Comment je suis devenue prostituée malgré moi au Koweït.
En 2013, Meryem, jeune diplômée marocaine à la recherche d'un emploi, quitte le Maroc pour un contrat de travail au Koweït.
La jeune Marrakchie de 27 ans se retrouve malgré elle otage d’un grand réseau de prostitution.
Durant ma dernière année de licence en économie à la faculté de Marrakech, j’ai compris qu’au Maroc, ce n’est pas ce genre de diplômes qui manque.
J’ai passé quelques stages à droite à gauche, et j’ai fini par me résoudre à l'idée que je ne trouverais pas de job dans mon pays.
Mais j'avais envie de travailler, toute ces années à étudier pour rien ?
Je me suis mise à chercher un boulot à l'étranger. Mais comme je ne maîtrise ni le français, ni l'anglais, je me voyais mal poursuivre ma vie en France ou aux Etats-Unis.
L'équation était très compliquée à résoudre, et de guerre lasse, j'ai fini par renoncer à l'idée de trouver un travail, que ce soit au Maroc ou ailleurs...
Jusqu’au jour où j’ai rencontré une dame dans un salon de coiffure. Elle avait la quarantaine, elle était élégante, très sympathique. Elle parlait de sa nièce partie sans diplôme au Koweït, où elle a décroché un bon boulot avec un très bon salaire. Je ne vous cache pas que ça m'a fait rêver. Je suis de nature timide mais dès que je l'ai entendue dire que c’est grâce à elle que sa nièce a obtenu ce job, je me suis précipitée pour me présenter et lui demander si elle pouvait faire quelque chose pour moi. C’est comme ça que j’ai connu Zahira…
Une bouée de secours
Quelques jours après cette rencontre, Zahira m’a appelée pour avoir de mes nouvelles. En réalité, elle voulait me rassurer quant au fait qu’elle n’avait pas oublié sa promesse et qu’elle était toujours en train de chercher un travail pour moi. Un mois plus tard, la bonne nouvelle tombe : un contrat de travail avec une société d’import-export en quête de jeunes diplômés. En fait, l'intitulé de mon poste n’était pas très clair.
Sur les documents, il était mentionné que j'étais “employée” dans la société X, sans aucune précision par rapport à ma mission. Mon père était très suspicieux. Tout ce qui comptait pour moi, c’était ces 500 dinars koweitiens (plus de 15000 dh) que je ne toucherais jamais au Maroc. Ce contrat était ma seule bouée de secours. Toute la famille a contribué pour payer le visa, mon billet d’avion et me fournir un pécule pour vivre le premier mois. Le tout a coûté 30000 dh.
Une fois arrivée au Koweït, je me rendais à la capitale qui porte le même nom que le pays. C'est là que j'étais censée travailler.
D'emblée, j'ai remarqué des choses bizarres. Alors qu'on m’avait promis un logement, je me suis retrouvée dans un petit appartement avec cinq autres filles, des Marocaines aussi.
Je n’avais pas une chambre comme convenu mais un simple lit d’une place, et un tiroir pour ranger mes affaires.
Mes colocs sortaient la nuit et ne reviennent qu'au petit matin. J’ai essayé de savoir ce qu’elles faisaient mais elles étaient très discrètes. Mon seul interlocuteur était le monsieur qui m’a récupérée à l’aéroport. Chaque fois que je lui demandais ce qui se passait, il me disait d’être patiente et d’attendre l’arrivée de ma supérieure. Ma supérieure? Qui cela pourrait bien être? Après plusieurs heures d'attente, j'ai rencontré la personne en question.
Zahira, toujours aussi fraîche et souriante, mais que venait-elle faire là? Je pensais qu'elle s'était contentée de transmettre mon CV mais son rôle ne s'arrêtait visiblement pas là. Je sais que j'aurais dû me méfier de sa présence mais étrangement, ça m’a rassurée de voir un visage familier. Zahira m’a demandé de me reposer pendant quelques jours, découvrir la ville, sortir et m’amuser avant de commencer le travail. Elle m'a expliqué que c’est elle qui s’occupait des nouvelles recrues jusqu’à ce qu’elles s’habituent au rythme du boulot.
Zahira m'a demandé mon passeport, "pour finaliser les procédures administratives" et a demandé à mes colocataires de s’occuper de moi...
On est sorties acheter des fringues, manger, se balader. Sur les 7 mois que j'ai passés dans le Golfe, c’était la meilleure semaine…
Un sort qui devient choix
Après ces quelques jours de vacances, Zahira m’appelle un soir pour m’annoncer que j'allais effectuer ma première journée de travail et qu'elle passerait le lendemain pour m'accompagner au bureau. Elle n’avait pas précisé l’heure. Le jour J, je me suis levée à 6h du matin mais ma supérieure n’a débarqué qu’à 15h.
J'ai passé ma journée à attendre, à tourner en rond, à me demander si elle n'avait pas changé d'avis… C’était la journée la plus longue de ma vie. Quand Zahira a fini par débarquer, elle m'a appris le plus naturellement du monde que nous travaillions le soir et que notre société ne disposait pas de locaux. En fait, j’ai découvert qu’il n y a même pas de société et que j'étais destinées à faire un tout autre travail que celui auquel je pensais: secrétaire, commerciale, que sais-je…
Avais-je le choix ? Je ne veux pas jouer la victime, mais ils avaient tous mes papiers d’identité, je n'avais aucun contact avec ma famille les premières semaines, personne pour me protéger. J'avais peur, tout simplement.
Les filles m’ont conseillée d’accepter le boulot parce qu’il s’agissait d’un réseau de prostitution maroco-koweitien très puissant. Les représailles pouvaient être terribles, ils pouvaient me détruire en un clin d’œil. J’étais jeune, terrorisée et naïve. Je pensais que je pourrais récupérer mes papiers en étant docile, mais j’avais tort...
La première fois que je suis sortie avec Zahira, elle m’a conduite dans une grande ferme isolée à la sortie de la ville. Il y avait tellement de filles et d’hommes que je me suis perdue dans la foule. Toutes les nationalités étaient là: des Arabes, Européens, Américains. La soirée était bien arrosée, la musique très forte. Des filles très belles, très jeunes, et très fausses aussi. C’était comme un concours de mannequinat, mais un peu spécial.
En fait, ce soir là, j’assistais à ‘’laazla’’ (le tri). Les clients assis sur leur canapé. Ils sélectionnaient les prostituées qui allaient passer la soirée avec eux parmi les femmes qui défilaient sur une sorte d’estrade.
Les autres filles étaient reconduites chez elles. Hélas pour moi, je faisais partie des "malheureuses" élues. Il faut dire que Zahira m'avait fait beaucoup de pub, et certains clients m'attendaient depuis plusieurs semaines. Je ne veux pas parler de cette nuit. Ce qui m’est arrivée était horrible. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il s'agissait d'un rapport sexuel non consenti, pour moi, d'une manière ou d'une autre, il s'agit d'un viol, car je n'avais pas le choix que de m'exécuter. Zahira est, grâce à moi, revenue avec une belle somme d’argent, l’équivalent de 20000 dh. Je n’ai eu droit qu’à des miettes.
Continuer ou rentrer ?
Les quatre premiers mois, j’étais sollicitée presque tous les soirs : avec des cheikhs, des princes, des gens très puissants… Certaines peuvent être attirées par ce faste, mais personnellement, je vivais un cauchemar. Je culpabilisais tout le temps. Un jour, ma proxénète m'a emmenée chez un chef de police. J’ai essayé de lui expliquer que je n’appartenais pas à ce monde, qu’on m’a arnaquée et que j’étais obligée de me laisser faire... C'est rentré par une oreille et ressorti par une autre. Tout ce qui intéressait ce gradé, c'était de prendre son pied. Les filles comme moi sont tellement nombreuses, la pratique tellement répandue dans ces pays, que la police se fout éperdument de ce qui leur arrivent.
Il m’est arrivée de considérer le suicide, surtout après avoir été agressée par des clients bourrés ou défoncés, mais je pensais toujours à ma famille qui n’était au courant de rien. Qui attendait mon retour avec impatience et qui a tout fait pour que j’obtienne ce contrat. C’est pour cette même raison que je n’ai jamais osé aller voir l’ambassade du Maroc ou la police pour me sauver et dénoncer ce réseau d’esclavage. Je savais qu’ils allaient me rapatrier.
J'avais trop honte de devoir revenir et d'expliquer tout ce que j'avais vécu. J'ai préféré vivre l'enfer que j'ai vécu.
Durant tout mon séjour au Koweït, j’étais privée de mes papiers d’identité.
Et à maintes reprises, j’étais privée de repas, interdite de sortir de la maison.
Après 6 mois passés au Koweït, j’ai rencontré un entrepreneur soudanais qui m’a beaucoup aidée. C’est lui qui m’a libérée de cette prison en me proposant de devenir sa femme de ménage. Un mois plus tard, j’ai décidé de rentrer au Maroc.
Aujourd’hui, tout ce que ma famille sait, c’est que la société pour laquelle je travaillais m’a licenciée, et tout ce que je veux c’est enterrer ce passé honteux et commencer un nouveau chapitre. Voilà quatre ans que je suis rentrée, je n'ai toujours pas de travail, mais je suis très bien au chômage.
Source : La Dépêche |
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