SUJET BRÛLANT
Pilule et tabac : Où est le danger ?
PAR PHILIPPE ET MARTIN WINCKLER
Pilule et tabac : Où est le danger ?
En visite sur le site, je ne vois (à première vue) rien sur l’interaction pilule tabac.
Une petite note dans l’histoire de la jeune femme qui a fait une phlébite mais rien d’autre ?
Je croyais que le tabagisme augmentait fortement les risques d’accidents cardio-vasculaires ?
Mon sentiment est que beaucoup de médecins n’aimant parler tabagisme avec leurs patients et ici patientes font l’impasse là-dessus. Pensant peut-etre qu’il vaut mieux eviter de tomber enceinte ?
Si je me souviens bien, la contre-indication pilule-tabac était très peu lisible dans les modes d’emploi.
Une petite note dans l’histoire de la jeune femme qui a fait une phlébite mais rien d’autre ?
Je croyais que le tabagisme augmentait fortement les risques d’accidents cardio-vasculaires ?
Mon sentiment est que beaucoup de médecins n’aimant parler tabagisme avec leurs patients et ici patientes font l’impasse là-dessus. Pensant peut-etre qu’il vaut mieux eviter de tomber enceinte ?
Si je me souviens bien, la contre-indication pilule-tabac était très peu lisible dans les modes d’emploi.
Qu’en-est-il ?
La question pertinemment posée par Philippe témoigne de l’ambiguïté qui, en ce domaine, règne dans le public.
Et elle va me donner l’occasion de préciser ce point extrêmement sensible... mais très simple, car nous avons beaucoup de recul scientifique à ce sujet.
Voici ce que j’écris en substance dans Contraceptions mode d’emploi
« Pilule combinée + tabac : liaison fatale après trente-cinq ans !
Les femmes qui fument sont de plus en plus nombreuses. Or, le tabac fragilise les vaisseaux et les tissus de manière très importante.
De sorte que les consommatrices de cigarettes sont de plus en plus exposées à des maladies qui, il y a seulement trente ans, frappaient surtout les hommes : en particulier les cancers des voies aériennes et les maladies cardio-vasculaires.
Une femme qui fume mais ne prend pas la pilule est beaucoup plus exposée à un infarctus du myocarde qu’une femme qui prend la pilule mais qui ne fume pas. Chez les femmes qui n’ont pas d’antécédents familiaux de maladies vasculaires, la consommation de cigarettes augmente considérablement le risque de troubles de la coagulation (phlébite et thrombose), essentiellement après trente-cinq ans. En fait, les infarctus du myocarde qui surviennent chez les femmes prenant une pilule combinée frappent exclusivement les utilisatrices qui fument et ont plus de 35 ans.
De sorte que la consommation de tabac est certes une contre-indication absolue à la prise d’une pilule combinée (contenant de l’éthynil-estradiol), [car l’estrogène présent dans les pilules combinées est susceptible de favoriser la formation d’un caillot dans un vaisseau sanguin fragilisé], mais à partir de l’âge de trente-cinq ans, et pas avant ! ! !
En revanche, une femme de trente-cinq ans sans facteur de risque qui n’a jamais fumé ou a cessé de fumer depuis dix ans peut utiliser une pilule combinée jusqu’à l’âge de cinquante ans ! Et les pilules progestatives (qui ne contiennent pas d’éthynil-estradiol) peuvent être prises à tout âge, qu’on fume ou non.
En résumé :
fumer est problématique, mais être enceinte sans le vouloir l’est aussi ;
avoir des rapports sexuels sans contraception expose à une grossesse non désirée et (parfois) à une IVG ; la probabilité d’une grossesse est beaucoup plus élevée que celle d’une complication hypothétique de la pilule (tabac ou pas) ;
le tabac est dangereux à la longue ; les estrogènes contenus dans certaines pilules sont dangereux sur des artères déjà fragilisées par le tabac mais non sur des artères ou des veines saines ;
les artères et les veines vieillissent, comme le reste de l’organisme ; donc elles se fragilisent avec le temps ;
les estrogènes contenus dans les pilules combinées (mais aussi dans le patch contraceptif et l’anneau vaginal contraceptif) ne sont dangereux chez la femme qui fume qu’après l’âge de 35 ans (ou 15 années de tabagisme) , car il faut que les vaisseaux aient eu le temps d’être fragilisés par le tabac ET par le vieillissement naturel. Ce qui n’est pas le cas entre 16 et 25 ans, âge où la plupart des femmes commencent leur vie sexuelle sans désir d’être enceintes ;
avant 35 ans (ou 15 annnées de tabagisme) , il est scientifiquement injustifié mais en revanche dangereux de refuser une pilule combinée (contenant des estrogènes) à une femme qui fume, et en particulier aux adolescentes ; le risque numéro 1 pour elles, c’est la grossesse non désirée, et non les complications de l’association pilule + tabac. Car même devant un refus, les adolescentes continuent à fumer ET à avoir des rapports sexuels.
prendre la pilule ET fumer entre 15 et 30-35 ans n’est pas plus dangereux pour les artères que fumer SANS prendre la pilule.
(La pilule n’augmente pas le risque à cet âge là.)
si un médecin ne veut pas prescrire une pilule combinée à une femme qui fume, il DOIT lui proposer autre chose : pilule progestative, DIU au cuivre ou hormonal, implant - toutes méthodes qui peuvent être prescrites sans danger à une femme qui fume, QUEL QUE SOIT SON AGE.
Recommandation générale aux femmes qui fument et qui ont besoin d’une contraception :
Si vous avez 35 ans ou plus, et si vous utilisez une pilule combinée (contenant de l’éthynil-estradiol, c’est écrit sur la boîte), demandez à votre médecin de la remplacer par une autre méthode contraceptive : pilule progestative, DIU ou implant. Quel que soit votre âge, bien sûr, vous avez intérêt à arrêter de fumer.
Commentaires personnels :
Personnellement, je dissocie toujours tabac et contraception, car ce sont deux problèmes différents. La contraception est un choix de vie qui ne met pas la vie en danger, mais au contraire, permet aux femmes de ne pas voir leur sexualité assujettie à l’éventualité d’une grossesse. Le tabac est aussi un choix de vie, mais qui met la vie en danger à long terme.
Je ne mets jamais l’arrêt du tabac comme condition de prescription d’une pilule combinée. J’indique les limites de cette prescription (celles qui sont expliquées ci-dessus), les alternatives possibles, et je prescris de manière appropriée au choix de la femme, mais sans lui faire courir de danger : je ne prescris jamais de pilule combinée à une femme de 35 ans ou plus qui fume, mais je lui prescris toujours une autre contraception, qu’elle choisit.
Je n’ai encore jamais vu de femme fumeuse persister à courir un risque grave en continuant sa pilule combinée. Même si elles continuent à fumer (et il est difficile de s’arrêter d’un coup), les femmes changent de contraception. D’ailleurs, à 35 ans, elles ont souvent envie d’arrêter de boulotter des comprimés tous les jours, et optent pour l’implant ou le DIU. Beaucoup le feraient si les médecins à qui elles ont affaire connaissaient et posaient implant et DIU.
À mon humble avis, quand on dissocie les deux problèmes, et quand la femme est rassurée sur sa contraception, il est très facile de lui dire « Le jour où vous voudrez arrêter de fumer, je serai là pour vous aider. » L’arrêt du tabac est beaucoup plus facile quand le fumeur se sent soutenu sans pression.
En principe, la première règle pour un médecin est « D’abord ne pas nuire ». La seconde devrait être : « Sans jugement ni chantage »...
Car le vrai danger se situe surtout dans l’obscurantisme et le dogmatisme de certains médecins. [1]
Martin Winckler
Références :
Contraception : your questions answered par John Guillebaud , 4e ed., London, Churchill Livingstone.
[1] Je sais parfaitement qu’il existe des médecins ouverts et respectueux (j’ai été leur élève, je suis leur camarade). Alors, depuis quelques temps, quand je lance une déclaration péremptoire comme celle-ci, je dis "certains" médecins ou "trop" de médecins, ou "un grand nombre" de médecins, pour qu’on sache que je ne parle pas de "tous" les médecins. Car même si je pense, malheureusement, que "la majorité" des médecins sont obtus et dogmatiques, je n’ai pas de données chiffrées pour l’affirmer... M.W.