Le mal-être marocain.

Le mal-être marocain.

Vivre dans l’autoproclamé « plus beau pays du monde » et souffrir des pires tourments auto-infligés, voilà la réalité du quotidien des Marocains. Dire qu’on aime le pays et se partager entre ici et ailleurs, réellement et/ou virtuellement, voilà l’antagonisme dans lequel nous vivons. Battre sa coulpe est devenu l’activité préférée de nous autres, et surtout quand un drame survient, comme celui de la région d’Essaouira où 15 femmes sont mortes, et plusieurs autres blessées, dimanche 19 novembre.
La bousculade d’Essaouira
Les faits sont simples. Une association caritative entreprend de distribuer des aides alimentaires, mais par manque d’organisation du donateur et de discipline des victimes, et face à une forte dose d’irresponsabilité et d’imprévoyance de l’autorité locale, le drame survient et 15 personnes trépassent.
On a alors et aussitôt vite fait de crier à la famine, de multiplier les slogans ravageurs émis par des tempéraments ravagés, de fulminer contre le satellite, de vitupérer contre le TGV, de vociférer contre le makhzen, de pester contre les autoroutes dans le pays  et attester de la déroute du pays.
Les troubles d’al Hoceima
Un homme meurt dans des circonstances dramatiques et particulièrement indignes… Ecrasé dans une benne à ordures ! La population réagit, puis les manifestations font tâche d’huile. En cause, le sous-développement endémique de la région et l’incurie pathologique de certains responsables. Rien de plus, mais voilà qu’on commence à parler séparatisme, complot, makhzen, droits de l’Homme etc…
L’hécatombe routière permanente
Il ne se passe pas un mois sans qu’on entende parler d’une hécatombe ici et là, et il ne se passe pas un an sans qu’il n’y ait de drame national, avec des dizaines de morts, calcinés, broyés, asphyxiés...
Et on parle alors hogra, irresponsabilité de l’Etat qui ne fait rien, et qui, en ne faisant rien fait tout pour la survenue de ce genre de drames.
Mais à bien examiner les faits et leurs effets, on peut prendre la mesure de la responsabilité sociale des uns et des autres. Soit par manque d’encadrement politique pour al Hoceima, soit par manque d’organisation dans le cas d’Essaouira, soit par manque d’incivisme concernant les accidents de la route. Il est des moments où l’Etat ne saurait être responsable de tout.
Contestation dévoyée
Et la folie verbale jaillit sur les réseaux, remettant en cause et en question tout ce qui se fait, s’est fait, pourrait se faire et/ou devrait se faire au Maroc. L’émotionnel tient tout, partout, et le sentimentalisme de mauvais aloi fait le reste. Et pourtant, en plus du bon sens, la pauvreté voire la misère sont les choses les mieux partagées dans le monde. Alors pourquoi nous auto-flageller quand on apprend que des gens vont chercher de la farine… et pourquoi ne s’en offusque-t-on pas quand ce même type d’opérations se tient, sans mort d’homme. Et surtout pourquoi personne ne dit rien sur ces sacs de farine quand c’est le chef de l’Etat qui les remet à leurs bénéficiaires ?
En France, les Restos du Cœur sont passés de 30 à 100 millions de repas entre 2009 et 2011 et en 2016, plus de 300 personnes sont mortes de froid, dans les rues de Paris, de France et de Navarre… Aucun Français, pourtant, ne remet en cause les acquis économiques ou les investissements industriels de la République. En Espagne, les soupes et autres banques populaires sont de plus en plus submergées par la demande, et même la France, l’Allemagne et l’Italie se mobilisent pour nourrir les Espagnols démunis et un peu affamés. Et aucun Espagnol ne crie autre chose que « España ! ». Et en Italie, et au Royaume-Uni… partout les problèmes existent, en tous pays les fossés se creusent entre riches et pauvres, mais nulle part, les citoyens, les vrais, ne remettent en cause leur appartenance, leur loyauté, leur allégeance au pays qui est, malgré tout, le leur. Sauf au Maroc…
Récemment, un confrère a publié un long appel en faveur du Hirak, comportant nombre de vérités et de constats justes mais au final desservi par l’excès dans lequel il est tombé car on sait depuis Talleyrand que tout ce qui est excessif est insignifiant. De l’auto-flagellation, encore et toujours... Les Marocains ont cette regrettable propension à penser que leur pays est une quelconque république bananière, sans institution plausible ni sans contestation possible, où les gouvernants disputent l’ubuesque au burlesque.
Pourquoi rejeter TGV, infrastructures, Tanger-Med, satellite, qui sont des acquis, et ne pas canaliser toute son attention vers l’énergie positive consistant à réclamer des soins et de l’éducation en plus et en mieux, plus de création de valeur et une répartition des richesses plus équitable ?
Dans l’affaire d’Essaouira, l’Etat est certes responsable, mais non pas d’avoir acheté un train aérodynamique qui va vite et un gadget stratosphérique qui voit tout, ou encore d’avoir construit beaucoup de routes, en délaissant ses populations supposées affamées… l’Etat est responsable,  encore et toujours, de l’absence de système d’éducation, sinon les victimes de la bousculade ne se seraient pas bousculées, n’auraient pas afflué en masse à la première annonce d’une distribution gratuite et massive de vivres. 
Et une partie de l’opinion publique est, quant à elle, responsable de n’avoir en tête qu’à vilipender  sur les réseaux et en manifs – avec un certain talent, il faut le reconnaître –  le système politique, gouvernants et gouvernement confondus, en plus des ploutocrates.
Ce  n’est donc certainement pas en cassant ce qui a été fait, en contestant ce qui est en train de l’être, ou en rejetant ceux qui sont là que nous réussirons à nous dresser face à ce véritable, et double fléau : pas d’éducation nationale, ni de personnes semblant vraiment en capacité d’en créer une. 
Et là est la source de tous nos drames nationaux, quelle que soit leur déclinaison et le nombre de leurs victimes.
Par Aziz Boucetta.

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