Le 11 avril à Rabat, c’est en sa qualité de militant politique qu’Abdellatif Ouahbi, notre ministre de la Justice, a présenté un plaidoyer en faveur des libertés individuelles à l’occasion d’un débat.
Avec la verve qu’on lui connaît, il a mis les pieds dans le plat et, sans tabou ni langue de bois, s’est attaqué à plusieurs sujets épineux, de l’avortement au mariage des mineurs, en passant par le viol ou encore les relations sexuelles hors mariage. Si l’intention de Ouahbi de durcir les lois s’agissant des peines de viol met tout le monde d’accord, le reste de ses propositions ne va pas de soi et a de quoi procurer une belle indigestion à ceux qui considèrent que rien ne doit changer et que la liberté, dès lors qu’elle est relative au corps (féminin), est associée à la notion de haram.
C’est ce qui nous intéresse précisément ici, cette fervente indignation qui s’exprime quand on évoque la possibilité de légaliser des relations sexuelles, dans le cadre privé, entre adultes consentants. La simple évocation de cette idée vous vaut automatiquement l’étiquette de «laïcard» (c’est la nouvelle insulte du moment sur Twitter) ou, pire, d’apostat.
En somme, du côté de ceux qui prônent l’interdiction de disposer de son corps comme on le souhaite, on considère que la société marocaine est déjà suffisamment rongée par le fassad et que légaliser le sexe entre adultes consentants va uniquement encourager les gens à s’adonner à cette pratique immorale, qui s’avère aussi lucrative dans le cas des professionnelles. On peut lire ainsi que le Maroc s’apprêterait à devenir un bordel à ciel ouvert, un haut-lieu du tourisme sexuel, un pays de débauche…. Voilà pour les grandes lignes de cet argumentaire.
Cette façon de voir les choses implique plusieurs constats, le premier étant que ceux qui fustigent la première des libertés, celle de disposer de sa personne et donc de son corps, sont tous vierges ou étaient tous vierges avant leur mariage. L’emploi du masculin est ici dû non pas à l’usage du pluriel mais surtout au fait que les hommes sont les premiers à s’indigner haut et fort de cette liberté individuelle.
Pourtant, si chacun d’entre nous fait le compte en considérant sa propre personne et son entourage, connaissons-nous des hommes au Maroc qui ont préservé leur virginité jusqu’au mariage? Et avaient-ils seulement l’envie de la préserver? Connaissons-nous un homme dans notre entourage qui soit fier de dire qu’il est vierge ou qu’il entend le rester? Evoluons-nous dans une société où le concept de masculinité est associé à la virginité de l’homme? In fine, quand il s’agit de liberté de disposer de son corps, nous avons tôt fait d’oublier le principe d’égalité des sexes, quitte à ne pas élever nos enfants de la même manière dès lors qu’ils sont garçons ou filles.
Deuxième constat découlant du premier: on ne veut donc pas légaliser quelque chose que l’on pratique pourtant malgré son interdiction. Pourquoi? Est-ce la sensation d’être hors-la-loi qui procure une certaine excitation? A moins qu’on ne se dise inconsciemment que si c’est illégal, c’est à moitié haram, et ça passera mieux quand l’heure des comptes aura sonné?
Somme toute, en matière de consommation d’alcool comme de sexe, force est de constater qu’on s’accommode très bien du «je pratique sans pour autant approuver ce que je fais». C’est dire la gymnastique mentale, pour ne pas dire la torture mentale, qu’on s’inflige pour garder un brin de bonne conscience.
Soit, mais que viennent faire les autres dans nos propres choix, dans nos décisions de ne pas boire de l’alcool, de prier, de faire vœu de chasteté, de ne pas avorter? Pourquoi ce besoin de vouloir imposer à tous un choix qui n’est pas partagé? Pourquoi ne sommes-nous pas le moins du monde dérangé que tous les Marocains ne partent pas à la mosquée, que tous les Marocains ne prient pas, mais nous offusquons que tout le monde ne fasse pas le ramadan?
Cet interventionnisme dans le choix de vie d’autrui est en fait à deux poids deux mesures et cela porte un nom: l’indignation sélective. Un concept qui se répand comme une traînée de poudre dans une société où tout le monde estime qu’il a quelque chose à dire, que son avis compte. Aujourd’hui, tout est sujet à indignation, c’est ainsi que l’on existe désormais, que l’on se démarque, quitte à s’emmêler les pinceaux et à sombrer dans de fâcheuses contradictions en n’étant pas raccord entre les combats qu’on mène et nos actes IRL.
En matière de contradictions, il y en a une en particulier qui nous fait sourire, celle qui consiste à s’indigner qu’on puisse traiter les Marocaines de putes (parce que ce n’est pas vrai), mais à s’indigner dans le même temps qu’on puisse libéraliser les relations sexuelles entre adultes consentants parce que, inexorablement, le Maroc sombrerait dans la débauche… Comme si les millions de Marocaines que nous sommes étions toutes sur une ligne de départ invisible, prêtes à faire des folies de nos corps sous prétexte que c’est devenu légal.
Eh bien, non, il faut aussi compter sur celles qui tiennent à leur virginité (et elles sont nombreuses) par tradition ou pour d’autres raisons qui leur appartiennent, sur les romantiques inconditionnelles qui considèrent que le sexe est un acte d’amour auquel elles s’adonneront avec le prince charmant une fois la bague au doigt… Enfin, qu’on se rassure, la différence de taille qui existe entre le Maroc et les pays occidentaux– qu’on a tôt fait de brandir comme des exemples de débauche à ne pas suivre (même si beaucoup de Marocains y vivent)– et qui perdurera malgré le changement des lois, ce sont les tabous liés à la virginité au moment du mariage.
Ce que nous propose Abdellatif Ouahbi aujourd’hui, c’est de devenir enfin des adultes qui assument leurs actes sans nous cacher derrière des interdictions de la loi, qui sont d’ailleurs en contradiction avec la société actuelle, avec la notion même de justice et aboutissent trop souvent à des drames sociaux.
Cela revient à croire au bon sens, aux valeurs et à faire confiance aux choix des uns et des autres. Quel plus beau cadeau pour un être humain que de lui accorder la liberté et de le laisser en jouir comme il l’entend dans le respect des lois, quitte même à ce qu’il décide de ne pas en disposer… Libre à lui de faire ce qu’il veut de cette liberté.
Comme l’a si bien dit notre ministre de la Justice, parler des libertés individuelles n’est pas un luxe car ce débat est salutaire, dès lors qu’il sera dépolitisé et dépassionné. Quant à la manière de faire rimer ces libertés individuelles avec les principes de la religion musulmane, c’est aux oulémas, qui planchent aussi sur la question, de trancher, et en aucun cas à la foule invisible qui peuple les réseaux sociaux ou à un parti politique dont certains membres s’offusquent des libertés individuelles pour mieux s’y adonner en bord de mer.
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