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Le groupe de six que l’Arabie saoudite envisageait de former autour d’un consensus dicté par elle-même s’est réduit à un groupe de deux et demi où Mohammed ben Zayed n’est plus un partenaire subalterne de l’Arabie saoudite
L’annonce faite par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis de l’établissement d’une commission conjointe de coopération et de coordination « dans tous les domaines militaires, politiques, économiques, commerciaux et culturels » ne devrait pas surprendre les observateurs du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Depuis des années, le CCG n’est rien de plus qu’un forum de discussion qui projette une image déformée de la coopération et de l’unité face au monde
Cette annonce formalise une amitié déjà existante entre les deux dirigeants de facto, l’Émirati Mohammad ben Zayed (MBZ) et le Saoudien Mohammed ben Salmane (MBS), dans une région où les institutions informelles et les relations personnelles comptent plus que les institutions officielles.
Au service des intérêts saoudiens
Le timing de cette annonce, survenue le jour d’un sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) au Koweït, est significatif. Rares étaient ceux qui pensaient que le sommet pouvait ouvrir la voie à une réconciliation régionale dans le contexte de la pire crise connue par le Golfe à ce jour.
L’annonce conjointe saoudo-émiratie a constitué non seulement un affront pour l’émir du Koweït et ses efforts de médiation, mais surtout un effort calculé pour faire dérailler le sommet du CCG et lui voler la vedette.
Certes, les institutions officielles dans le monde arabe ne sont pas dissoutes, mais elles sont reléguées au second plan et privées de toute raison d’être – un destin que le CCG pourrait bientôt partager avec la Ligue arabe.
Le prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed ben Zayed al-Nahyane, arrive au Sommet arabo-islamique et américain au Centre de congrès du roi Abdelaziz, à Riyad (Arabie saoudite), en mai 2017 (AFP)
Depuis des années, le CCG n’est rien de plus qu’un forum de discussion qui projette une image déformée de coopération et d’unité. Bien qu’officiellement fondée en 1981 pour promouvoir la cohésion sociale, politique et économique à travers les six monarchies du Golfe, l’organisation servait principalement les intérêts sécuritaires saoudiens construits autour de leur paranoïa vis-à-vis de l’expansionnisme iranien, selon George Gause, expert spécialiste du Golfe.
La « bromance » entre MBS et MBZ a non seulement provoqué des ondes de choc à travers la péninsule, mais elle a également cimenté une relation bilatérale fondée sur des intérêts mutuels, des valeurs mutuelles et, avant toute chose, des discours mutuels
En tant que puissance hégémonique régionale sur les rives occidentales du Golfe, le royaume d’al-Saoud dominait les cinq autres petits États, dont certains venaient tout juste d’être libérés de l’Angleterre.
L’équilibre des pouvoirs au sein du CCG a commencé à changer à la fin des années 1980 et de façon plus apparente dans les années 1990, lorsque les Émirats et le Qatar sont entrés dans une phase d’hyperdéveloppement économique, social et politique.
Des discours alternatifs
La libéralisation économique, alimentée par l’augmentation du prix des hydrocarbures, a facilité la libéralisation sociale, ce qui a permis aux deux petits pays de surpasser rapidement l’Arabie saoudite qui, malgré son immense richesse pétrolière, n’avait, à l’approche du XXIe siècle, jamais été en mesure de réformer son État rentier défaillant.
Doha et Abou Dabi ont surgi de l’ombre saoudienne, présentant deux discours de réforme alternatifs. Aux Émirats, un jeune et ambitieux prince, Mohammed ben Zayed, jetait les bases de ce que le secrétaire américain à la Défense James Mattis allait appeler plus tard la « petite Sparte » – un État fortement centralisé et militairement puissant basé sur la laïcité et l’autoritarisme politique.
De l’autre côté de la baie, au Qatar, le prince héritier puis émir Hamad ben Khalifa a développé un modèle sociopolitique différent, basé sur le pluralisme sociopolitique et des libertés civiles relatives. Dans la poursuite de leurs ambitions, les deux petits États ont de plus en plus mis à mal la perception de puissance idéologique et politique hégémonique que les Saoudiens se faisaient d’eux-mêmes dans le Golfe.
Avançons jusqu’en 2011, l’année où le royaume a observé d’un œil féroce des vagues de protestation balayer le monde arabe, renverser des régimes et plonger les anciennes puissances de la région dans le désarroi.
Dans le même temps, le Qatar et les Émirats arabes unis se sont lancés dans une politique régionale de plus en plus conflictuelle en essayant de façonner les issues du Printemps arabe en fonction de leur discours respectif, à savoir le pluralisme sociopolitique vs. l’autoritarisme.
Sous le règne du défunt roi Abdallah, Riyad est resté un spectateur passif. Ce n’est que lorsque le roi Salmane a accédé au trône en 2015 que l’Arabie saoudite, de plus en plus mal en point, a commencé à se réveiller.
La « bromance » entre MBS et MBZ
Salmane a permis à son ambitieux fils MBS d’induire une transformation tectonique dans le royaume en essayant de propulser l’État médiéval dans l’ère post-hydrocarbures.
Le jeune prince a trouvé l’inspiration et un mentor au-delà des frontières du pays, non pas à Doha, mais à Abou Dabi, où un prince héritier presque omnipotent, Mohammed ben Zayed, a aperçu une chance de remodeler le royaume socialement, économiquement et politiquement arriéré à l’image des Émirats arabes unis.
La « bromance » entre MBS et MBZ a non seulement provoqué des ondes de choc à travers la péninsule, mais elle a également cimenté une relation bilatérale fondée sur des intérêts mutuels, des valeurs mutuelles et, avant toute chose, des discours mutuels.
Jusqu’à présent, la position intransigeante partagée par les Saoudiens et les Émiratis sur la sécurité régionale n’a été reprise que par l’État-vassal de l’Arabie saoudite, Bahreïn
MBS a adhéré à la vision entretenue par MBZ en matière de réforme : une libéralisation autoritaire, c’est-à-dire la construction d’un État solide et centralisé, capable de renverser sans consensus les normes sociales et politiques. Il en est résulté une vision commune pour le Moyen-Orient, qui privilégie le mythe de la stabilité autoritaire aux voix du Printemps arabe réclamant davantage de pluralisme sociopolitique et de libertés civiles.
Le jeune prince saoudien a pris le train en marche de la contre-révolution d’Abou Dabi, qui vise à restaurer l’ordre ancien où les autocrates autoritaires étaient capables de repousser à la fois les islamistes et les intermédiaires de l’Iran.
Une relique d’une époque révolue
Ce qui aurait pu être un partenariat entre protecteur et protégé dans les années 1980 s’est transformé en une relation d’égal à égal. Au sein de cette nouvelle réalité du Golfe, où les Saoudiens éprouvent des difficultés à maintenir leur rôle de primus inter pares, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite peuvent s’embarquer d’un commun accord dans des aventures de politique étrangère au Yémen, en Égypte ou en Libye.
Pendant ce temps, le Qatar a poursuivi son chemin vers l’émancipation vis-à-vis de Riyad en adoptant des discours allant à l’encontre de ceux qui prévalent en Arabie saoudite. Le Koweït et Oman ont développé leur propre relation avec Téhéran, provoquant souvent la gêne de l’Arabie saoudite.
D’autre part, Bahreïn, en raison de la quasi-défaillance de son État rentier, a vendu sa souveraineté au royaume en échange d’un sauvetage financier – lequel pourrait bientôt s’épuiser si la situation financière saoudienne ne s’améliore pas.
Par conséquent, le CCG s’est depuis longtemps éloigné de la cohésion et de l’unité. Jusqu’à présent, la position intransigeante partagée par les Saoudiens et les Émiratis sur la sécurité régionale n’a été reprise que par l’État-vassal de l’Arabie saoudite, Bahreïn.
Pour le royaume, le CCG ne remplit plus son objectif et apparaît comme une relique d’une époque révolue marquée par la domination saoudienne. Le groupe de six que l’Arabie saoudite envisageait de former autour d’un consensus dicté par elle-même s’est réduit à un groupe de deux et demi où Mohammed ben Zayed n’est plus un partenaire subalterne de l’Arabie saoudite.
Il est difficile d’imaginer que cette nouvelle alliance entre Abou Dabi et Riyad puisse créer un problème au Koweït, à Doha ou à Mascate, où de nouveaux accords et de nouvelles relations commerciales pourraient générer des résultats mutuellement bénéfiques sur la base d’une intégration plus consensuelle – ce qui pourrait s’avérer plus durable que la relation personnelle entre deux « visionnaires » impétueux.
– Andreas Krieg est professeur assistant au département d’études de la défense du King’s College de Londres et consultant spécialisé dans les risques stratégiques pour des clients gouvernementaux et commerciaux au Moyen-Orient. Il a récemment publié un livre intitulé Socio-Political Order and Security in the Arab World.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Abdallah ben Zayed al-Nahyane, ministre émirati des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (à droite), s’entretient avec le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Joubeir lors d’une conférence de presse conjointe en compagnie de leurs homologues égyptien et bahreïni à l’issue de leur rencontre, organisée le 5 juillet 2017 dans la capitale égyptienne, Le Caire, pour discuter de la crise diplomatique du Golfe avec le Qatar (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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