Fiasco du vaccin français: «Nous assistons au dépérissement total de l’industrie française»

Fiasco du vaccin français : «Nous assistons au dépérissement total de l’industrie française»



© AFP 2020 GONZALO FUENTES

La France est toujours loin de développer son propre vaccin contre le Covid-19. 
La faute notamment au retard pris par le fleuron de son industrie pharmaceutique, Sanofi. 
Pour Jean-Pierre Gérard, président du Club des numéros un mondiaux français à l'export et ancien membre du Conseil de la politique monétaire, la désindustrialisation est en cause.


États-Unis, Chine, Royaume-Uni et Russie ont développé leurs propres vaccins contre le Covid-19. Dans le quinté des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, la France est le seul pays à être hors-jeu avec son sérum qui ne serait prêt que fin 2021. 
Le fleuron national Sanofi, géant de l’industrie pharmaceutique et numéro deux mondial des vaccins, est à la peine. Pourtant, son boss, Paul Hudson, affichait toute sa confiance le 18 juin dernier auprès des Échos : «Le vaccin de Sanofi contre le Covid-19 a de fortes probabilités de succès et d'efficacité.» «Nous sommes probablement la meilleure assurance qu'aucun pays puisse avoir», poursuivait-il.

​Force est de constater que, contrairement à ses concurrents comme Pfizer, AstraZeneca ou Moderna, Sanofi enchaîne les échecs. «Testé dans un essai clinique de phase II, son candidat vaccin ne suscite pas, chez les plus de 50 ans, une réponse immunitaire suffisante pour être protectrice, alors que ce sont justement eux qui en ont le plus besoin», indiquent Les Échos.

«Il ne faut pas s’étonner de la situation actuelle»

Comment expliquer ce camouflet? Jean-Pierre Gérard, président du Club des numéros un mondiaux français à l'export et ancien membre du Conseil de la politique monétaire, rend la désindustrialisation française responsable d’une telle contre-performance. Il rappelle que la pénurie de masques qu’a endurée la France au printemps: «Nous n’étions pas en mesure de les fabriquer puisque les entreprises se fournissaient en Chine.»

​Même son de cloche du côté des responsables de l'UGICT-CGT, syndicat des cadres et ingénieurs, qui ont récemment publié une tribune dans Les Échos «Il y a à peine six mois, la France découvrait qu'elle n'était plus capable de fabriquer des produits élémentaires indispensables: masques, principes actifs de médicaments [...] et, au-delà, qu'elle était totalement dépendante de la Chine pour ses chaînes d'approvisionnement.»

D’après Jean-Pierre Gérard, il s’agit d’un problème de fond :

«Nous assistons à une telle perte de capacité de production de l’industrie française depuis quarante ans qu’il est aujourd’hui très difficile de produire non seulement des masques, mais aussi des vaccins. À force de seriner que l’on peut acheter à l’extérieur et qu’il suffit de garder le savoir, il ne faut pas s’étonner de la situation actuelle. Si l’on ne fabrique pas, on perd le savoir-faire. Et quand on perd le savoir-faire, on perd le savoir.»

L’ancien membre du Conseil de la politique monétaire explique que, au début de sa carrière, dans les années 1960, l’industrie représentait environ 25% du PIB. «Aujourd’hui c’est à peine 12%», souffle-t-il. Il rappelle que l’emploi a chuté de moitié dans le secteur pour s’établir autour des trois millions.

«Notre activité industrielle s’est effondrée. On subit un facteur de déclassement dramatique», alerte-t-il.

Selon lui, toutes les méthodes de relance que tente la France ont pour effet d’augmenter les importations. «Nous assistons au dépérissement total de l’industrie française», poursuit-il.

Jean-Pierre Gérard regrette que Paris essaie de relancer l’industrie par la demande. «Cette demande s’adressera à l’étranger. Il n’y a plus assez d’entreprises industrielles françaises pour répondre à la demande nationale», regrette le président du Club des numéros un mondiaux français à l'export.

Déjà pointée du doigt pour son retard dans la course au vaccin, Sanofi subit en ce moment des grèves de salariés consécutives à l’annonce de suppressions de poste. Dans un labo, la réduction des effectifs apparaît comme une étrange urgence en période de crise sanitaire. Environ 400 emplois dans la branche en Recherche et Développement (R&D) sont concernés. «On n'a rien à attendre de la direction. Avant de faire un vaccin, ils pensent à faire du fric. L'ADN de Sanofi, c'est donner de l'argent à ses actionnaires. C’est toujours engranger plus», a déploré auprès de l’AFP Tristan Teyssier, délégué CGT. «Rien à attendre non plus de l'État, on a vu Macron sur le site. Mais il était aux petits soins de la direction», a ajouté le syndicaliste.

​Pas surprenant pour Jean-Pierre Gérard, qui nous livre un verdict sans appel : «Depuis le début des années 1980, la France considère les entreprises industrielles comme des opérations financières.»

«Or une entreprise, cela fabrique des produits attendus par les consommateurs afin de les vendre. Ce n’est pas une opération financière. Regardez comment l’État a mis la pression sur Areva pendant des années pour sortir des résultats qu’elle ne faisait pas. Et les bénéfices engrangés étaient redistribués au lieu d’être alloués au développement de l’entreprise. Et l’on pourrait dire la même chose concernant Sanofi ou Elf», ajoute-t-il.

Sophie Binet et Marie-José Kotlicki, cosecrétaires générales de l'UGICT-CGT, dénoncent également cette situation dans une tribune publiée par Les Échos. Selon elles, Sanofi, «distancié dans la course au vaccin»«a divisé par deux ses effectifs de chercheurs en dix ans, tout en versant chaque année de 4 à 5 milliards de dividendes».

La fuite des cerveaux

Pour Jean-Pierre Gérard, l’industrie est mal traitée par les décisions économiques des gouvernants. Il explique en partie son mauvais état actuel par des raisons historiques: «Prenons l’exemple de l’Allemagne. Elle a reconstruit son industrie entre 1945 et 1975 à l’abri de frontières douanières et avec l’appui des États-Unis. Le Deutsche mark était en permanence sous-évalué. Berlin réévaluait régulièrement, mais juste ce qu’il fallait. On parlait de "mark fort " alors qu’il était sous-évalué et c’est exactement pour cela qu’il était fort. La compétitivité de l’industrie allemande s’est bâtie de cette façon.»

«La France n’a pas eu ce type de réflexe. Sauf durant la présidence du général de Gaulle avec les grands programmes. Notre industrie s’est beaucoup orientée vers le militaire. Durant très longtemps, la France a exporté beaucoup d’armes. Puis tout cela s’est atténué. Depuis –à de rares exceptions aux raisons conjoncturelles–, l’industrie française ne fait que décroître», ajoute-t-il.

L’Hexagone est-il condamné au déclin industriel? «Loin de moi l’idée d’affirmer cela. Je dis simplement que par, ses décisions, elle s’est déclassée», rétorque Jean-Pierre Gérard. Il assure qu’il n’y a aucune fatalité et met en avant «les gens compétents» et «les ressources» afin d’aider l’industrie française à se relever.

Pour rémédier à cette situation, notamment dans le domaine de la santé, Macron a promis début décembre 400 millions d’euros pour un nouveau campus de recherche en santé numérique. Ce, dans le dessein de «renforcer» la «souveraineté» de la France en la matière.

Problème: le pays est confronté à une fuite des cerveaux qui confine à l’hémorragie. C’est ce que souligne dans une tribune au Figaro Vox l’essayiste Jean-Loup Bonnamy: «En France, on constate également que plus le diplôme est prestigieux, plus la mobilité internationale augmente. Ce sont donc les meilleurs qui partent. Les enquêtes "insertion" de la Conférence des grandes écoles indiquent une mobilité internationale en forte hausse en sortie d’école. En effet, 12% des diplômés 2003 étaient en poste à l’étranger deux ans plus tard, contre 17% pour la promotion 2014.»

Et la situation pourrait s’aggraver à en croire l'UGICT-CGT qui alerte sur la multiplication des suppressions de postes en cours: «Sanofi, Renault, Danone, Nokia, General Electric, Total, IBM, Airbus, Akka, Alten, CGG, Renault Trucks... La liste des entreprises qui profitent de la crise pour tailler dans leurs effectifs d'ingénierie, de recherche et d'encadrement est longue.»

De quoi pousser ces cerveaux dans des bras étrangers? Ce n’est pas à exclure, à en croire Jean-Pierre Gérard:

«Les cerveaux vont là où ils se sentent valorisés. Dans le domaine de la finance, la Grande-Bretagne en a beaucoup attiré. Concernant l’industrie, il s’agit plutôt des États-Unis et de la Chine et en général de l’Asie du Sud-Est. Et, en matière d’innovation, les États-Unis et le Canada sont très prisés.»



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