"Sous Kadhafi, la Libye était le pays le plus prospère d’Afrique". ...

"Sous Kadhafi, la Libye était le pays le plus prospère d’Afrique". ...

– Entretien avec Patrick Mbeko
Rivarol : Le colonel Kadhafi était une personnalité haute en couleurs. Pourtant son régime semble avoir apporté une stabilité et une prospérité à la Libye...
Patrick Mbeko : Évidemment. Sous Mouammar Kadhafi, la Libye était le pays le plus prospère d’Afrique. Avant la démocratisation chaotique de l’OTAN, en 2011, le pays était engagé dans un processus de transformation socio-économique important. Le PIB/hab était de 13 300 dollars, soit le 81e rang mondial, avant l’Argentine, l’Afrique du Sud et le Brésil. La Libye a également instauré un programme de prestation sociale lancé en mars 2008 par Mouammar Kadhafi lui-même. La même année, le Guide, comme on l’appelait chez lui, proposait de distribuer les revenus du pétrole directement et de façon égalitaire aux citoyens. Dans le rapport sur les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) 2010, la Jamahiriya fut félicitée pour les avancées réalisées dans l’exécution du plan mondial visant à réduire la pauvreté et à promouvoir les droits de la personne humaine. La même année, la croissance dépassait les 10 % et le PIB par habitant augmentait de 8,5 %. À la veille de l’intervention de l’OTAN, le pays de Kadhafi a été félicité par le FMI pour ses performances macro-économiques.

Quel était le rôle géopolitique de la Libye de Kadhafi ?
Dès l’arrivée au pouvoir de Mouammar Kadhafi en 1969, la Libye affiche son hostilité envers les puissances occidentales, États-Unis et Grande-Bretagne en tête. Dès janvier 1971, la Libye révolutionnaire affiche sa volonté de démanteler les amitiés africaines de l’État hébreu, ce qu’elle réussit à faire. Puisqu’à la fin 1974, la marginalisation de l’influence israélienne en Afrique subsaharienne est quasi-totale, même si, faut-il le préciser, une discrète présence israélienne subsiste dans certains pays. Au nom de la lutte contre l’impérialisme, et son corollaire le sionisme, le maître de Tripoli a, ou aurait fourni, un appui financier et logistique à de nombreux groupes aux quatre coins de la planète. Entre autres les Aborigènes d’Australie, les indépendantistes basques de l’ETA et de l’IRA, les nationalistes révolutionnaires de l’extrême droite française, à l’exemple des gens de Nouvelle Résistance autour de Christian Bouchet, l’Armée rouge japonaise, la Nation of Islam, le Black Panther Party, la quasi-totalité des organisations [pro]palestiniennes (OLP, FPLG…), etc. On retrouve la main de Kadhafi en Afrique australe où la Libye s’oppose au colonialisme portugais, en soutenant les mouvements de libération nationale de l’Angola (MPLA), du Mozambique (FRELIMO) et de la Guinée Bissau, etc. À partir des années 2000, la Libye est devenue le fer de lance d’un mouvement destiné à renforcer l’unité et l’indépendance politico-économique du continent africain. Elle se rapproche également de la Russie, proposant à Moscou d’installer une base militaire sur son territoire.

Avant le « Printemps arabe », Mouammar Kadhafi était redevenu « fréquentable » pour les Occidentaux. Pourquoi ? Son contrôle des routes sahariennes de l’immigration africaine a-t-il joué dans cette normalisation des relations avec l’Union européenne ?
C’est beaucoup plus complexe. Le retour de la Libye sur la scène internationale résulte de plusieurs facteurs. Dont la violation de l’embargo imposé par les États-Unis et la Grande-Bretagne par les pays africains et arabes qui ne croyaient pas à l’implication de Tripoli dans les attentats de Lockerbie et d’UTA. En fait, le raïs libyen avait réussi à rallier les États africains à sa cause, les amenant à remettre en question les sanctions décrétées par le Conseil de sécurité, bien avant qu’elles ne soient suspendues en avril 1999. Et c’est sans oublier que le très riche sous-sol libyen aiguisait toujours les appétits : des hommes d’affaires européens (allemands, français, anglais et italiens) faisaient régulièrement le voyage en Libye, au grand dam des Américains. Craignant de perdre leur part de marché au profit des sociétés européennes ayant un avantage stratégique certain et ayant, durant toutes ces années d’embargo, amélioré leur connaissance du terrain libyen, les pétrolières américaines ont commencé à exercer de fortes pressions sur la Maison-Blanche pour que soit levé l’embargo. Et à Londres, le lobby pétrolier a pressé le nouveau locataire du 10 Downing street, Tony Blair, de trouver une solution au « problème libyen ». En gros, il a plus été question de realpolitik que d’autre chose.

Kadhafi a-t-il financé la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 ? Pensez-vous que son élimination fut directement liée à cette participation secrète ?
La première chose que j’ai apprise quand j’ai débuté mon enquête, c’est cette histoire de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. C’était un secret de polichinelle. Quant à savoir si cette affaire est directement liée à l’élimination de Kadhafi, je dirais en partie. Il y a d’autres raisons qui ont amené la France à déstabiliser la Libye et à tuer Mouammar Kadhafi. Entre autres le non-respect des accords commerciaux conclus avec les entreprises françaises après le passage de Kadhafi à Paris en 2007, et aussi la volonté de renverser un dirigeant indocile face aux exigences occidentales.

Né en Libye en février 2011, le « Printemps arabe » s’est transformé rapidement en guerre civile. Qui sont les « rebelles » qui vont prendre le pouvoir ? Sans le soutien massif de l’aviation, de la marine et des troupes spéciales occidentales, pensez-vous que les insurgés auraient fait tombés le régime ?
Il n’y a jamais eu de « printemps arabe », mais bien ce que j’ai baptisé le « printemps américain dans le monde arabe ». Ce sont les puissances occidentales, États-Unis en tête, qui ont été à la manœuvre en Libye. Les rebelles n’étaient que des mercenaires recrutés à l’étranger. On sait par exemple que la CIA a recruté des combattants à Mazâr-e Charîf, en Afghanistan, pour faire le coup de feu en Libye. Le Qatar et d’autres monarchies du Golfe ont également dépêché des hommes en Libye. Si la tête dirigeante de la rébellion était composée des Libyens, le corps expéditionnaire était un ramassis de combattants provenant de plusieurs pays arabo-musulmans.

Comment les islamistes vont mettre en place leur domination sur des régions entières du pays ?
Arrivés dans les fourgons de l’OTAN, ils se sont rapidement déployés dans tout le pays après la chute du régime Kadhafi. En l’absence d’un pouvoir fort et structuré, c’est une pléthore de Katiba et de milices considérablement armées qui fait régner la loi du plus fort hors de tout contrôle.

La Libye connaît un chaos total depuis l’intervention occidentale. Quelle est la situation actuelle du pays ?
La Libye est aujourd’hui un non-État avec deux gouvernements. Tout le monde s’en va, y compris l’ONU et bon nombre d’ONG, aggravant ainsi l’isolement du pays, qui est passé de terre d’accueil pour des millions de migrants à pays de départ d’une migration incontrôlée et incontrôlable vers l’Europe. En outre, la « Libye libérée » s’est transformée en un laboratoire où se préparent les cauchemars de demain dans plusieurs régions du monde. Elle est devenue exportatrice d’armes et de chaos vers le Maghreb – les sanglantes attaques djihadistes de Ben Guerdane, ville située à seulement 32 km de la frontière libyenne, constituent un spectaculaire débordement du chaos libyen dans cette région limitrophe du Sud-est tunisien –, le Sinaï, le Mali et la Syrie. Selon les Nations unies, elle est la principale pourvoyeuse d’armes et de terroristes vers les pays limitrophes ou le Moyen-Orient déstabilisé.

L’Occident cherche-t-il à apporter une vraie solution au conflit ? La puissance russe semble aussi vouloir revenir dans cette zone ?
L’Occident cherche à faire triompher ses intérêts tout comme la Russie qui cherche à revenir dans le pays après l’avoir abandonné à la fureur de l’OTAN. Tant que l’Occident ne tirera pas son épingle du jeu en Libye, il favorisera ce que les néoconservateurs américains appellent le « chaos constructeur ». C’est-à-dire favoriser une situation de chaos généralisé duquel émergerait un ordre nouveau fondé sur les exigences de l’impérialisme occidental.

La région des Grands Lacs en Afrique centrale fut le théâtre d’une guerre civile et d’interventions impérialistes dans les années 1990. Quelles sont les origines de ses horribles conflits ?
Il est difficile de comprendre la logique du chaos qui prévaut en Afrique des Grands Lacs sans se référer à la guerre déclenchée, le 1er octobre 1990, contre le Rwanda par le Front patriotique rwandais (FPR), mouvement politico-militaire composé des sujets d’origine tutsie rwandaise issus de la National Resistance Army (NRA) de l’Ougandais Yoweri Museveni. Ce dernier, tout comme les rebelles tutsis qu’il a parrainés, avait reçu le soutien des États-Unis et de leurs alliés qui entendaient redéfinir la carte géopolitique de l’Afrique centrale.

Le but des États-Unis fut un redécoupage de la carte géopolitique de l’Afrique Centrale. Comment les Américains vont réussir ce plan et chasser les Français de la zone ?
Les Américains vont s’appuyer sur les rebelles tutsis et l’Ouganda pour atteindre leurs objectifs dans la région. La France, après la Guerre froide, avait perdu sa valeur utilitaire aux yeux des Américains qui entendaient mettre la main sur la riche région des Grands Lacs, notamment la RD Congo. La tactique américaine et de leurs poulains rwandais a été de monter l’opinion publique contre la France, en l’accusant de soutenir un régime génocidaire. Ce qui n’était pas du tout vrai. Mais le mal était fait. L’Hexagone a été injustement accusé d’avoir participé au génocide des tutsis aux côtés du pouvoir hutu. La pression sur les autorités françaises était telle qu’elles ont fini par quitter cette région tête baissée. Comme me l’a confié un haut gradé français impliqué au Rwanda à l’époque, « la France a perdu la guerre de l’information », et avec elle son influence en Afrique centrale. Mais aussi ailleurs sur le continent africain.

Comment expliquer le niveau de barbarie du conflit au Rwanda ?
La guerre d’invasion imposée au Rwanda par les extrémistes tutsis venus d’Ouganda a réveillé les vieux démons de l’ethnicisme. Les massacres des dizaines de milliers de Hutus au Nord du Rwanda s’accompagnaient des représailles contre les Tutsis ailleurs au pays. Mais l’élément déclencheur de la mécanique meurtrière à laquelle on a assisté à partir d’avril 1994 est liée à l’assassinat du président hutu rwandais, Juvénal Habyarimana, par les rebelles tutsis. Pour les Hutus, c’étaient eux ou les envahisseurs tutsis et leurs complices internes. Et pour les rebelles tutsis, il fallait vider le pays des Hutus. C’est sans compter avec les règlements de compte entre voisins pour des raisons parfois personnelles…

Israël semble avoir été un acteur de la déstabilisation de la région. Pourquoi cet intérêt pour une région très éloignée du Proche-Orient ?
Israël a été très discret dans les différents conflits des Grands Lacs. Son intérêt porte sur les abondantes richesses de la région et sur sa volonté à développer des partenariats stratégiques avec des pays africains qui pourraient toujours prendre parti pour lui dans certains débats aux Nations unies. On l’a vu ces dernières années lors des débats sur la Palestine. Les « amis » africains d’Israël ont toujours défendu la position de l’État hébreu, à défaut de s’abstenir lors des votes.

La question de la mémoire du conflit est devenue un enjeu comparable à celui de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Comment ce discours officiel de l’État rwandais est-il devenu un dogme ?
Paul Kagame, le chef des rebelles tutsis devenu l’homme fort du Rwanda, est un criminel contre l’humanité. Il a le sang de millions de gens sur les mains. Grâce à ses soutiens anglo-saxons, il a pu imposer à la terre entière sa version du génocide rwandais, qui fait de lui le sauveur des Tutsis et du Rwanda. Pour affirmer le caractère sacré et indiscutable de cette version tronquée de l’Histoire, Kagame n’a pas hésité à assimiler la tragédie rwandaise, dans laquelle il porte une lourde responsabilité, à la Shoah. Ainsi pense-t-il que personne n’osera s’aventurer à la questionner ou à la critiquer. Il va se rapprocher des personnalités et des organisations juives d’Europe et d’Amérique du Nord. 
Celles-ci se rendront au Rwanda à plusieurs reprises et donneront leur caution morale et politique à un Kagame qu’un ancien responsable du Mossad comparera à Ben Gourion. Parallèlement, plusieurs organisations tutsies d’Occident vont se rapprocher d’organisations juives dans l’optique de se servir de l’influence de ces dernières afin d’imposer à l’opinion publique l’histoire convenue du drame rwandais faisant de Paul Kagame le libérateur du Rwanda. 
De cette façon, il est devenu difficile de questionner, de critiquer ou de s’attaquer aux politiques prédatrices de l’homme fort du Rwanda au Congo, où l’invasion rwandaise a provoqué des millions de morts, selon l’ONU. 
Parce que Kagame n’est pas seulement le Président du Rwanda, il est aussi le sous-traitant officiel d’une mondialisation sanguinaire en Afrique centrale.

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