Spéculation, stockage saturé… Pourquoi le baril de pétrole est tombé à moins de zéro dollar !
Le baril américain de brut a terminé pour la première fois en négatif lundi. La mécanique spéculative s’est grippée, alimentée par une consommation d'or noir en chute et la saturation des capacités de stockage.
C’est peu dire que le marché du pétrole américain est cul par-dessus tête. Pour la première fois de son histoire, le brut américain est passé ce lundi sous la barre des… zéro dollar. Dans la soirée, le baril de West Texas Intermediate (WTI) s’échangeait à -37 dollars. Concrètement, cela veut dire que les producteurs payent 37 dollars pour donner leur baril de pétrole. L’industrie pétrolière tient l’année 1859 pour son année zéro. Jamais dans l’histoire de l’or noir, le prix d’un baril était tombé en territoire négatif sur les marchés à terme. En une seule journée, le prix de ce pétrole made in USA et coté à New York s’est littéralement effondré, passant de 24,59 dollars le baril de 159 litres à… deux dollars en fin de journée, avant de faire le grand plongeon dans le négatif pour finalement s’afficher à -37 dollars le baril. A titre de comparaison, il valait environ 114 dollars en 2011.
Difficile de comprendre le pourquoi du comment d’une telle situation sans faire un détour par ces fameux contrats futurs utilisés par des spéculateurs et autres fonds d’investissement sur la plupart des marchés de matières premières. Dans 99 % des cas, ces marchés donnent lieu à des «simples» spéculations entre investisseurs qui parient sur des cours de matières premières. Dans 99 % des cas, les vendeurs de café, de soja, de blé et bien sûr de pétrole trouvent un acquéreur avant que le contrat n’atteigne sa date de péremption. Mais cette fois, la mécanique à spéculer s’est grippée. Depuis plusieurs jours, nombre de spéculateurs qui avaient acheté des lots de 1 000 barils de pétrole américain (le WTI) éprouvaient les plus grandes difficultés à trouver des acheteurs. 24, 18, 10, 2 dollars, la baisse a eu beau être rapide tout au long de la journée sur la plupart des marchés pétroliers américains…
En vain. Pas même lorsque ces mêmes investisseurs détenteurs de ces contrats futurs se sont mis en terrains négatifs, prêts à mettre la main à la poche pour offrir deux ou trois dollars à ceux qui seraient disposés à prendre livraison de ces encombrants barils.
«Accident de parcours» spéculatif
Tout a basculé lundi en fin de journée, où plus précisément à la dernière heure du dernier jour de l’échéance de ces contrats de mai. «Si ces contrats n’avaient pas trouvé où être livré, alors ils étaient livrés aux spéculateurs, explique un trader d’une salle de marché parisienne.
Evidemment pas au pied de leur officine… Mais n’importe où ailleurs. Et ne pas honorer cette livraison coûte bien plus cher que vendre à perte, voire payer pour s’en débarrasser, et c’est exactement ce qui s’est passé.»
«C’est un simple accident de parcours du monde de la spéculation, estime de son côté le spécialiste des matières premières Philippe Chalmin. Pour s’en convaincre il suffit de regarder ce qui se passe sur les autres contrats à terme. Pour le WTI à échéance juin, les prix oscillent aux alentours 23 dollars, même chose à quelques dollars près pour ce qui est du Brent coté sur les marchés européens.»
Saturation des capacités de stockage
A la particularité de ce marché s’est ajoutée l’énorme saturation des capacités de stockage de l’or noir. En moins de 8 semaines, la demande mondiale de pétrole est passée d’une centaine de millions de barils par jour, à moins de 67 millions de barils par jour en raison du confinement et de la chute du transport aérien notamment. Certes, les pays producteurs de pétrole ont vu venir la chute de la demande. Ils ont même tenté de s’adapter, mais pas assez vite et trop peu. Pire, sur fond de bisbilles et autres billards à trois bandes, les pays membres de l’Opep ne sont parvenus qu’à de minuscules réductions de leur production, soit une quinzaine de millions de barils jour à terme. La dernière entente date du 11 avril. Les marchés l’ont d’abord acheté, les cours du premier producteur mondial de pétrole (les Etats-Unis) et ceux de l’Arabie Saoudite avaient même commencé à reprendre des couleurs.
Mais voilà, l’effet de ciseau ne s’est pas pour autant arrêté.
En clair : D’un côté, une chute de la demande dans un monde où plus de trois milliards d’humains sont confinés et où la récession à venir menace de virer à la dépression, et de l’autre, des producteurs de pétrole qui continuent de pomper.
«Les Etats-Unis se sont plantés, ils auraient dû diminuer de façon drastique leur production de pétrole, estime Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management. Lorsqu’on regarde la production quotidienne de WTI aux Etats-Unis, on se rend vite compte qu’ils continuent de pomper une douzaine de millions de barils par jour, pas étonnant qu’on en soit là.
A trop vouloir protéger ses petits amis qui ont investi dans les pétroles non conventionnels, Trump s’est finalement tiré une balle dans le pied.»
Et pomper sans consommer n’a eu qu’un effet : Remplir à ras bord tous les lieux de stockage.
Vers des faillites en chaîne ?
Avec l’effondrement de la demande de produits pétroliers, les capacités de stockage se remplissent à grande vitesse aux quatre coins de la planète, y compris sur les supertankers en mer. Le coût du stockage explose, accentuant la pression à la baisse sur les cours du brut. Au point que le secteur cherche désespérément des solutions pour stocker les surplus qui s’accumulent partout dans le monde. Les effets d’une telle situation sur le marché de l’or noir pourraient rapidement se transformer en grande cata financière. Car si les Etats-Unis sont devenus les premiers producteurs d’or noir devant l’Arabie saoudite et la Russie, ils le sont grâce aux pétroles de schistes et autres bitume liquide non conventionnels. Et surtout aux investissements qui se comptent en centaines de milliards de dollars. Si le prix du WTI devait à terme (juin, juillet, août…) se maintenir à un niveau aussi faible que ces dernières semaines, nombre d’économistes redoutent des faillites en chaîne.
La raison ? A moins de 40 ou 50 dollars, quantité de forages de pétrole non conventionnels ne sont pas rentables.
La finance pourrait rapidement brûler ce qu’elle a vénéré hier.
Au risque de plomber un peu plus l’économie mondiale.
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