L’ancien trafiquant de cocaïne Gérard Fauré a provoqué un tollé jeudi soir en affirmant dans l’émission TPMP.



L’ancien trafiquant de cocaïne Gérard Fauré a provoqué un tollé jeudi soir en affirmant dans l’émission TPMP que Pierre Palmade ou encore Céline Dion consommait de l’adrénochrome, une « drogue » prélevée dans le sang des enfants.


Une théorie complètement fantaisiste, mais tenace sur les réseaux sociaux.

L'adrénochrome n'est pas un médicament, on en trouve seulement des traces dans certaines gouttes ophtalmiques. Sa consommation a des fins addictives est un pur mythe. (Illustration) LP/Olivier Arande.

Le 10 mars 2023


« L’adrénochrome c’est du sang d’enfants, qu’on prend sur des enfants de trois ans », expose à la télévision Gérard Fauré, ancien trafiquant de cocaïne, à une heure de grande écoute. « Et Gérard soulève un truc qui est réel, il y a beaucoup de gens sur les réseaux qui disent que ça existe », appuie l’animateur de l’émission, Cyril Hanouna.

L’auteur d’ouvrages complotistes suscite un début d’indignation sur le plateau lorsqu’il affirme que Pierre Palmade ou encore Céline Dion en seraient friands. Plus tard, l’émission TPMP s’excusera dans un tweet. Le mal est fait : jeudi soir, C8 a relayé l’une des théories complotistes les plus farfelues auprès de millions de téléspectateurs.Quelle est cette théorie ? 

Le mythe sur l’adrénochrome se fonde sur les milliers de disparitions d’enfants chaque année : les complotistes expliquent que s’ils ne reviennent jamais, c’est parce que ces enfants sont enlevés, torturés puis tués dans des rites sataniques. Selon eux, la torture déclencherait du stress, et donc de l’adrénaline chez les enfants, entraînant une production d’adrénochrome, une molécule issue de l’oxydation de l’adrénaline. 

La substance serait prélevée dans le sang des enfants, dans leur cerveau (ou d’autres parties du corps, selon les versions). Cette « drogue », la « plus puissante du monde » serait vendue à prix d’or aux puissants. Un « pur mythe », fustige le médecin Bernard Basset, président de l’association Addictions France. « La consommation d’adrénochrome a des fins psychoactives (consommation de produits addictifs) est un pur mythe. » Une autre théorie relevée par Conspiracy Watch affirme que cette drogue serait recherchée pour ses vertus régénératrices.

L’adrénochrome existe bel et bien, mais ce n’est qu’une molécule produite naturellement, effectivement par oxydation de l’adrénaline. Il ne s’agit en aucun cas d’une drogue. « L’adrénochrome n’est pas un médicament, il ne possède pas d’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), et n’a donc pas d’utilisation médicale », insiste Bernard Basset.

On en trouve des traces dans certains collyres. Mais cette molécule n’est pas commercialisée en France, sous aucune forme. « Elle n’a pas d’effets hallucinogènes connus. Ses effets sur le corps humain dérivent du fait qu’elle est issue de l’adrénaline » : vasoconstriction, action sur le rythme cardiaque…

En réalité, l’adrénochrome n’a que peu d’intérêt pour la science. « Elle peut être produite très facilement puisque c’est une simple oxydation de l’adrénaline. Les laboratoires pourraient l’utiliser à des fins de recherche dans le cadre des expérimentations parfaitement encadrées par la loi concernant la recherche médicale. Mais je n’ai pas connaissance de recherches en cours spécifiquement sur cette molécule. »
D’où vient-elle ?

Dans le film Las Vegas Parano, on peut voir Raoul, personnage interprété par Johnny Depp, consommer de l’adrénochrome. Son avocat, joué par Benicio del Toro, l’incite à en prendre, car cette drogue « fait passer de la mescaline pure pour de la bière au gingembre ».



Dans le roman de Hunter S. Thompson, dont le film est adapté, la scène sur l’adrénochrome est plus longue : Raoul explique que les « glandes d’adrénaline » doivent provenir d’un « corps humain vivant », et que « ça ne fonctionne pas si c’est un extrait d’un cadavre. » Son avocat lui répond alors qu’il l’a obtenu « d’un de ces satanistes fous », qui a été « pincé pour pédophilie ».

Cet extrait de roman ressemble en tout point à la théorie relayée par Gérard Fauré, que beaucoup de complotistes – et de simples internautes – semblent prendre au sérieux. Dans les commentaires de la version DVD, le réalisateur Terry Gilliam explique pourtant que Hunter S. Thompson lui avait dit que tous les détails sur l’adrénochrome étaient pure fiction.



« Ça réactive tout un imaginaire qui remonte au Moyen Âge, sur le sacrifice d’enfants par des gens qui vouent un culte à Satan », observe Laurent Cordonier, chercheur à la Fondation Descartes, spécialiste du complotisme.

« Ce mythe est un recyclage moderne de mythes anciens selon lesquels la consommation du corps humain ou de ces produits serait bénéfique, surtout si ces produits proviennent de victimes innocentes, comme les enfants ou les vierges », confirme le Dr Basset.
Pourquoi refait-elle surface ?

Cette théorie du complot est revenue à la mode avec le mouvement complotiste QAnon, aux États-Unis. « Ils cultivent la thèse des puissants pédo-satanistes, dont les démocrates seraient aujourd’hui les représentants.

Et en particulier le couple Clinton, qui élèverait des gamins pour leurs désirs sexuels, rappelle Laurent Cordonier. Cela nous paraît très exotique en tant que Français, mais les États-Unis sont un pays très religieux, une partie de la population croit en Dieu et au diable, pas seulement dans une représentation métaphorique. »

Selon le chercheur, les propos de Gérard Fauré révèlent aussi la fonction politique des théories du complot : « C’est un élément de mobilisation. Quand on y croit, ça suscite l’indignation. Au point de prendre les armes. » Et pour qu’une théorie du complot devienne virale, « il faut prendre des sujets révoltants », comme la pédophilie, la torture de bébés. Toutefois, « il ne faut pas exagérer la proportion de gens qui y croient », estime Laurent Cordonier : « Certains les relaient sans les prendre au premier degré. »


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