L’escalade des guerres au Moyen-Orient : La guerre froide est bel et bien de retour
Les drones de combat, ou les soldats de leurs alliés sunnites feraient le sale boulot en Irak, en Afghanistan, au Yémen, en Libye, au Pakistan, en Somalie, et jusqu'aux jungles de Mindanao et Jolo aux Philippines.
L'opinion publique américaine était rassurée par les images des « frappes chirurgicales » des Predator et des Reaper, les boys et l'Amérique étaient en sécurité tandis que les « terroristes » étaient réduits en bouillie à coup de missiles Hellfire à l'autre bout de la planète (en juin le total s'élevait à 6000 assassinats par drones recensés). Le nombre de victimes, y compris civiles, n'émeut guère l'opinion publique, les violations des droits de l'homme ou du droit international on les évoque quand on parle de ces horribles dictatures « exotiques » : la Corée du Nord, l'Iran, la Syrie de Bachar el-Assad, et depuis quelques années, l'infâme Russie poutinienne.
L'arrivée (officielle) des soldats Américains en Syrie
Et puis ce fut le coup de tonnerre : le 30 octobre, le porte parole de la Maison blanche Josh Earnest annonçait que les États-Unis allaient déployer des unités de forces spéciales en Syrie. Depuis des années, le président Obama s'était pourtant engagé formellement, à maintes reprises, à ne pas envoyer de « bottes américaines sur le sol syrien ». Le 11 octobre, Obama affirmait encore que les États-Unis n'allaient pas participer à une « campagne militaire » en Syrie.
Pourtant, le 30 octobre, l'administration américaine fait publiquement volte-face. Évidemment, l'intervention russe avait profondément changé la donne. Poutine avait été sous-estimé une fois de plus, il fallait réagir fermement.
L'annonce de Josh Earnest provoqua immédiatement de vives réactions au sein de la classe politique et de l'opinion publique américaine. Pour tenter de faire bonne mesure, on assura qu'il ne s'agirait que d'une cinquantaine d'hommes, quantité tout à fait négligeable. On aurait pu le faire secrètement, mais l'annonce sert surtout à rappeler à Moscou que les Etats-Unis ne sont pas prêts à perdre la main sur le dossier syrien. On joue les « gros bras » en somme.
A côté de ces commandos, les Américains ont décidé de renforcer leur présence aérienne sur la base turque d'Incirlik en y dépéchant des A-10 Thunderbolt pour l'attaque au sol et des F-15E, de redoutables chasseurs-bombardiers de 4e génération. Six Thunderbolts II sont arrivés le 21 octobre pour servir à renforcer les unités employées à l'opération « Inherent Resolve », cette opération lancée officiellement le 15 juin 2014 qui aurait atteint 14.000 cibles, tuant 20.000 combattants de l’État islamique, d'après les données fournies par le Pentagone. Le 12 novembre, 6 nouveaux Strike Eagles sont venus renforcer les 6 déjà présents aux côtés des F-16 Turcs.
Officiellement, les commandos vont appuyer les « rebelles » luttant contre le califat en Irak et en Syrie. Par « rebelles » il faut entendre les Kurdes et « l'Armée syrienne libre », un conglomérat disparate d'unités djihadistes dites « modérées » où figurent des combattants étrangers et des mercenaires extrêmement bien rémunérés (la présence d'Algériens, de Jordaniens, de Libanais, de Tunisiens, de Kossovars, de Koweitiens, et de Croates a été confirmée).
De toute manière, les forces spéciales américaines et britanniques sont à l’œuvre depuis des années en Irak et aux Kurdistans, sans que le public (ni le Congrès) ne soit informé, les missions étant ultra-confidentielles. La Task Force 88, (une unité anti-terroriste comprenant des forces spéciales américaines et britanniques) opère sur place depuis l'invasion de l'Irak et la guerre civile qui s'en suivit.
Qui plus est, 3500 soldats américains sont revenus épaulés les Irakiens sur le terrain. Les promesses électorales de désengagement sont oubliées, le Pentagone exige davantage de moyens : il est hors de question de laisser la Russie et ses alliés chiites s'implanter dans la région !
Il y a quelques jours Anne Patterson du Département d’État américain critiquait vivement l'intervention russe devant le Congrès en affirmant que « l'intervention militaire russe avait dangereusement exacerbé une situation déjà complexe ». Parlant de « cynisme » russe, Patterson expliquait que 85 à 90% des bombardements russes s'en prenaient aux forces « rebelles », ces djihadistes équipés par les Américains et leurs alliés dans la région, ce qui est intolérable vu de Washington, d'autant que l'administration Obama se dit certaine que Moscou veut protéger « le régime » de Bachar el-Assad.
La date de l'annonce de l'envoi des forces spéciales américaines n'était pas fortuite bien évidemment : elle servait aussi à renforcer la position de Jonh Kerry lors de la Conférence de Vienne sur la Syrie face à Poutine. Cette réunion était une initiative des diplomaties américaine, turque et saoudienne, on a vu comment Fabius a du faire des pieds et des mains pour y participer. Les discussions aboutirent à une déclaration commune à minima stipulant que la Syrie devait rester laïque, son territoire préservé, et que des élections devaient être organisées sous la supervision d'observateurs des Nations Unies. Le sort de Bachar et de ses soutiens ne fut pas tranché.
Chacun poursuit des buts divergents
Le but principal de l'engagement américain en Syrie, l'administration Obama n'en fait pas secret : on exige une « transition » politique en Syrie, c'est-à-dire l'élimination de Bachar et du parti Baas au pouvoir, par tous les moyens. C'est ce même objectif qui est repris servilement par la diplomatie fabiusienne.
Nos forces spéciales fournissent également des armes aux ennemis du gouvernement syrien. Lutter contre la propagation de l’État islamique n'est pas et n'a jamais été notre priorité, même si les opinions publiques occidentales ont du mal à comprendre cette duplicité. Les médias mainstream eux, font leur travail habituel. Ils ont repris les mêmes techniques de propagande d'avant l'invasion de l'Irak ou d'avant la destruction de la Libye, Bachar n'est que le « dictateur à abattre du jour ». Toujours les bonnes vieilles méthodes d'intoxication et de désinformation massive qui continuent de faire leurs preuves...
Le président Obama a annoncé que les « rebelles » et les Kurdes continueraient à être équipés par les Etats-Unis et leurs alliés. Le 8 octobre, le secrétaire de la défense Ashton Carter a déclaré devant les ministres de l'OTAN réunis à Bruxelles que les Russes n'allaient pas tarder à payer le prix de leur intervention. A Washington, on s'attend à un remake de l'Afghanistan, avec le même résultat.
Du coup, les djihadistes dits « modérés » sont devenus des alliés, y compris Al Qaida, alors qu'ils devraient tous être combattus avec autant de fermeté que les monstres enrôlés volontaires sous la bannière du nouveau calife Al-Baghdadi. Il y a une porosité extrême entre tous ces groupes, qui s'affrontent aussi pour le contrôle du pays, comme les caïds de nos banlieues dévastées en somme.
Chacun poursuit des objectifs différents dans ce désert de sable et ce tas de gravas qu'est devenue la Syrie. La Russie ne peut pas se permettre de perdre son influence sur le pays. Poutine fera tout pour que le gouvernement actuel sorte vainqueur de cette guerre totale, quitte à pousser Bachar vers la sortie une fois la Syrie libérée du péril islamiste. Les Russes soutiennent massivement l'intervention en Syrie à 89% d'après le Centre Panrusse d'étude de l'opinion publique (VtsIOM). Obama ou Hollande ne pourraient jamais rêver d'un tel soutien populaire...
Le but ultime des djihadistes équipés par les Américains et leurs alliés (Turquie, Israël, monarchies du Golfe, France, Grande-Bretagne) est de prendre la capitale et de s'emparer du pouvoir. Le responsable d'Al-Nosra (Al Qaida en Syrie) a offert des récompenses pour l'assassinat de Bachar el-Assad (3,4 millions de Dollars) et Hassan Nasrallah (2,2 millions).
Chacun des alliés des Américains poursuit également un agenda qui lui est propre. On a vu que la Turquie était surtout concernée par la lutte contre les Kurdes et leurs véléités d'indépendance, Saoudiens et Qataris tentent d’agrandir leur sphère d'influence au Nord, mais aussi au Sud au Yémen. Israël, toujours trop à l'étroit, voudrait bien se saisir définitivement du plateau du Golan et se débarrasser des menaces (avérées ou supposées) que feraient peser le Hezbollah et l'Iran sur sa sécurité.
Quant à l’État islamique, qui est peut-être la pièce centrale du problème syrien et certainement la moins facile à contrôler, l'objectif n'est rien de moins que de développer un état conquérant appelé à imposer l'Islam sunnite à la planète entière. Dans l'agenda du nouveau califat se trouve la destruction de milliards de « mécréants » Chrétiens, Juifs et Chiites. Les régimes totalitaires du 20e siècle seraient largement battus par la nouvelle vague de sauvagerie et c'est cela justement qui attire autant de combattants en Syrie et en Irak : la perspective d'une extraordinaire revanche après trois siècles de domination européenne et occidentale.
En toile de fond il y aussi les considérations de tous les protagonistes autour de cette véritable « guerre du gaz » qui ne dit pas son nom. La création du gazoduc « islamique » Iran-Irak-Syrie était prévue avant la guerre pour l'acheminement du gaz liquide iranien provenant de la plus grande réserve mondiale de South Pars/North Dome (que se partagent l'Iran et le Qatar) vers le marché européen. Ce gazoduc entrait en concurrence directe avec celui du projet Nabucco pour le gaz de la mer Caspienne, soutenu lui par l'Union européenne et les États-Unis.
Le Qatar désirait également vendre directement aux Européens en passant par la Syrie mais Bachar a refusé cette offre. Finalement, le 16 août 2011, le ministère syrien du pétrole annonçait la découverte de gisements de gaz dans la région de Homs, gisements qui devaient être exploités par la compagnie russe Gazprom, sans parler des puits repérés dans les eaux territoriales syriennes...
Une pluie de missiles TOW saoudiens sur la Syrie et le Yémen
Depuis le début de l'année 2014, les dizaines de groupes islamistes dits « modérés » formant la nébuleuse de l'« Armée syrienne libre » reçoivent de grandes quantités de missiles antichars BGM-71 TOW américains. Ces armes proviennent des stocks de l'Arabie Saoudite (qui a fait l'acquisition de 13795 missiles TOW en décembre 2013 auprès de la firme américaine Raytheon pour 900 millions de Dollars), elles sont ensuite livrées gracieusement aux groupes djihadistes par des agents de la CIA et des agents saoudiens situés en Jordanie et en Turquie. La seule contrepartie demandée par les agents secrets : que les djihadistes filment leurs actions et qu'ils rapportent les tubes de lancement pour prouver qu'ils n'ont pas été livrés à l’État islamique. Pour le coup, Youtube regorge de vidéos montrant ces attaques aux missiles TOW contre l'armée syrienne.
En février de cette année, le Centre Carter recensait au moins 23 groupes utilisant ces armes.
Depuis le mois de mai, on assiste à des livraisons encore plus massives : la CIA offre maintenant officiellement le précieux tueur de char a une cinquantaine de groupes djihadistes ! Début octobre, alors que l'offensive russe commençait, des officiels saoudiens annonçaient la livraison de 500 nouveaux missiles aux « rebelles ». Apparemment, l'arrivée massive de ces armes ces derniers mois a causé de lourdes pertes aux forces gouvernementales, jusqu'à 15 tanks et véhicules blindés par jour. Les missiles TOW peuvent aussi être employés en combat urbain contre des bunkers, des bâtiments, des abris fortifiés.
L’affaiblissement croissant des forces syriennes qui commençaient à se trouver en difficulté a fini par entraîner l'intervention russe. Les forces syriennes pouvaient compter sur 300.000 hommes en 2011. Aujourd'hui, il n'en reste que la moitié.
Pour autant, cette armée plus compacte est sans doute plus efficace et endurcie par des années de combat urbain aux côtés de leurs alliés du Hezbollah libanais. Elle a prouvé sa loyauté et c'est une armée plus professionnelle, dont le représentant le plus célèbre serait le colonel Suhail al-Hasan, surnommé « le Tigre ». Cet officier alaouite, le préféré de Bachar dit-on, vient d'arriver à briser l'encerclement autour de l'aéroport de Kuweires. Un siège qui s'éternisait depuis trois années...
Des experts des Al-Qods (les forces spéciales iraniennes) sont également à pied d'oeuvre sur le terrain depuis 2012 pour épauler les forces syriennes.
Si les djihadistes « modérés » ont été abondamment équipés en missiles TOW en Syrie, Al Qaida au Yemen (AQPA) l'a été également et, ironie du sort, Ansar Allah (les Houthis) ayant mis la main sur d'importants stocks saisis aux salafistes, viennent de s'en servir avec succès contre les forces saoudiennes et qataris lors des combats de ces derniers jours dans la province de Ma'rib. Rappelons que l'agression saoudienne qui dure depuis plus de 230 jours a déjà causé plus de 7000 morts au Yémen, 20 millions de personnes sont directement menacées par la famine.
En Afghanistan, la CIA avait fini par livrer des Stingers aux moudjahidines afin d'abattre les hélicoptères soviétiques et les avions d'attaque au sol. A présent, les djihadistes « modérés » demandent qu'on leur livre à leur tour des missiles sol-air, et autant la Turquie et l'Arabie Saoudite y sont très favorables, autant l'administration Obama aurait refusé jusqu'à présent de céder à ce nouvel engrenage.
Mercredi et jeudi, le Jerusalem Post et le Daily Mail avaient annoncé le déploiement de batteries de missiles anti-aériens russes S-400 sur la base de Lattaquié. L'objectif aurait été de contrôler totalement l'espace aérien syrien. Cette action supposée fut considérée comme hostile par les Israéliens qui sont habitués à frapper discrètement des objectifs en Syrie depuis le début du conflit sans la moindre opposition. Ces allégations viennent d'être rejetées fermement par les forces russes présentes en Syrie qui ont offert à la presse de vérifier par elle-même sur place. Des photos publiées hier par le Time of Israel ne confirment pas les allégations israéliennes, il s'agissait de systèmes radars et non de batteries S-400 facilement identifiables.
Le flot intarissable de candidats au djihad
Quels sont les effectifs de ces combattants étrangers qui viennent sans cesse renouveler le stock de djihadistes tués au combat et à présent écrasés par les bombes russes ? On estime qu'il y aurait 30.000 étrangers en Syrie, qu'il en arriverait en moyenne plus de 1000 par mois en provenance d'une centaine de pays, montrant qu'il s'agit bien d'un conflit qui s'est mondialisé.
D'après Vladimir Poutine, il y aurait 7000 djihadistes provenant de Russie et des anciennes républiques soviétiques, le Président russe ne prend pas cette menace à la légère comme le font les gouvernements européens. Il est bien décidé à éradiquer ces tueurs sur le sol syrien, à rallier les pays d'Asie centrale pour lutter contre le terrorisme islamiste. Il a rappelé aussi que la situation en Afghanistan est critique, et que le pays pourrait être sur le point de retomber aux mains des Talibans.
En ce qui concerne les combattants venus d'Europe, près de la moitié des milliers de djihadistes proviennent de France d'après le rapport du sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, et ces chiffres sont sans nulle doute largement sous-estimés, montrant l'étendue de ce danger qui pèse sur notre pays et qui est soigneusement caché au grand public. Il y avait 5 ou 6 brigades de djihadistes venant de France et de Belgique au sein des rangs du califat l'année dernière d'après le djihadiste Abou Shaheed qui a été tué le 30 mai 2014. Nul doute qu'ils sont bien plus nombreux aujourd'hui. Leur nombre au sein des dizaines d'autres unités djihadistes est inconnu.
Comment arrête-t-on le flot grandissant de djihadistes vers le Moyen-Orient et la Syrie ? Ces derniers bénéficient de tant de complicités et de soutiens.
L'armée syrienne ne pourra pas tenir éternellement, même avec le soutien aérien russe.
Conclusion
Aujourd'hui les guerres civiles ukrainiennes, syriennes et yéménites ne sont que les divers fronts de cette guerre globale indirecte menée par les États-Unis et leurs alliés contre la Russie et ses partenaires, et au-delà contre la Chine qui continue à croître économiquement et militairement.
Dans ce conflit planétaire que l'on pourrait qualifier de "nouvelle guerre froide", l'Islam radical prend une dimension de plus en plus importante. C'est un retour vers le passé, et en même temps une menace inédite : si l’État islamique réussissait son pari, unifier tous les islamistes radicaux sous sa bannière noire, le monde pourrait connaître un déchaînement de violences telles qu'il n'en a jamais connu et qui pourraient durer des décennies.
Les États-Unis ne veulent plus d'un monde bipolaire ou multipolaire, ils entendent bien continuer à exercer seuls leur suprématie coûte que coûte, y compris en continuant à jouer avec le feu.
Qui contrôle la Syrie, contrôle le Moyen Orient, et aucune des puissances impliquées ne peut se permettre de perdre cette guerre.
L'escalade est donc malheureusement inéluctable.
La France a tout intérêt a changer sa politique extérieure du tout au tout le plus rapidement possible, pour retrouver sa crédibilité, et être capable de faire face aux nouveaux dangers.
- L’« Armée syrienne libre » ce conglomérat de forces étrangères
- Un missile TOW utilisé par un membre de l’Etat islamique près de Palmyre
- Carte des gisements, des pipelines et gazoducs
- Un SU-24 sur la base de Lattaquié
- Carte de la situation actuelle en Syrie
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