Une pluie de révélations plonge Fox News et sa star Tucker Carlson dans la tourmente
16 mars 2023 à 9h00
L'enquête dans le cadre de l'action judiciaire entreprise par Dominion Voting Systems prouve que le média ultra-conservateur avait parfaitement conscience que les théories d'une élection 2020 «volée» à Donald Trump ne reposaient sur rien.
Des camions portant les messages «Lachlan Murdoch a participé à alimenter une insurrection», «Tucker Carlson le savait» et «Ils le savaient tous» passent devant l'hôtel Palace alors que le PDG de la Fox, Lachlan Murdoch, assiste à un événement le 8 mars 2023 à San Francisco (Californie). | Kimberly White / Getty Images North America / Getty Images via AFP
Les dernières semaines ont été difficiles pour Fox News, le grand média ultra-conservateur américain détenu par la famille Murdoch. Dans le cadre de la plainte pour diffamation déposée contre la chaîne proche du Parti républicain en 2021 par la Dominion Voting Systems Corporation, qui commercialise du matériel et des logiciels de vote électronique aux États-Unis, de nouvelles révélations explosives se sont fait jour. Elles visent le fonctionnement de Fox News, son rapport aux faits et la propension de ses chroniqueurs et présentateurs stars à mentir à leur public.
La publication des discussions privées de différents acteurs principaux de Fox News post-élection présidentielle de 2020 a notamment mis en lumière le mécanisme de la désinformation qui a prévalu dans les mois ayant suivi ce scrutin mouvementé, notamment marqués par le complotisme électoral de Donald Trump et l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021 par des insurrectionnistes proches des idées de l'ancien président.
Des documents qui confirment que le principal média de droite outre-Atlantique a très largement contribué à accentuer la sécession démocratique d'une partie de la société américaine à des fins commerciales (le maintien de ses audiences) et idéologiques (la promotion du conservatisme radical).
Une duperie volontaire
Si le scandale autour du traitement des résultats de l'élection présidentielle par Fox News ne date pas de ces dernières semaines, les nouveaux documents –contenant notamment des textos et courriels échangés par les cadres du média– dévoilés en février dans le cadre de l'action judiciaire entreprise par Dominion Voting Systems l'ont un peu plus accentué.
Il est désormais avéré que le public a été sciemment trompé par une partie des présentateurs vedettes de la chaîne: tout en sachant pertinemment que les théories du camp Trump sur l'élection «volée» ne reposaient sur rien, ils ont repris ce récit complotiste et l'ont diffusé sans recul à de très nombreuses reprises entre le 3 novembre 2020 et le 6 janvier 2021.
Une véritable entreprise de désinformation à grande échelle qu'a même reconnue du bout des lèvres le grand patron Rupert Murdoch lors d'une déposition sous serment fin février. Au cours de celle-ci, il a concédé que certains de ses employés les plus médiatisés –dont Sean Hannity, Maria Bartiromo, Jeanine Pirro ou encore Lou Dobbs– avaient approuvé les mensonges de l'ancien président et de ses alliés et dit regretter de ne pas les avoir dénoncés plus fortement.
Une confession qui conforte le bien-fondé de la plainte du fabricant, accusé par le camp trumpiste sur les ondes de Fox News d'avoir truqué les machines à voter pour permettre la victoire de Joe Biden. Et ce relai d'une campagne de diffamation pourrait coûter cher au média conservateur: Dominion lui réclame 1,6 milliard de dollars (1,49 milliard d'euros) en guise de dédommagement.
Tucker Carlson, présentateur vedette pris la main dans le sac
Si Fox News devait être résumée à une figure médiatique, Tucker Carlson serait probablement cité par les téléspectateurs américains et les observateurs politiques. À la tête de l'une des émissions les plus populaires et les plus clivantes du pays, «Tucker Carlson Tonight», la vedette de la chaîne est elle aussi dans la tourmente.
Grand amateur des guerres culturelles, Républicain férocement conservateur et désinformateur chevronné, le présentateur le plus connu du paysage audiovisuel américain ne recule devant rien pour faire avancer l'agenda réactionnaire de l'alt-right. Pas même la diffusion aux grandes heures d'écoute de mensonges auxquels il ne croit pas.
Comme ses collègues, Tucker Carlson a vu ses conversations privées au sujet de l'élection présidentielle 2020 être rendues publiques. Et comme eux, il semblait bien plus rationnel à l'écrit qu'à l'antenne, moquant même certaines des théories complotistes des affiliés de Donald Trump. Mais ces documents ont aussi révélé d'autres éléments, comme l'aversion du présentateur pour le milliardaire new-yorkais.
Le révisionnisme comme tactique de défense
À plusieurs reprises entre le 6 novembre 2020 et le 7 janvier 2021, le présentateur a ainsi exprimé son dégoût pour les méthodes du locataire de la Maison-Blanche, allant même jusqu'à dire qu'il le détestait passionnément. En public pourtant, il a, pendant toute cette période, continué à instiguer le doute au sujet du scrutin, à délégitimer Joe Biden et à faire preuve d'une grande complaisance à l'égard du milliardaire républicain.
Dans l'embarras après ces révélations, il a fait ce qu'il sait faire de mieux: allumer un contre-feu et désinformer. Profitant des faiblesses morales du président républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, pour récupérer toutes les images de vidéosurveillance du Capitole du 6 janvier 2021, Tucker Carlson a publié un contre-récit mettant en doute les conclusions de la commission d'enquête parlementaire sur l'attaque.
Grâce à une sélection de séquences qu'on pourrait aisément qualifier de manipulatrice, il a tenté de faire passer les supporters trumpistes présents dans l'enceinte du Congrès américain pour des pacifistes voire pour des touristes, en clair pour des victimes. Un révisionnisme qui a déclenché un tollé, même au sein du Parti républicain.
Le commentariat plus que la vérité
Dans une chronique du Journal de Montréal intitulée «Tucker Carlson, épandeur de merde», le Canadien Luc Laliberté rappelle les enjeux médiatiques et ce qui distingue Fox News de ses concurrents.
«Entraînés par la polarisation, préoccupés par la compétition déloyale des réseaux sociaux et condamnés à la rentabilité, de nombreux médias en sont venus à cibler des clientèles particulières auxquelles on s'assure de fournir ce qu'elles demandent. On vise de moins en moins l'ensemble du lectorat, on se concentre sur nos habitués. C'est, résumé simplement, ce qui explique que vous savez déjà à quoi vous attendre en écoutant MSNBC et CNN ou encore en lisant le Washington Post ou le New York Post», écrit-il.
«On oriente la couverture, mais on respecte les faits. Il n'y a qu'un cas à part: Fox News. Fondé par et pour des Républicains, le populaire réseau ne s'embarrasse même plus des faits», regrette-t-il ensuite.
Fox News n'a en effet plus grand-chose d'une chaîne d'information –mises à part, peut-être, ses antennes locales. C'est aujourd'hui –et depuis plusieurs années déjà– un média d'opinion dans lequel le journalisme a peu à peu laissé place au commentariat, dans lequel les éditorialistes ont pris le pouvoir, et dans lequel la recherche de la vérité n'est plus une priorité. Ce que les dernières révélations viennent confirmer. Et peu de choses laissent à penser que la tendance va s'inverser à court ou moyen terme.
À moins que la justice ne décide de faire payer le prix fort à l'empire Murdoch pour la diffusion volontaire de mensonges concernant l'élection présidentielle 2020 et l'entreprise Dominion Voting Systems.
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