Quand notre cerveau se ment à lui-même !

Quand notre cerveau se ment à lui-même !


Notre cerveau a développé une grande capacité à simuler.
On construit et manipule des objets et des concepts dans notre tête.
On crée des scénarios pour les évaluer et prendre des décisions.
Cette capacité de raisonnement est ce qui fait que notre espèce domine la planète, mais elle nous permet aussi de mieux nous mentir à nous-mêmes.
Elle permet la rationalisation.

L'homme est un animal rationalisant plutôt que rationnel (Aronson, 1972).
Il a soif de structure.
Surtout, il a tendance à préférer les explications qui l'arrangent ou qui ne le font pas mal paraitre, celles qui réduisent son stress ou qui réduisent la dissonance entre ses croyances et les situations auxquelles il doit faire face.
Les aménagements mentaux qu'on peut utiliser sont très variés (justification, maquillage, minimisation, déni), mais certains peuvent ébranler la frontière entre la pensée lucide et la pensée délirante.

On utilise parfois des justifications ou des réinterprétations d'actions pour gommer les imperfections de la réalité. «Ce n'est pas ce que je voulais dire». «Ce n'est pas un échec, c'est un succès d'estime», «J'ai économisé un bon paquet d'argent en achetant tout ça». Ça peut être bon pour restaurer notre estime de soi en étouffant un sentiment de honte ou de culpabilité. Les réinterprétations peuvent aussi servir à étouffer une frustration, une déception, une tristesse ou un manque.

Se mentir à soi-même sert aussi à réduire des craintes ou fuir des menaces. Eviter des examens médicaux nous évite de faire face aux mauvaises nouvelles pour un temps. Exprimer son accord quand on est trop timide pour montrer son désaccord évite la confrontation pour un temps.

Le maquillage de la vérité protège aussi ceux qui ne se donnent pas droit à l'erreur. L'enfant oppositionnel qui jure que ce n'est pas lui qui a commencé la bagarre ou cassé le vase peut en venir à se croire lui-même ou au moins à croire à son talent d'acrobate de la réalité. L'adulte narcissique qui blâme son adjoint, le système, les circonstances ou la météo réduit son sentiment de responsabilité en un clin d'œil. La moralité douteuse et les comportements antisociaux s'abreuvent de ces justifications. «Ce n'est pas du vol, c'est la société qui me rembourse une dette». «Je lui ai fait mal mais il avait besoin d'une leçon et de toute façon il l'a bien cherché». «Vandaliser une institution qui nous opprime c'est de la justice». Le summum est peut-être de nier qu'on se cache la vérité (le déni du déni), comme quand on est persuadé qu'on a rien à changer dans nos conduites mais que les autres doivent changer radicalement pour que tout aille mieux.

Notre cerveau est aussi porté à minimiser certaines limites ou incapacités. L'amnésique qui nie ses difficultés de mémoire, l'aphasique qui fait semblant de comprendre ce qu'on lui dit comme si tout était normal. Le toxicomane qui est convaincu qu'il garde le contrôle sur sa consommation. L'agresseur qui enchaine une conversation normale après des gestes horribles. Le déni peut aller très loin. Certaines personnes qui ont un bras paralysé peuvent même croire qu'ils pourraient le bouger s'ils le voulaient.

Le déni n'est pas qu'une tactique sociale pour sauver la face. C'est une composante essentielle de l'activité mentale qui a une fonction adaptative. Il sert généralement à nous protéger des émotions négatives et du stress ou à maintenir une certaine cohérence dans notre vie mentale. Le déni sert même parfois à nous motiver. Se croire invincible quand on est jeune nous donne le courage d'explorer, d'affronter et de se dépasser même si ce n'est pas très réaliste.

Les automensonges peuvent aussi prendre la forme de blocages qui nous coupent de nos souvenirs. Plus souvent qu'on le croit, notre cerveau oublie activement ce qui le perturbe (situations honteuses, stress).
Quand notre moteur de recherche cérébral tente de récupérer l'information controversée, nos émotions lui font éviter les indices qui allument la bonne réponse et empêchent la recherche d'aboutir.

Un évènement traumatisant peut causer une amnésie dissociative qui nous empêche de nous rappeler de l'évènement ou d'autres informations pendant un certain temps. Les émotions ont un droit de veto sur les scènes que l'on se permet de revivre et sur les détails qui les composent.

Notre cerveau peut même réinventer l'histoire.
Un souvenir n'est pas une donnée figée.
Récupérer une information la transforme, la relie aux autres informations apprises et la reconsolide.

Parfois, le cerveau peut déformer une partie des faits qu'il récupère et insérer de faux détails dans les souvenirs d'incidents stressants (accidents, agressions...).
L'auto qui allait vite était (sans doute) conduite par un jeune homme.
La récupération fabulatrice est due au fait que récupérer un souvenir le rend souvent malléable, vulnérable à l'insertion de nouvelles associations qui ont plus à voir avec nos préjugés, nos émotions et nos connaissances générales qu'avec l'épisode tel qu'il a été vécu initialement.

Les émotions peuvent faciliter la mémorisation d'évènements marquants, mais elles peuvent aussi biaiser les souvenirs et les contenus de la pensée.
Quand on essaie de raisonner, les informations et les arguments qui nous viennent en tête sont déjà présélectionnés jusqu'à un certain point. Cette pré-sélection est un processus compétitif où l'estime de soi, les peurs et autres émotions ont leur mot à dire.

Les justifications et le déni sont des raccourcis qui traduisent parfois une difficulté à s’adapter à une réalité…
Ils peuvent être coriaces, mais ils peuvent se diluer au fil des expériences et des confrontations de la réalité.
Il faut tenter de vérifier nos croyances.

Il faut aussi insérer un peu de doute dans nos grandes certitudes et écouter notre entourage quand il nous dit qu'on n'a pas tenu compte de certaines réalités.

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