Développement : Sauver les villes marocaines négligées.
«Le Maroc est un chantier à ciel ouvert», commentaient les médias occidentaux quand ils faisaient leurs reportages dans les grandes villes marocaines bénéficiant de programmes de mise à niveau urbaine et de développement. Des travaux partout et dont certains sont toujours en cours. Hôpitaux ultra-modernes, réseaux de tramway, grands théâtres, terrains de football nouvelle génération… Tout a été pensé pour rattraper le retard dans des villes phares comme Tanger, Al-Hoceima, Rabat, Casablanca, Marrakech et Agadir. Le sursaut urbanistique est réel, mais il a rendu les écarts et inégalités entre les villes marocaines criants.
Fès : La capitale spirituelle agonise
Des enfants, des jeunes et des migrants par dizaine aux différents feux rouges de Fès. L’image est désolante, mais elle renseigne sur la morosité ambiante dans la capitale spirituelle. Insécurité, insalubrité, infrastructures vétustes… Les maux qui rongent l’ancienne capitale du Maroc ne manquent pas. Ils angoissent aussi bien les habitants de la ville que ses visiteurs.
Ni les fantasmes du trublion Hamid Chabat (PI), ni les idées de Driss El Azami (PJD) n’ont pu redynamiser et moderniser la deuxième plus grande ville du Royaume. Quant à l’actuel maire, Abdeslam Bekkali (RNI), ses obstinations semblent incapables de booster l’économie de la ville. C’est que Bekkali veut à tout prix attirer les investisseurs fassis installés à Rabat et Casablanca pour qu’ils participent au développement de leur ville d’origine. Il entend aussi dupliquer le schéma des trémies qui a réussi à Tanger. Reste à savoir comment il compte faire pour les financer.
«Si Fès est encore debout, c’est grâce à la sollicitude royale. Les différents séjours du Souverain dans notre ville permettent de recarder les choses. Quant aux élus, la rupture entre les citoyens et leurs « soi-disant » représentants est bien réelle. Quelle que soit leur appartenance politique, ils ne font rien pour faire améliorer le quotidien des Fassis», nous confie Mounir T., acteur associatif à Dar Dbibegh. Pour lui, Fès a un potentiel touristique bien plus important que celui de Marrakech et aurait pu être la première destination du tourisme au Maroc.
Autrefois symbole d’élégance, d’ordre et d’urbanisation, la ville de Fès est aujourd’hui encrassée dans la saleté et le chaos, ayant perdu son identité. Connue pour son ancienne médina, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, elle peine à attirer les touristes et son offre d’hébergement est loin d’être satisfaisante. L’artisanat demeure la locomotive de l’économie locale. L’agriculture reste dépendante des pluies. Quant à l’industrie, Fès se cherche encore des filons pour se positionner sur la carte des manufacturiers, mis à part quelques initiatives lancées récemment. Les acteurs économiques de Fès espèrent que le projet pilote de la zone industrielle ‘’Fez Smart Factory’’ (FSF) fera des émules. Aménagée sur le campus de l’Université Euro-Méditerranéenne de Fès (UEMF), la FSF mobilise une enveloppe budgétaire de 104 millions de DH. Fruit d’un partenariat public-privé, ce projet est conçu pour être un incubateur et un accélérateur de startups, en proposant des services d’ingénierie pour l’industrie et les laboratoires de recherche et de développement.
Meknès : La cité ismaïlienne n’est plus que l’ombre d’elle-même
«Le temps s’est arrêté à Meknès depuis fort longtemps», soupire Nassim K., professionnel du tourisme. Mis à part le Salon international de l’agriculture de Meknès (SIAM), la ville ne connaît aucune activité majeure sur les 12 mois de l’année, ajoute-t-il. Pourtant, Meknès ne manque pas d’atouts pour rivaliser avec les grandes destinations touristiques. La médina avec ses marchés, ses ruelles et ses nombreuses portes dont la majestueuse Bab Mansour, Sahat Lahdim, Sahrij Souani, le palais de Moulay Ismaïl et la prison souterraine… Des monuments qui émerveillent les quelques visiteurs de Meknès.
Mais la ville est «mal aimée». Elle ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite, surtout depuis qu’elle a perdu son statut de capitale de région avec le nouveau découpage. Même le club de football historique de la ville (Club omnisport de Meknès, CODM) joue depuis plusieurs années en 3e division. C’est dire que la décadence est générale. Beaucoup de Meknassis évoquent l’ancien wali Hassan Aourid (2005-2009) et la dynamique qui a coïncidé avec sa mission à Meknès. Ils espèrent qu’un nouveau haut commis de l’État, jeune et motivé, soit nommé dans leur ville à l’occasion du prochain mouvement des walis et gouverneurs. L’homme providence doit être capable de moderniser l’infrastructure et stimuler l’économie locale.
Salé : l’anarchie extramuros
La ville jumelle de Rabat, celle qu’on qualifie désormais de cité-dortoir puisque ses résidents n’y passent que la nuit avant de prendre la direction de Rabat ou de Kénitra pour travailler, n’a plus d’identité. La cité des corsaires, dont les habitants étaient autrefois qualifiés de «fous» parce qu’ils se précipitaient vers la ville avant que ses portes ne se referment à la tombée de la nuit, sombre dans l’anarchie.
Si Salé a bénéficié du programme de réhabilitation de l’ancienne médina à l’instar des autres villes du Royaume, la ville extramuros souffle toujours d’un laisser-aller inimaginable. Fiers du glorieux passé de leur ville, les Slaouis sont frustrés de voir leur cité mourir à petit feu. Ali S., ingénieur informaticien, réside à Salé depuis plus de 10 ans. «L’échec est palpable dans tous les domaines. Un certain opportunisme et des calculs politiciens ont eu raison de toute volonté de changement et d’amélioration des conditions de vie des habitants de Salé. Les permis de construire sont signés dans les cafés, ce qui explique les habitations anarchiques qui poussent comme des champignons. Salé est une ville morte, il n’y a rien à faire», nous raconte ce cadre originaire de Casablanca et travaillant à Rabat.
La ville est également connue pour son taux de criminalité élevé, avec des incidents quotidiens de vols, d’agressions à l’arme blanche, de viols et d’ébriété accompagné de violence sur la voie publique. Avec une population dépassant un million d’habitants et une croissance urbaine rapide qui a entraîné un déboisement de l’espace forestier, Salé est une véritable bombe à retardement.
Safi : La ville marocaine délaissée par ses fils
Ville marocaine pittoresque située sur la côte atlantique, Safi a été tout au long de son histoire l’objet de la convoitise des puissances occidentales. Aujourd’hui, la ville souffre de graves lacunes en matière d’infrastructures. Le chômage et la pauvreté sont aussi très répandus, tandis que les cadres et les riches safiots ont abandonné leur ville d’origine. Les Benhima, Mjid et Boulami, sont originaires de Safi. De même que les artistes Samy El Maghribi, Michel Galabru, Fatna Bent Lhoucine, Mohamed Bajeddoub… Les réalisateurs Mohamed Reggab et Noureddine Lakhmari et le célèbre écrivain Edmond Amran El Maleh sont aussi natifs de la capitale de Abda.
Comment peut-il en être autrement quand on sait que la capitale de la sardine est aussi celle de la pollution la plus néfaste. L’industrie locale, dont plus de trois quarts des unités ont fermé leurs portes, transformant la zone industrielle en quartier fantôme, a causé un désastre écologique et ravagé l’écosystème local. Mustapha H., commerçant originaire de la région, nous explique que «la ville est en déclin depuis les années 1970. Avant, il suffisait de descendre aux abords du port pour acheter des sardines. Les pêcheurs lançaient leurs paniers depuis le quai pour les remonter remplis de poissons. Là, les sardines se font rares. Les pêcheurs doivent parcourir plusieurs kilomètres au large pour rentrer avec de modestes prises de sardines, chinchards, anchois, maquereaux, soles et merlans». Pourtant, c’est bien la pêche qui garde l’économie locale à flot. Le complexe de poterie et les quelques établissements touristiques n’emploient pas plus de 500 personnes. Le secteur de la pêche pourvoit pour sa part plus de 50.000 emplois directs et indirects. La flotte de pêche au niveau du port de Safi se compose de 1.319 unités, dont 64 sardiniers, 83 chalutiers, 217 palangriers et 955 barques.
Pour en revenir à la pollution, notre interlocuteur nous fait remarquer le nombre élevé de malades mentaux dans les rues de Safi. Pour lui, il n’y a pas de doute : la pollution de l’air a détruit les cerveaux des Safiots. Ce qui est scientifiquement prouvé, c’est que la pollution a causé une augmentation des allergies et des cas de cancer de la thyroïde, en particulier chez les enfants. Par ailleurs, plusieurs plages de Safi ne sont plus conformes à la baignade et souffrent de désertification à cause de la surexploitation du sable. Quoi qu’il en soit, la population est désespérée face à l’inaction des responsables locaux qui sont plus préoccupés par leurs propres affaires. L’état des chaussées est déplorable et les moyens de transport en commun sont pitoyables. Ce n’est ni l’autoroute reliant Safi à El Jadida, ni le nouveau port de Safi qui redoreront l’image d’une ville complètement délabrée.
Des projets urbains ambitieux ont été initiés dans différentes villes marocaines, telles que Casablanca, Rabat, Marrakech, Tanger et Agadir et qui ont métamorphosé ces agglomérations tout en améliorant le quotidien de leurs habitants et en renforçant leur attractivité. Malgré certains retards observés, dans l’ensemble, ces programmes ont permis de moderniser les villes et de les doter d’infrastructures de qualité.
L’heure est venue de se tourner vers de grandes cités millénaires, au passé glorieux, mais tombées dans l’oubli à cause d’une dynamique interrompue ou d’une gouvernance locale incompatible avec les exigences du temps présent.
Par Hafid El Jaï
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