COMMENT L’OR NOIR RUSSE S’ÉCHANGE AU LARGE DU MAROC

Comment l’or noir russe s’échange au large du Maroc


Le 17-04-2023


À vue d’oeil depuis le Royaume, on peut voir de plus en plus de navires échanger du pétrole made in Russie au niveau du détroit de Gibraltar. Une combine censée permettre d’approvisionner les marchés asiatiques, non sans risque pour l’environnement.

C’est un spectacle devenu, depuis un certain temps, ordinaire auquel on peut assister, en cette moitié du mois d’avril 2023, depuis les colonnes d’Hercule. Au large du préside de Sebta, trois navires mouillent depuis plusieurs jours en position quasi-stationnaire. Ils s’appellent le Simba, le Vesna et le Volans et ils sont respectivement immatriculés au Cameroun, au Bélize et à la Barbade. Ce sont plus précisément des Aframax, qui sont des pétroliers de taille plutôt moyenne. Tous les trois ont appareillé dans la dernière dizaine du mois de mars 2023 depuis le port russe de Primorsk, sur la mer Baltique. Ils ont contourné le continent européen en passant notamment par la Manche, avant d’arriver après une semaine et quelques au détroit de Gibraltar.

Ce qu’ils y font? Ils y attendent d’y transférer le pétrole qu’ils transportent à un pétrolier plus grand, ce que l’on appelle en anglais des “Very Large Crude Carriers” (VLCC), c’est-àdire des très grands pétroliers transporteurs de brut. On parle alors de “ship to ship” (STS), ou navire à navire. Le VLCC prendra par la suite le relais pour acheminer le pétrole vers sa destination finale, en général la Chine ou l’Inde. Mais pourquoi diable opérer sur le littoral nord-africain? Après tout, ces pétroliers ne pouvaient-ils pas choisir un autre endroit? À à peine douze mille marins des terres, les militants écologistes n’en auraient sans doute, pour leur part, pas souhaité moins: les STS demeurent, en fin de compte, à haut risque et peuvent à tout moment plonger la zone dans une marée noire, d’autant que les pétroliers concernés ont pour la plupart déjà dépassé les vingt ans et sont donc relativement âgés.

C’est ce que nous explique entre autres Antonio Muñoz, président de Verdemar-Ecologistas en acción, une ONG espagnole basée à Cadix qui joue un grand rôle dans la médiatisation des activités des pétroliers dans la mer d’Alboran, que jouxte justement Sebta et qui s’étend jusqu’à l’Oranais algérien. Selon notre interlocuteur, les opérations contreviendraient notamment à la Convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires, dans la mesure où le Maroc et l’Espagne n’auraient pas été prévenus comme le stipule pourtant le texte. Car si les STS ont, certes, lieu, en pleine eaux internationales, il n’en demeure pas moins que ce sont les zones économiques exclusives (ZEE) des deux royaumes qui les accueillent.

Pollution marine
Et en ce qui s’agit plus particulièrement de la ZEE espagnole, les pétroliers s’inscriraient d’autant plus en faux contre la législation en vigueur au niveau de l’Union européenne (UE) vis-à-vis du pétrole russe suite au début de l’invasion de l’Ukraine par Moscou fin février 2022. Selon Verdemar- Ecologistas en acción, les pétroliers se compteraient par “dizaines”. Rien que le 9 avril 2023, et alors que le Simba, le Vesna et le Volans se trouvaient déjà dans les parages, on pouvait d’ailleurs voir à l’oeil nu depuis Sebta un STS mettant à contribution deux navires battant pavillon panaméen, à savoir un Aframax du nom de Thea, et un VLCC du nom de Scorpius, le premier transférant du brut russe au second.

Au passage, le Thea arrivait également de Primorsk, d’où il avait pris son départ le 23 mars 2023. “Verdemar-Ecologistas en acción a déjà dénoncé les faits devant le ministère des Affaires étrangères et n’a reçu aucune réponse,” fulmine, en réponse à une de nos questions, M. Muñoz.

Ce qui implique qu’au moins de leur côté, les autorités espagnoles laisseraient faire. Du côté marocain, nous avons directement posé la question au ministère de tutelle, à savoir celui de la Transition énergétique, mais nous n’avons obtenu aucune réponse en retour alors même que nous nous sommes bien assurés que ledit département avait bien accusé réception de notre demande. Et en attendant donc, les pétroliers devraient continuer à agir à leur guise. “Sebta, c’est justement, pour les Russes, l’endroit idéal pour un STS,” détaille un expert joint par nos soins et qui a requis l’anonymat pour nous dresser une vue générale du pourquoi du comment.

D’un point de vue naturel, le préside est situé à un endroit plutôt protégé des vagues et du vent, contrairement à ce qui est le cas quand on se trouve en plein Atlantique. Mais quand on arrive de Primorsk ou d’un autre port russe de la Baltique, on passe par différents points qui présentent les mêmes qualités, comme par exemple Skagen, au Danemark; le fait est qu’il s’agit en l’espèce d’États européens qui, à rebours de l’Espagne, semblent moins enclins à fermer les yeux sur le commerce de pétrole russe.

Nouvelles livraisons
Vient donc Sebta. Certains pétroliers poussent tout de même jusqu’à Kalamata, en Grèce, mais dans ce cas ils ne traitent pas avec des VLCC, étant donné que ceux-ci sont interdits de traverser le canal de Suez, le débouché logique qui intervient après. Ce qui n’est pas forcément avantageux pour transporter du pétrole, car un VLCC permet en dernier ressort de bénéficier d’économies d’échelle et de livrer à moindre coût. Et puis, le plus tôt les Aframax en ont fini, le mieux c’est: ils peuvent dès lors reprendre le chemin de la Russie pour se charger de nouvelles livraisons.

Des Aframax, le pays eurasiatique n’en compte justement pas une flopée, et la raison pour laquelle il préfère les utiliser sur une partie du trajet seulement et qu’il n’est pas en mesure de s’en priver près de trois mois durant -contre trois semaines seulement quand ils s’arrêtent à Sebta-, comme ce serait le cas s’ils se rendaient par exemple jusqu’en Extrême-Orient. Tout comme par ailleurs, la Baltique ne peut pas recevoir directement de VLCC, notamment du fait de la banquise qui se constitue pendant une partie de l’année à cause du froid, pour le moins, sibérien. 

En plus du fait que sa bordure méditerranéenne puisse se retrouver détruite par une éventuelle fuite, le Maroc n’en profiterait, tout compte fait, même pas pour sa propre économie, puisque les pétroliers utilisés par les opérateurs russes ne font que du transbordement pour des clients qui semblent majoritairement asiatiques.

Commentaires