Témoignages. " A la plage, je n'ose plus me mettre en maillot "
Cette année encore, les plages où une femme peut se baigner en maillot de bain sont soit plus étriquées, soit moins nombreuses.
L'espace public continue à se ferme aux femmes et les standards de pudeur sont imposées par des hommes qui s'improvisent tuteurs.
Cette société-là s'arroge un droit de regard sur notre manière de nous habiller et de nous conduire en public.
Sujet à la mode ?
Simple marronnier d’été ? Rien de tout cela.
L’appropriation des femmes de l’espace public dont les plages est un sujet extrêmement sérieux, grave même : Celui du regard sur la femme, un regard récriminant, inquisitorial, porté même parfois par leurs concitoyennes.
En préparant cet article, un post sur facebook partagé par une femme nous a interpellé-e-s. "Hier, j'ai découvert une plage très sympa avec des filles en maillot de bain. On y va?".
Une information qui vaut son pesant d’or, qu’on se refile entre copines, seulement. De peur que ce bout de paradis nous échappe d’entre les doigts et qu’il soit investi par ces milices autoproclamées des mœurs qui s’arrogent le droit de décider de ce qui est pudique ou non. Que ce soit dans la plage ou dans la rue.
La saison estivale est très révélatrice quant à cette problématique. Sur les plages de la plus grande ville du pays, le maillot de bain féminin, qu’il soit constitué d’une ou de deux pièces, n’a presque plus droit de cité.
Pour se baigner, la gent féminine peut adopter les tenues les plus fantasques: chemises de nuit, pyjamas, short et T-shirt sont devenues une norme sociale sur certaines plages, parfois même des robes pailletées afin d’éviter les regards réprobateurs des gardiens du temple, ou pour se donner bonne conscience en adoptant une tenue qui se veut pudique. Tout un attirail censé cacher ces attributs affriolants que l’on ne saurait voir.
Face à cette oppression sociale, nombre de nos concitoyennes ont développé moult stratégies afin de se permettre ce qui devrait être acquis: se baigner dans une tenue ad hoc, sans être vouées à l’anathème.
"Pour profiter de la mer, je pars me baigner très tôt, entre 8h et 9h du matin. Après, la plage devient trop bondée pour que je me risque à me balader en maillot de bain. Vers 10h, la journée baignade est terminée. Je me contente d'un bain de soleil, en robe bien évidemment", nous confie N.E., avocate à Casablanca, qui a choisi d’éviter la confrontation.
F.F., nutritionniste, a opté, en ce qui la concerne, pour le décalage de ses vacances par rapport à la saison estivale. "C'est à partir de la mi-septembre que la plage peut devenir fréquentable, car vide. Je peux mettre mon maillot et me laisser transporter par les vagues, sans me soucier du regard inquisiteur, que dis-je, réprobateur des uns et même des unes".
M.A., consultante en communication raconte:"J'adore la plage. Depuis quelques années, je vais à Ain Diab tous les jours, qu'il pleuve ou qu'il vente.
Je fais ma marche quotidienne tôt le matin ou après le déjeuner.
C'est là où je puise mon bol d'oxygène.
Mais je fais de plus en plus attention à ce que je porte. L'autre jour, j'ai reçu un ballon de foot en pleine figure, quand j'ai demandé au jeune joueur de faire attention, il m'a regardée avec dédain et m'a répondu que vu comment j'étais habillée (short et débardeur), il n'allait pas perdre son temps avec moi et qu'il savait très bien à quelle catégorie de femmes j'appartenais".
Certaines femmes bravent tout de même l'interdit et s'imposent dans leur deux pièces, font la marche en tenue de plage, totalement décomplexées, faisant fi des remarques et des regards sur leur chemin.
Mais toutes les plages ne s'y prêtent pas. A Aïn Diab, le cas est pratiquement impossible, alors que c’est la plage de la ville censée être une des plus ouvertes et des plus tolérantes du pays.
Il faut parcourir des kilomètres pour trouver des plages un peu moins bondées, ou privées, ou pour se retrouver dans des villes plus tolérantes.
A la plage de Skhirat, par exemple, l’on se surprend à compter avec enthousiasme le nombre de femmes qui déambulent en deux pièces sans être dérangées.
A partir de dix, on se dit que cela vaut le coup de rester plus longtemps.
D’autres témoignages font état de certaines plages, où la tolérance est davantage de mise. Les plages de Mirleft de Sidi Ifni par exemple ne semblent pas trop souffrir de ce genre d’ostracisme envers les femmes, peut-être grâce à la présence de nombreux estivants étrangers.
Femmes et espace public : raser les murs, ne pas se faire remarquer
En dehors des plages, l’occupation masculine des lieux publics demeure écrasante.
Une bonne partie de la gent féminine marocaine grandit avec l’idée que l’espace public est dangereux, qu’il appartient aux hommes, qu’une femme qui montre ses jambes, ses bras, son décolleté est une femme "disponible" et que dès lors, il est tout à fait normal de la harceler avec insistance. Ceci en se faisant abreuver d’insultes dans le cas où elle ose protester à la face de l’intrus et de sa masculine suprématie.
La question se pose d’elle-même.
Une femme a-t-elle le droit de flâner dans la rue, comme le ferait un homme le plus naturellement du monde ?
Cette interrogation, loin d’être anodine, pourrait presque servir de critère d’évaluation du développement d’une société. Et si l’on prend ce critère en considération, le Maroc fait vraiment figure de mauvais élève face à bien d’autres pays. Pour preuve ce qui vient de se produire récemment à Tanger. Une femme habillée en jean et T-shirt, tenue qui pourrait paraître banale de nos jours, se faisant poursuivre par une horde d’hommes qui tentent de l'encercler. Nou sn'avons pas pu reconstituer avec certitude s'il s'agissait réellement d'un harcèlement ou comme l'a déclaré la police, d'un groupe de jeunes sortant d'un spectacle. Mais sur les réseaux sociaux, la vidéo a été perçue comme du harcèlement et n'a pas suscité une indignation générale.
Les jeunes supposés harceleurs avaient autant de supporters que de détracteurs. "Elle peut se dénuder si elle veut, mais pas dans notre ville conservatrice!", a commenté un internaute. "Cette traînée a eu ce qu'elle méritait!", a écrit un autre.
Un constat qui démontre à lui seul combien l’opinion peut être partagée sur cette question, comme le rapporte l’AFP, en soulignant que "dans un pays qui se veut, selon les discours officiels, chantre d'un islam tolérant et où les femmes n'ont pas l'obligation de porter le voile, marcher seule dans la rue relève parfois du parcours de la combattante: elles y subissent fréquemment remarques désobligeantes et insultes".
La loi marocaine condamne le harcèlement sur le lieu de travail, mais pas dans l’espace public. Joint par nos confrères de l’AFP, Mustapha Ramid, ministre d'Etat chargé des droits de l'Homme, assure néanmoins qu'un projet de loi "complet" qui criminalise les violences à l’égard des femmes, incluant pour la première fois le harcèlement dans les lieux publics, est en cours d'adoption au Parlement.
L’appliquer sans réserve à la moindre incartade est le seul moyen de faire de l’espace public un espace neutre et respecté. On en rêve pour nous-mêmes, nos concitoyennes, nos filles qui ne sont même pas encore en âge d’en saisir les véritables enjeux.
En attendant, fin juillet, le Maroc a été classé second pays le plus dangereux pour les femmes voyageant seules, selon un sondage effectué par le site web américain spécialisé en voyages, trip.com, dont les résultats ont été repris par le célèbre magazine Forbes.
A méditer.
Par Nabila Fathi
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