Le courtisan (l’imam) et l’opportuniste (le président de la mosquée). ...

 Le courtisan (l’imam) et l’opportuniste (le président de la mosquée) : Et si on faisait le bilan de l’islam français de ces 20 dernières années ?


L’Islam français a toujours été un casse-tête pour les pouvoirs successifs. Comment avoir la main, une fois pour toutes, sur cette religion (« rebelle ») qui n’a pas de clergé ? Si dès ses origines, l’Islam s’est refusé d’avoir une cléricature en faisant clairement le choix de s’incarner dans la conscience de tout un chacun, c’est justement parce qu’il voulait rester foncièrement libre et insaisissable aux différents pouvoirs (souvent) corrompus.

En France, les communautés de l’Islam ont eu une constance dans leur représentation avec un binôme infernal : le courtisan et l’opportuniste. Ces représentants qui se sont souvent servis de leur communauté plutôt qu’ils ne l’ont réellement servie, n’ont pas réussi à faire surgir un « sujet pensant musulman » ayant une estime de soi et étant prêt à affronter les défis que suscite notre époque déboussolée ; ils ont même carrément amené leurs ouailles dans l’impasse. De là, ces représentants vont développer un catéchisme autour d’un dogme trinitaire né au début des années 2000. Voyons cela plus précisément.

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1 – Tu n’as pas de clergé mais tu auras une mosquée cathédrale

Au début des années 2000, les musulmans engagent le chantier de construction de mosquées afin de sortir le culte musulman des caves et baraquements bricolés dans les années 80. Les anciens ont pu compter pour ces chantiers sur l’alliance avec la première génération, leurs enfants nés dans les années 70. Mais très vite le gigantisme devant faire oublier l’humiliation d’une pratique cultuelle ostracisée, cachée voire honteuse, va épuiser les forces vives.

Les projets prennent en moyenne 7 à 10 ans et ce sera le sacrifice de toute une génération qui va s’opérer ; cette folie des grandeurs et cette volonté revancharde vont relayer l’éducation on second plan. Ça tombe bien, le salafo-wahabbisme, n’ayant pas accès (encore) aux petites mosquées traditionnelles, va s’occuper de cette éducation via le boom d’internet au tout début des années 2000.

Aujourd’hui, les générations actuelles ont majoritairement un seul logiciel, celui du ressentiment. La philosophie islamique (Ghazali), le soufisme (Rumi) et la théologie traditionnelle (Junayd) seront méprisés et attaqués ; l’Islam traditionnel sera contesté par cette génération nihiliste pour lui préférer une lecture dévoyée et identitaire. En France, avec le salafo-wahabbisme, nous avons un protestantisme agressif à l’américaine ce qui explique pourquoi les États-Unis et les pays du Golf se sentent si proches religieusement.

La France ne pourra pas résister à cette puissante alliance, les États-Unis étant tout bonnement le maître de maison en Europe. Le plus américain des présidents français, le sait et n’a pas d’autre choix que de l’accepter volontiers. Si l’on observe plus attentivement les choses nous pouvons remarquer que les États-Unis ont toujours attaqué des régimes arabes laïcs et socialistes pour leur préférer des régimes messianiques et libéraux.

Ce qui a sauvé la Turquie laïque c’est d’avoir été depuis toujours l’alliée des États-Unis (la Turquie reste laïque puisque le droit séculier créé par Atatürk reste intact et continue de régir la société turque). Pour l’Amérique, la laïcité française est au mieux une singularité et au pire, une anomalie qu’il faut réparer et c’est par ce biais que la puissance américaine s’exprime. Les américains sont convaincus que l’antiaméricanisme français provient de cette conception de la laïcité et la considèrent par là-même comme un des multiples obstacles à leur puissance.

2 – Ta cotisation avant ton éducation

Ce deuxième dogme découle du premier. Le gigantisme des projets de mosquées de ces 20 dernières années va faire dévier le centre de gravité. La mosquée du prophète (ç), la plus éloignée, dans l’esprit, des mosquées modernes, ne mettait en son centre que l’éducation, l’émancipation spirituelle et la libération de l’homme de toutes les formes d’asservissement.

Aujourd’hui, avec des coûts énergétiques qui resteront élevés, les musulmans se sont asservis à la seule chose qui compte pour notre binôme infernal : la cotisation. L’éducation qui émancipe les individus n’existe plus, seule est mise en avant l’éducation qui rappelle que c’est un lieu de culte et non un espace-café. Or, nous le savons par la science prophétique, que la mosquée finira comme un centre socio-culturel ne véhiculant plus aucune spiritualité car « la dernière chose qui disparaîtra sera la prière mais auparavant, aucune confiance ne pourra être faite au prieur » annonçait le prophète (ç).

L’apprentissage du Coran « qui n’ira pas en deçà du gosier (i.e au niveau des cœurs) » n’est là que pour la forme ; il ne s’agit plus de le comprendre et de l’incarner mais tout juste de le lire pour se ressouvenir, qu’il y a longtemps, d’autres hommes et femmes l’avaient, eux, compris et incarnés. Au regard de ce que nous venons de dire, il n’est plus étonnant de voir des imams prêcher pour la cotisation et non plus pour la libération des consciences que la modernité emprisonne dans le monde de la matière.

3 – Un projet …quel projet ?

La préoccupation des acteurs et animateurs de la mosquée devient de plus en plus pauvre parce qu’elle est presque exclusivement matérielle ; c’est le règne de la quantité. La mosquée moderne nous l’obligeons, contre sa vocation première, à enseigner aux fidèles qu’il faut marcher sur sa tête et qu’il vaudrait mieux réfléchir avec ses pieds. Je n’exagère rien !

Un imam ne peut pas déconnecter des hommes et des femmes qui sont eux-mêmes, constamment connectés, influencés et travaillés par les soubresauts du monde, en leur répétant des formules toutes faites comme s’il s’agissait d’un vestige. Le président de la mosquée n’a pas (en réalité ne peut pas) offrir un projet éducationnel, culturel ou encore intellectuel ou spirituel ; il propose tout juste une liste pour s’inscrire au programme de nettoyage du tapis de prière ; voilà son unique horizon. Pathétique !

L’imam est devenu un conservateur dans un musé. Or l’imam, se voulant un digne héritier du Prophète (ç), doit offrir un langage à ses ouailles pour qu’ils comprennent la marche du monde et leur éviter les pièges, et comme le disait Mohamed Abdallah DRAZ, il s’agit d’essayer de « vivre au milieu du feu en cherchant à ne pas se faire brûler ». Nous savons que la transmission de l’Islam matinal se fera de cœur à cœur et non plus dans les mosquées de la fin du cycle. Rebelle jusqu’au bout, l’Islam échappera à ces tombeaux que deviennent les mosquées françaises pour rallumer les flambeaux par ailleurs.

Le 16 février 2023, Emmanuel Macron a reçu les représentants du Forif (Forum de l’Islam de France). Nous pouvons assurément dire que cette nouvelle « plateforme » connaîtra assez vite, à l’instar de la nouvelle institut française d’islamologie, la même fin que celle de l’UOIF, du CFCM, de la FiF (Fondation de l’Islam de France), etc., car les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Les musulmans ont une défiance viscérale à l’égard des institutions qui enserrent leur religion dans un but exclusivement politique.

La seule autorité qu’ils acceptent volontiers est le savant traditionnel, altruiste et ancré parmi les hommes et que le Prophète (ç) a désigné comme son seul héritier. Quand les autorités verront que cette plateforme est devenue une coquille vide (d’ici à cinq ans), ils l’abrogeront comme le CFCM par un seul clic sur Twitter pour lui préférer une autre formule et ce, jusqu’à trouver la bonne échelle de gouvernance.

Si les autorités lisent les articles sur Oumma.com, je leur rappelle que la religion juive s’organise autour de consistoires régionaux composés de rabbins et que la religion catholique s’organise autour de la conférence des évêques. Or, les représentants pour l’Islam ont toujours été des présidents d’associations de mosquée ayant une ignorance crasse de leur propre religion. Les musulmans souhaitent voir des imams-savants et non des acteurs associatifs incultes représenter leur religion au plus haut niveau de l’État.

C’est pourquoi toute initiative autour des présidents de mosquée ne fonctionnera jamais. Dans les années 80, les imams étaient arabophones et il fallait avoir un président d’association de mosquée parlant français.

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En 2022, les imams sont majoritairement francophones aussi, le bicéphalisme de l’Islam français ne se justifie plus. Le ministère du Culte aurait dû imposer le cultuel avec à sa tête l’imamat, plutôt que de laisser le choix aux associations de prolonger la vie du président d’association, qui s’avère souvent être un apprenti-dictateur reproduisant l’autoritarisme des régimes arabes.

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