haute volée qui ont réussi à aller si loin dans un art
dont nous avons tous joué.
Peut-on vraiment prendre du plaisir à mentir toute sa vie ? Ne cherche-t-on pas à un moment à se faire attraper pour être libéré ?
C'est comme le joueur compulsif qui perd au
casino : plus il perd, plus il mord à l'hameçon. On était à deux doigts
de se faire choper et on y échappe quand même, c'est un shoot
d'adrénaline, quelque chose de jouissif. Le jour où ils sont découverts,
soit ils disparaissent, soit ils passent au meurtre. Après coup, ils
peuvent ressentir une forme de soulagement, de paix psychologique et
identitaire mais au fond, leur vie devient infernale. On ne leur
pardonne pas facilement et la réaction est violente.
Parfois, le mensonge est si énorme qu'on peut se demander si l'entourage n'a pas volontairement fermé les yeux...
Oui,
cela arrive. Les inconscients communiquent entre eux, se touchent. On
trouve le mensonge, on le ressent. Qu'est-ce je fais de cette révélation
ensuite ? Certains participent car le mensonge leur permet de continuer
à glorifier leur vie. Nous avons des mécanismes de protection et de
déni si forts...
Cela peut nous emmener très loin. Je me rappelle d'une femme qui avait fait un déni de grossesse et avait caché son bébé pendant un an dans le sous-sol. Son mari et les quatre enfants prétendent ne pas s'en être aperçus. Je n'y crois pas une seule seconde.
Mentir pour mieux vivre ensemble ? Psychologie du mensonge, de Pascal Neveu, aux Éd. L'Archipel, 18,50 euros.
À lire aussi :
L’esclave mental, un déchu volontaire de l’humanité…
E-mail : fbdconsults@gmail.com
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Merci de commenter nos articles