Emploi : Une bombe à retardement menace le Maroc, selon les chiffres du HCP
Le HCP tire la sonnette d’alarme face à une situation de plus en plus préoccupante.
CHÔMAGE - Le Maroc est assis sur une poudrière. C’est l’impression générale qui ressort de la présentation donnée ce 28 mars par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) concernant l’enquête nationale sur l’emploi (ENE). Une rencontre autour du sujet qui constitue une première pour le département de Lahlimi, qui se contentait jusqu’alors d’une publication sur son site.
De nouvelles dimensions intégrées à l’enquête du HCP
Cette dérogation à la règle est tout d’abord expliquée par les changements méthodologiques qui ont été opérés par les équipes du HCP pour leur enquête. Conscientes des changements démographiques, socio-économiques et environnementaux qui s’opèrent dans la société marocaine, ces dernières ont affiné leurs données en intégrant de nouvelles thématiques telles que le travail décent et la qualité de l’emploi, la relation entre les compétences de la main d’œuvre et les métiers exercés, l’accès des femmes au marché du travail ou encore la couverture des systèmes de retraites et de santé. Ces nouvelles variables ont été déclinées pour chaque région et se sont basées, dès 2017, sur un échantillon élargi de 60.000 à 90.000 ménages.
Mais ce qui justifie davantage cette rencontre est la gravité des résultats annoncés. “Nous ne sommes pas uniquement en train de présenter des indicateurs, nous sommes en train de tirer la sonnette d’alarme sur une situation de plus en plus problématique”, déplore Jamal Guennouni, chef de la division enquêtes sur l’emploi au HCP. Au-delà des simples chiffres sur le taux d’activité (qui a baissé à 46,7% en 2017) ou le nombre d’emploi créés par secteur (création nette de 86.000 postes dont uniquement 7.000 dans l’industrie et l’artisanat) qui ont déjà été présentés il y a quelques semaines, ce sont les nouvelles variables qualitatives qui font froid dans le dos.
10 millions de femmes inactives au Maroc
Au Maroc, vous avez de grandes chances d’être au chômage si vous êtes une femme, un jeune urbain ou si vous avez un diplôme d’enseignement supérieur. Ainsi, le taux de chômage chez les diplômés de niveau supérieur atteint 23,3%, il est de 14,7% chez les femmes (contre 8,8% chez les hommes) et près de la moitié (42,8%) des jeunes urbains âgés de 15 à 24 ans n’ont pas de boulot.
Statistique alarmante, plus de 10 millions de femmes sont en dehors du marché du travail ce qui représente près du tiers de la population marocaine. Le HCP a essayé de dresser un profil de cette catégorie. Il en ressort qu’elles sont femmes au foyer (76,6%), mariées (60,8%) et ne disposent d’aucun diplôme (63,5%). Questionnées sur la raison de leur inactivité, plus de la moitié (52,7%) avance le fait de “prendre soin des enfants ou du foyer” pour justifier leur absence du marché du travail, tandis que 17,9% avouent ne pas vouloir travailler. Seules 8% d’entre elles évoquent le refus de leur mari et celui du père ou d’un proche (3,6%) comme explication.
6 régions concentrent la quasi-totalité des chômeurs
Autre indicateur inquiétant, celui des Neets. Dans la force de l’âge, et pourtant totalement inactifs, les Neets représentent les jeunes âgés de 15 à 29 ans qui ne sont intégrés ni dans le circuit éducatif, ni dans celui de la formation ou de l’emploi. Ils sont près de 3 millions complètement désœuvrés dans l’ensemble du territoire national.
Au niveau régional, les disparités se creusent. En 2017, cinq régions uniquement sur les douze regroupent près des trois quarts de l’emploi. Pour le reste des régions, la part dans le volume global de l’emploi reste inférieure à celle dans la population totale. D’un autre côté, uniquement six régions abritent la quasi-totalité des chômeurs. La région de Casablanca-Settat vient en première position avec 25,1%.
Avoir un emploi ne protège pas de la précarité
Très difficile pour les inactifs, la situation n’est pas plus rose pour ceux qui sont arrivés à dégoter un travail. Car sans compter la faible progression de son volume, l’emploi créé est de faible qualité. En effet, plus de 58% des actifs occupés n’ont aucun diplôme et 27,9% ont un diplôme de niveau moyen. Cette faible qualification de la main d’œuvre induit une précarité de leur insertion dans le marché du travail. Ils sont donc plus de 1,79 millions d’actifs à ne percevoir aucune rémunération pour le travail qu’ils effectuent, ce qui représente 18,6% de l’ensemble de cette population.
Pire, même lorsqu’ils sont payés, près des deux tiers des salariés ne disposent pas de contrat qui formalise leur relation avec leur employeur, ce qui représente quand même une population de plus de 3,34 millions de personnes tandis que plus de 79% des actifs ne sont pas couverts par un système de retraite. Cela débouche sur un sentiment d’insatisfaction ressenti par près de 2 millions d’actifs occupés qui souhaitent quitter leur emploi, essentiellement en raison d’un niveau inadéquat de rémunération évoqué par 67,2% d’entre eux.
A noter que côté entrepreneuriat, les chiffres du HCP confirme la prépondérance des très petites entreprises (TPE) qui ne sont pas nécessairement structurées. Ainsi 98,2% des entrepreneurs gèrent des unités économiques de taille ne dépassant pas 5 employés et 3% seulement détiennent une comptabilité!
Guerre des chiffres: Lahlimi persiste et signe
“Les données concernant le marché de l’emploi ne peuvent avoir d’autres sources que le HCP.” C’est en ces termes que Ahmed Lahlimi, Haut-Commissaire au Plan a présenté sa vision, dans une réponse claire et sans embages, à Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie concernant la polémique ayant trait au nombre d’emploi créés par le secteur de l’Industrie.“Le calcul de la valeur ajoutée des différents secteurs et filières se fait selon des normes strictes et ne peut se baser sur les données financières des entreprises travaillant dans lesdits secteurs”, avertit Lahlimi. En complet désaccord avec la méthodologie adoptée par Elalamy, le patron du HCP a promis la tenue très prochainement d’une journée ouverte dans laquelle il apportera les éclairages et les corrections nécessaires.Cela ne l’a pas empêché d’exprimer ses doléances au chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, à qui il a fait part, lors d’une rencontre, du danger de telles déclarations officielles (faites par le département d’Elalamy) mais également des conséquences désastreuses dues à la rétention d’information. “Ne pas fournir au HCP certaines études selon la nomenclature en vigueur risque de perturber sévèrement la publication des calculs nationaux et régionaux au niveau national mais également international”, prévient Lahlimi.
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