Un voile de confusion

La lettre politique.

Un voile de confusion. ...


La polémique récurrente – et pénible – sur le voile islamique, qui a rebondi une nouvelle fois avec l’apparition télévisuelle d’une responsable de l’Unef coiffée d’un hidjab, a donné lieu à l’habituel festival d’approximations.
On ne parle pas là de la honteuse floraison de tweets xénophobes qui accompagnent généralement ce genre de débat, qui mérite seulement condamnation sans phrases – ou procédure judiciaire. La polémique a été déclenchée par un message sarcastique de Laurent Bouvet, animateur du Printemps républicain, ce qui est tout différent. Bouvet relevait la contradiction qui existe, selon lui, entre les valeurs de l’Unef, organisation laïque et progressiste, et la désignation d’une porte-parole portant un signe religieux ostensible.

La question, après tout, peu se poser. Julien Dray, élu socialiste, ancien du syndicat et fondateur de SOS-Racisme, a rejoint Bouvet sur ce point même s’il ne partage pas, comme l’auteur de ces lignes, les positions du Printemps républicain.
Ces critiques du voile islamique oublient souvent de rappeler qu’il existe en France une liberté de conscience garantie par la laïcité dont ils se réclament et que le port de signes religieux dans l’espace public est parfaitement légal et légitime. Les promoteurs de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat avaient un temps envisagé de le restreindre ou de l’interdire ; ils y ont renoncé pour des raisons de principe et des considérations pratiques, la moindre n’étant pas qu’ils se voyaient mal demander à la police de verbaliser les prêtres en soutane et les religieuses portant – elles aussi – le voile (catholique). L’interdiction des signes religieux ostensibles – faut-il le rappeler ? – se limite à l’administration et aux salles de classe (elle ne concerne pas l’université, encore moins les plages ou les rues).
On peut trouver injuste ou mal venue la position de Bouvet. Mais on ne peut pas l’assimiler, comme le font un certain nombre de militants communautaires, à de «l’islamophobie». Outre l’ambiguïté du mot, qui finit, à force de confusion, par stigmatiser toute critique de l’islam, le Printemps républicain ne peut être amalgamé avec les positions de la droite identitaire ou de l’extrême droite, que l’organisation critique aussi. La question porte en fait sur la signification symbolique du voile. Un certain nombre de jeunes femmes en donnent une version émancipatrice et nient qu’il représenterait un signe de soumission de la femme. Elles se réclament d’un «féminisme musulman», formule quelque peu oxymorique, il faut bien le dire, quand on examine la situation de la femme dans la plupart des pays musulmans (qui ne sont pas les seuls dans ce domaine, précisons-le). Il n’y a pas de raison de douter de leur bonne foi ni de leur volonté de concilier valeurs religieuses et combat égalitaire.

Servitudes volontaires

Mais le voile n’est pas que cela, c’est le moins qu’on puisse dire. Sa diffusion dans les communautés musulmanes au fil des décennies correspond à la progression dangereuse du fondamentalisme religieux. S’il était vraiment un indice d’émancipation, il faudrait en déduire que les pays où il est le plus porté sont ceux où la condition de la femme est la meilleure : l’Arabie Saoudite, par exemple…
On voit à quelles absurdités mène cette contorsion rhétorique. Le voile, dans la grande majorité des cas à notre sens, traduit la «réislamisation par le bas» menée depuis des lustres par les courants de l’islam politique ou du fondamentalisme. Il est lié, pas toujours mais souvent, à un statut juridiquement inférieur conféré aux femmes dans les pays gagnés par ces conceptions rétrogrades de l’islam.

On dira que beaucoup de femmes le choisissent librement. Cela n’épuise pas la question : il y a des servitudes volontaires. La question de Bouvet et de Dray reste donc pertinente. On peut ensuite y répondre comme l’on veut.
Même confusion dans une autre affaire, celle qui concerne la chanteuse Mennel.
On a une nouvelle fois imputé à l’islamophobie son retrait de la compétition musicale The Voice organisée par TF1.
C’est moins simple qu’il n’y paraît. TF1 a diffusé les performances de la chanteuse sans se soucier du turban qu’elle portait, ni de sa religion, d’autant plus facilement que la jeune femme interprétait – avec un grand talent – une chanson très œcuménique de Leonard CohenHallelujah.
C’est seulement quand ont été connus les tweets complotistes de Mennel, mis en ligne au moment des attentats islamistes, que la chaîne s’est retrouvée embarrassée. On a dit que c’est l’apparence de Mennel – apparence musulmane, voulait-on dire – qui a motivé la recherche de ses interventions passées sur le web. C’est certain pour une partie des internautes concernés.

Mais ces enquêtes en ligne sur les personnalités sont loin d’être réservées aux musulmans, on le sait bien. Dès que quiconque apparaît sur la scène publique, il y a toujours des esprits curieux ou malsains pour fouiller dans son passé.
On peut contester l’attitude de la chaîne, qui a manifestement préféré se passer des services de la jeune chanteuse. Mais peut-on l’imputer à son «islamophobie» ?
Cela se discute, pour le moins.
A vrai dire, cette manie militante qui consiste à crier à tout propos au racisme pour disqualifier les opposants a quelque chose de mécanique et d’injuste.
A terme, elle risque même d’affaiblir l’antiracisme lui-même, qui se retrouve abaissé au rang de simple tactique rhétorique. Il mérite mieux que cela.

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