Moudawana et l'héritage dans le coran.



Moudawana et l'héritage dans le coran.

Le Droit des Femmes. ...

Code de la famille au Maroc : «Ce n’est pas la réforme radicale que nous attendions»Après deux ans de consultations, le Maroc a dévoilé mardi 24 décembre des propositions de réforme concernant le mariage des mineures, la polygamie et l’héritage. 

Les militantes féministes appellent à des mesures plus audacieuses malgré les résistances dans le royaume.



A l'appel d'un collectif féministe, des manifestantes exigent une refonte de la Moudawana et du code pénal, place des Nations-Unies à Casablanca, au Maroc.

Les contours de la réforme du code de la famille – ou Moudawana – ont enfin été révélés. 
Lors d’une conférence de presse mardi 24 décembre, le ministre marocain de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a dévoilé plusieurs propositions visant à renforcer les droits des femmes et des enfants dans le royaume. 

Le A l’issue de deux ans de consultations, le projet, qui doit être soumis au Parlement pour approbation, présente plus d’une centaine d’amendements, dont la révision des dérogations pour le mariage des mineures, la possibilité pour les Marocaines de stipuler leur opposition à la polygamie, ainsi que l’extension de leurs droits en matière de tutelle et de garde des enfants.

Plusieurs propositions soumises pour avis légal au Conseil des oulémas, un organisme religieux composé de théologiens choisis pour leur expertise en sciences islamiques, ont en revanche été refusées. 

Parmi elles, l’utilisation de tests génétiques pour établir la filiation paternelle ou des changements majeurs concernant l’héritage des filles – des mesures très attendues par les associations féministes. «Ce n’est pas la réforme globale et radicale que nous attendions, même s’il y a quelques avancées positives, regrette Fouzia Yassine, membre du bureau exécutif de l’Association démocratique des femmes du Maroc.

La persistance de l’existence de la polygamie et les exceptions accordées par les juges pour les mariages des filles de 17 ans sont inacceptables. La philosophie du code de la famille, basée sur le patriarcat, n’a pas changé.»

De sérieuses réserves face à un manque de précisions.

Présidente de l’association Kif Mama Kif Baba, qui lutte contre les inégalités de genre, Ghizlane Mamouni salue ce qu’elle considère comme un «pas en avant dans ce processus de réforme tant attendu», notamment la fin du risque pour la mère de perdre la garde de ses enfants en cas de remariage. 

L’avocate exprime toutefois de sérieuses réserves face au manque de précisions dans ces potentielles mesures. 
Si la tutelle des enfants, jusqu’alors attribuée automatiquement au père, pourrait désormais être partagée entre les deux parents, la militante s’interroge sur la mise en pratique de cette «tutelle partagée» : «Que signifie réellement cette notion ? Si l’accord des deux parents devient nécessaire pour prendre des décisions, cela pourrait compliquer les choses plutôt que favoriser l’avancement des droits de l’enfant.»

L’avocate espérait elle aussi l’interdiction totale de la polygamie, qui reste aujourd’hui autorisée sous certaines conditions dans le royaume. 
Si les Marocaines auront désormais la possibilité de s’y opposer lors de l’établissement de l’acte du mariage, le ministère de la Justice a précisé qu’un homme pourrait toujours s’unir avec une seconde femme en cas de stérilité ou de maladie de sa première épouse. Cette disposition est jugée «choquante» par Ghizlane Mamouni, qui y voit une atteinte à la vie privée des femmes marocaines et une violation du secret médical. «Rien ne va dans cette nouvelle version parce que ce sont des hommes qui l’ont rédigée afin de réaffirmer leur domination et de préserver leurs privilèges», renchérit Ibtissame Betty Lachgar, militante pour les droits humains, sur le réseau X.
Des mesures féministes mal perçues chez les conservateurs

En 2004, une première révision de la Moudawana avait constitué un tournant majeur en améliorant significativement les droits des femmes dans le pays. Vingt ans plus tard, cette nouvelle réforme du code de la famille se heurte encore à d’importantes résistances dans un pays où l’islam est la religion d’Etat. Certaines mesures souhaitées par les militantes féministes sont ainsi perçues par les plus conservateurs comme étant en contradiction avec des interprétations traditionnelles de la charia.

Lundi, SM le roi Mohammed VI, qui avait lancé cette révision du code de la famille en 2022, a réaffirmé que le texte amendé devrait être fondé sur «les principes de justice, d’égalité, de solidarité et d’harmonie» avec les préceptes de l’islam et les valeurs universelles, afin de protéger la famille marocaine. «Malheureusement, la réforme du code de la famille reste piégée entre une référence religieuse et les droits humains universels, conclut Ghizlane Mamouni. Il est nécessaire de prendre une position claire pour pouvoir avancer.»



Code de la famille au Maroc : Entre évolution et bigoterie.

Au Maroc, comme dans d’autres pays musulmans, une fille hérite moitié moins que son frère, et si les parents n’ont que des filles, ce sont les oncles ou les cousins qui héritent.


C’est inscrit dans la Moudawana, le Code de la famille marocain.
Un code qui régit tous les liens familiaux, mariage, divorce, héritage…, et qui a gravé dans le marbre des inégalités patriarcales. Mohammed VI a appelé à sa réforme, et depuis plusieurs mois, le débat fait rage dans le pays.


Les islamistes sont montés au créneau, des féministes ont été menacées. Toute la difficulté repose sur le fait que la Moudawana est considérée comme de droit divin et se base sur le Coran. Rares sont les personnes à appeler à ce qu’elle devienne un Code civil, dissocié de la religion. Dans ce cadre contraint, les féministes et la société civile se mobilisent. Reportage.

Hanane, 19 ans, est notre voisine pendant le trajet en avion vers Rabat. Lycéenne, elle vit au Maroc, et vient de passer le concours d’une grande école d’ingénieur française. Dans un pays où 46 % des femmes étaient analphabètes en 2019, elle n’est pas représentative de la Marocaine lambda, mais de l’élite de demain.


Elle revient en France dans une semaine pour passer les oraux d’une école de pilote d’avion à Toulouse. « La première femme pilote dans le monde arabe était marocaine ! », souligne-t-elle avec fierté. On ne le savait pas, il s’agit de Touria Chaoui, au début des années 1950. Elle avait dû lutter contre les a priori selon lesquels c’était un métier d’homme.

Hanane doit faire de même, plus de cinquante ans plus tard. Ils étaient tout un groupe de lycéens à venir passer des concours en France : une vingtaine de garçons et seulement deux filles. Parfois les débats font rage dans sa classe, raconte-t-elle. « Les garçons ne sont pas d’accord pour que les femmes soient indépendantes, et même, un jour, un prof a critiqué le fait que des filles deviennent ingénieures. » Puis elle lance : « Je suis féministe ! » Trois heures d’avion, avec une heure de retard. Le temps d’échanger.


Elle a préparé les concours tout en faisant le ramadan, elle tenait à le respecter, mais comprend que certains ne le fassent pas. Elle est d’ailleurs critique envers une loi, toujours en vigueur au Maroc, qui condamne toute personne qui mange dans la rue pendant cette période. Une prise de position encore assez rare. Cette rencontre nous plonge dans un Maroc en pleine évolution.

À l’arrivée à Rabat, on aperçoit immédiatement la tour Mohammed-VI, tout juste achevée, une forme de fusée, gracieuse, 55 étages, 250 m de haut, deuxième tour la plus haute du continent africain. 350 millions de dollars, payés par son promoteur, le magnat de la finance Othman Benjelloun, patron de Bank of Africa. Comme une manière d’inscrire le Maroc dans la modernité ? Le chauffeur de taxi est d’ailleurs très fier de nous la montrer. Une « tour phallique », raillera plus tard l’une de nos interlocutrices féministes.
De droit divin

Ce qui agite le pays depuis quelques mois, c’est un débat autour de la Moudawana, le Code de la famille, qui régit, notamment, l’autorité parentale, le mariage, le divorce, l’héritage. Dans son discours du Trône de juillet 2022, le roi Mohammed VI a appelé à sa modification. Mais attention, avec cette précision : « Je ne peux rendre licite ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé. » Quelle marge de manoeuvre reste-t-il pour modifier un code considéré comme étant de droit divin et basé sur le Coran ? Promulgué entre 1957 et 1958, il entérine des lois patriarcales inspirées du texte religieux : répudiation, polygamie, inégalité dans l’héritage.

En 1992, l’Union de l’action féminine (UAF) lance une campagne, et obtient 1 million de signatures en faveur d’une réforme. Une première modification a lieu en 1993, à la marge. Mais déjà, cela permet une « désacralisation » de ce code : désormais, il peut être modifié. Une deuxième grande réforme a lieu en 2004, lancée, déjà, par ­Mohammed VI. À ­l’issue de cette réforme, les femmes ont alors le droit de demander le divorce, la polygamie est soumise à des conditions strictes et le mariage des mineurs est théoriquement interdit, sauf dérogation de la justice. Et que se passe-t-il ? Sans surprise, les dérogations données par les juges sont légion. Ainsi, 19 000 mariages de mineurs ont encore lieu en 2021 d’après l’hebdomadaire marocain TelQuel.

En 2011, une nouvelle Constitution, dans le sillage du « printemps arabe », est promulguée, son article 19 consacre l’égalité entre femmes et hommes dans tous les domaines.


Ce qui fait dire à nombre de féministes marocaines que, dorénavant, la Moudawana est en retard par rapport à la Constitution.
Betty Lachgar

En attendant, les femmes se prennent de plein fouet les inégalités encore gravées dans le marbre de la loi. 
Nous retrouvons plusieurs féministes à Mohammedia, sur la côte, entre Casablanca et Rabat. 
C’est un lieu symbolique pour les féministes marocaines : ici, en 2009, a eu lieu le premier pique-nique des « dé-jeûneurs », en plein ramadan, organisé par Betty Lachgar (lire son portrait ici) et une certaine Zineb El Rhazoui ! On a rendez-vous avec Ghizlane Mamouni, qui a créé le mouvement féministe Kif Mama Kif Baba (« comme maman, comme papa »).
Issu de la fornicationGhizlane Mamouni

Dans une pizzeria, un soir de match de foot – pardon pour les clichés -, autant dire qu’on est la seule table de filles et les seules à parler féminisme. Et ce n’est même pas un club marocain : c’est le Bayern contre le Real Madrid. Ghizlane est avocate, spécialisée en droit bancaire et financier, elle a fait ses études de droit en France et a bossé dans de grands cabinets. Indépendante, autonome financièrement, elle s’est heurtée brutalement à la Moudawana lors de son divorce. « Je pensais que les inégalités étaient uniquement dans les mentalités. J’ai lu cette fameuse Moudawana, et j’ai découvert que ces inégalités étaient inscrites noir sur blanc. J’ai tout « bien fait » : mes études, je me suis battue pour mon travail, et je me retrouve confrontée à ça ! »

En cas de divorce, la garde revient à la mère, mais la tutelle (la responsabilité légale) revient uniquement au père. Cela signifie que Ghizlane n’avait aucun droit sur ses enfants, pas son mot à dire concernant, par exemple, leur lieu de scolarisation. Faute d’obtenir la signature de son ex-mari pour changer ses enfants d’école, ils manquent de rater la rentrée. La législation interdit aussi à Ghizlane de voyager hors du territoire national avec ses deux enfants, sans l’autorisation de leur père. « Même moi, j’ai dû batailler, et pourtant, je suis avocate. La plupart des femmes n’ont pas les mêmes chances ! »Karima Nadir

Lorsqu’on entre chez Karima Nadir, 37 ans, on croise son fils, un grand garçon de 16 ans. Elle l’a eu toute jeune, hors du cadre du mariage. Dans sa cuisine, où elle nous reçoit, des portraits de Frida Kahlo accrochés au mur. Elle nous propose du vin rouge, qu’elle mélange avec du Schweppes. « Selon la Moudawana, c’est un enfant illégitime, issu de la fornication », souffle-t-elle. Le père de l’enfant a voulu qu’elle avorte, mais elle a décidé de le garder, et lui s’est enfui. Sa mère est conservatrice, mais elle a considéré que c’était la volonté de Dieu. « C’est la bonne facette de la religion ! » glisse-t-elle. Elle a dû se battre pour faire reconnaître ses droits. « Je suis allée seule déclarer mon fils à l’état civil. Selon la Moudawana, il y a un registre spécial, un nom de famille spécial pour les « enfants illégitimes ». On fait une distinction entre « légitimes » et « bâtards ». J’ai dit à l’officier : « J’en connais qui sont issus de grandes familles et qui sont des bâtards ! » Je ne me mets pas dans une posture de victime, c’est important. Sinon on te traite en tant que telle. »
L’ijtihad

Agnostique, elle arbore des tatouages, alors que c’est interdit par l’islam. Journaliste, puis consultante sur les questions de genre et de développement social, elle est devenue une militante féministe de premier plan, et intervient régulièrement dans les médias. 
On utilise parfois sa situation familiale pour lui nuire. 
L’acte de naissance de son fils, où il y a marqué « Nom du père de famille choisi par le juge », a été rendu public récemment pour la dénigrer. Elle ne manque cependant pas d’humour ni de force.

Lors d’une émission de débat télévisé, elle s’est comparée à la Vierge Marie : « C’est la plus célèbre mère célibataire dans le Coran ! » Elle s’engage aussi concrètement : chaque mois, elle héberge une mère célibataire chassée de chez elle.

Le combat le plus difficile reste l’égalité dans l’héritage. L’in­égalité est inscrite noir sur blanc dans le Coran, sur lequel se fonde la Moudawana. On ne cite pas souvent le Coran dans Charlie, mais on peut y lire : « Au fils, une part équivalente à celle de deux filles » (sourate 4, verset 11).

D’ailleurs, même en Tunisie, historiquement en pointe sur les droits des femmes au Maghreb, l’égalité dans l’héritage n’a pu être mise en place. Au Maroc, le Parti de la justice et du développement (PJD), islamiste, est monté au créneau contre toute évolution sur ce point. « Certains ont osé appeler explicitement à l’égalité dans l’héritage, […] c’est une menace pour la stabilité nationale, liée à ce que le système successoral a établi dans la société marocaine depuis plus de douze siècles », s’est-il scandalisé en février 2023.

Les islamistes ont lancé, plus globalement, une campagne contre la réforme de la Moudawana, avec le hashtag « Ne touche pas à ma famille » sur Instagram, avec force témoignages d’hommes, mais aussi de femmes, qui s’opposent à tout changement, au nom de la stabilité et de la défense de la famille.

Dans un pays où l’islam est encore religion d’État, où la liberté de conscience n’existe pas dans les textes, les islamistes ont encore une grande influence.

Face à cela, la marge de manœuvre des féministes se situe dans un cadre restreint : celui du Coran. D’ailleurs, selon un sondage Afrobarometer, réalisé entre le 31 août et le 19 septembre 2022 sur un échantillon de 1 200 adultes, près de 8 Marocains sur 10 (78 %) pensent que la réforme du Code de la famille doit être basée sur la loi islamique. Appeler à un code laïque, qui cesserait de prendre appui sur le texte religieux, semble pour l’instant totalement impossible. La plupart des mouvements féministes marocains appellent alors à une réinterprétation du Coran, ce qu’on appelle l’« ijtihad ».

On rencontre Yousra El Barrad, membre de la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF), association féministe historique, dans le local de la structure, situé dans une banlieue populaire de Rabat, loin des avenues tracées au cordeau autour du palais royal et des murs blancs de la médina. Des affiches ornent les murs – « Ne sacrifions pas le potentiel des filles » ; « Non aux mariages précoces » -, écrites en français et en arabe. Au rez-de-chaussée, un centre d’écoute, un accueil juridique pour les femmes victimes de violences. Est-il réellement possible de proposer une autre interprétation du Coran ? « Bien sûr que c’est possible ! assure Yousra. C’est une manipulation du sentiment religieux des musulmans que de dire que toutes ces inégalités sont inscrites dans la religion ! On n’a pas à suivre une interprétation qui date de douze siècles ! Des ulémas en ont fait une nouvelle lecture plus moderne, donc c’est possible. »

Stratégie ou intime conviction ? À demi-mot, la plupart reconnaissent que c’est surtout stratégique. 
Avec les islamistes en embuscade, une partie des féministes pensent qu’il faut les contrer sur le même terrain qu’eux, les textes religieux. Qu’en est-il de l’héritage, par exemple ? « Le Coran propose la reconnaissance du testament pour rétablir une égalité. Aucun texte coranique ne s’oppose au testament », assure Yousra. Quant au ta’sib, qui désigne le fait que lorsqu’il n’y a que des filles l’héritage revient aux oncles et cousins : « Aucun fondement non plus », assure-t-elle. 

Et même cette fameuse sourate qui stipule que le frère perçoit la part de deux filles : « Le contexte a changé aujourd’hui, il y a toujours une porte ouverte à l’interprétation. » On lui souhaite.

La stratégie est celle du pragmatisme également, pour Ghizlane Mamouni. « La laïcité serait la clé de tout, assure-t-elle, mais pour l’instant, c’est de la science-fiction ! » Dans ses prises de position, elle opte pour la stratégie des petits pas. 
Elle n’évoque même pas les femmes, encore moins le féminisme. « Il y a un fil rouge derrière tout ça : l’intérêt supérieur de l’enfant, personne ne peut être contre. C’est un argument plus efficace pour rassembler, car certains sont allergiques au mot « féminisme ». Cela permet de s’attaquer au problème de l’héritage et du mariage des mineurs. » Ghizlane a été auditionnée, comme d’autres associations, par la commission royale chargée du pilotage de la réforme du Code de la famille. 

Elle n’exclut pas de faire bientôt de la politique : « J’y pense en me rasant le matin, c’est comme ça qu’on dit en France ? rit-elle. Je n’arrête pas de dire qu’aucune féministe ne nous représente au Parlement, il faut que ça change ! »

Betty Lachgar, autre figure du féminisme marocain, opte au contraire pour davantage de radicalité. 
Elle revendique une certaine virulence dans ses propos pour bousculer la société. « La foi ne fait pas la loi », arbore-t-elle sur un de ses tee-shirts, qu’elle porte dans la rue. Elle est une des rares à appeler à un Code civil, éloigné de toute influence religieuse. « Je ne suis pas musulmane, je me fous de leurs interprétations ! », lâche celle qui, bien qu’élevée au Maroc, se revendique athée.
Elle a échappé de peu à la spoliation de l’héritage de son père, qui n’avait que des filles. 
Mais celui-ci a fait une donation de son vivant, pour éviter que tout ne revienne aux oncles ou aux cousins. 
Comme souvent, un espace de liberté existe, mais en contournant la loi.

Preuve que le combat pour faire évoluer la Moudawana dérange, 22 jeunes féministes, activistes sur les réseaux sociaux, journalistes ou militantes des droits individuels ont été menacées de mort en mars dernier. Parmi elles, Ghizlane Mamouni, Karima Nadir, Betty Lachgar, mais aussi Leïla Slimani, qui avait lancé le collectif des Hors-la-loi en faveur de l’avortement, ou encore la dessinatrice et autrice de BD Zainab Fasiki,

Prix du courage artistique du Festival d’Angou­lême 2022, qui prépare justement un livre pour dénoncer le mariage des mineurs.
Face aux menaces, les féministes ont fait front, une plainte a été déposée.

Des menaces organisées, où les auteurs parlaient du lieu de travail des militantes, d’autres visaient directement leurs enfants.
On pouvait même lire sur les réseaux cette référence à Charlie : « Dis à tes collègues que vous serez tous tués au bureau à Rabat, comme Charlie Hebdo en 2015, je le jure devant Dieu.

Vous encouragez les LGBT, les relations hors mariage et l’athéisme, vous méritez de mourir. » En tout cas, avec ces 22 jeunes féministes, qui s’ajoutent aux nombreuses associations féministes marocaines implantées dès les années 1990, on ne peut que constater une société à deux vitesses, avec des forces progressistes qui tentent de faire bouger les choses et, en face, les islamistes qui veillent à ce que tout reste bien en place.

Les propositions d’amendements de la Moudawana, élaborées par une commission pendant six mois, sont à présent entre les mains du roi. 
Preuve que le pays est encore autoritaire, rien n’a fuité, ou presque. Un projet de loi devrait ensuite être soumis au Parlement dans les prochains mois.

Le royaume n’en a donc pas terminé avec ce débat. En attendant, l’ambiance est trop étouffante pour certaines. Sukaina, amie de Betty, qui se dit athée, végane et ne veut pas d’enfants, cherchait un compa­gnon qui partage les mêmes valeurs qu’elle – autant dire une denrée rare au Maroc. 

Elle a rencontré un Britannique, non musulman, sur un forum de discussion. Ils se sont mariés à Gibraltar, territoire britannique d’outre-mer, « car c’est plus rapide qu’en Grande Bretagne ». 
Mais le mariage de Sukaina n’est pas reconnu au Maroc, puisque, selon la Moudawana, elle doit se marier avec un musulman, ou bien son mari doit se convertir. 

Ainsi, ils n’ont pas le droit de réserver une chambre d’hôtel pour eux deux lorsqu’il vient la voir. 
Elle a décidé, via un visa de regroupement familial, de partir le rejoindre. 
Lorsqu’on lui demande si elle n’est pas trop triste de quitter le Maroc, elle nous répond : « Non, je suis soulagée ! »

Par Laure Daussy Journaliste.




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