GenZ212 : Quand la révolte perd son visage.

GenZ212 : Quand la révolte perd son visage.

Publié le 13 octobre 2025




Au commencement, il y avait la promesse. Celle d’une génération qui refusait la résignation, qui osait dire non au silence, non à l’attente, non à l’injustice tranquille. Une génération qui, d’une même voix, réclamait l’essentiel : une école qui émancipe, une santé qui soigne, un emploi qui libère, une justice qui protège. Rien d’extravagant, rien d’impossible, simplement ce qu’un pays doit à ses enfants. 

Ils s’appelaient GenZ212, et derrière ce nom résonnait un cri, pur, brut, incandescent, le cri d’une jeunesse qui voulait exister autrement, qui refusait d’être spectatrice de son propre avenir. Leur combat n’avait rien de subversif. Il touchait à l’évidence même et était au contraire le socle de tout contrat social : la dignité.

GenZ212 s’était levée avec l’élan du cœur et la clarté du bon sens. Ces jeunes avaient réveillé quelque chose, forcé les responsables à écouter, secoué une société qui s’habituait à ses fractures. Ils ont fait vaciller l’indifférence. Et cela, déjà, était une victoire. 

Ils ont réussi ce que nous autres journalistes ou du moins ceux qui ne renoncent pas à dénoncer et à alerter, avons échoué à faire : rappeler à certains ce qu’ils se devaient de faire. Sauf que les révoltes les plus pures sont aussi les plus fragiles. Et ce qui naît dans la lumière peut mourir dans l’ombre du virtuel. Car les causes s’éteignent quand elles cessent d’avoir un visage.

Aujourd’hui, sur les serveurs de Discord, la ferveur se dissout dans le brouhaha des pseudonymes. Derrière ces masques numériques, la colère se fait sarcasme, la réflexion devient rumeur, et la révolte se dilue dans un théâtre d’avatars. Sans parler de certains « faux modèles » connus par leur hostilité pour le Maroc qui s’improvisent donneurs de leçons. Le problème n’est pas la jeunesse, il ne l’a jamais été d’ailleurs. 

Le problème, c’est la fuite du réel. Comment construire une parole politique crédible quand on refuse de montrer son visage ? Depuis quand milite-t-on à visage couvert pour une cause juste ? Depuis quand la revendication citoyenne se cache-t-elle derrière un alias ? 
Les luttes qui ont marqué l’histoire avaient des visages, des regards, des voix tremblantes mais vraies.

Et voilà que GenZ212, à mesure qu’elle grandit, s’égare. 
Ce qui devait être une quête de justice sociale devient, peu à peu, un terrain politique glissant. 
Dans leurs forums, on questionne désormais la nature même du régime, on évoque la « monarchie parlementaire » comme un slogan importé, sans mémoire ni mesure. 

Comment des jeunes, pleins de fougue mais dépourvus de formation politique, de repères historiques et d’expérience institutionnelle, peuvent-ils s’improviser en réformateurs du système et en justiciers du Royaume du jour au lendemain ? 
Et surtout comment prétendre parler au nom du peuple tout en s’autorisant à parler du Roi, symbole d’unité, pilier de l’État, comme d’un acteur parmi d’autres, sans comprendre ce que cette parole efface ?

Ce glissement n’est pas anodin. Il soulève des doutes légitimes sur les véritables initiateurs du mouvement. Qui inspire ce discours et cette orientation ? Qui souffle ces idées ? Le mouvement obéit-il encore à sa logique citoyenne, ou devient-il la caisse de résonance d’autres ambitions ? La question n’est pas de condamner, mais de comprendre. Car ces jeunes sont le miroir d’un malaise, celui d’une génération connectée, éduquée, mais orpheline de repères. Ils sont le miroir d’un vide. Le vide d’un encadrement politique défaillant, d’un horizon brouillé, d’une société qui n’a pas su transmettre. Ils ont la fougue, mais pas la boussole. Et dans ce vide, le virtuel fait illusion. Il donne la sensation de puissance sans le poids de la responsabilité. Et dans cet espace numérique sans hiérarchie, la parole peut vite devenir arme sans que celui qui la manie en mesure la portée.

Force est de rappeler qu’au fil de son histoire, le Maroc s’est bâti sur un principe de continuité. Une monarchie qui, depuis des siècles, est plus qu’un pouvoir, une colonne vertébrale, un repère identitaire et un facteur de stabilité. 
Elle a accompagné les mutations économiques et sociales du pays, tout en incarnant la permanence de l’État. Cette continuité historique explique, en partie, la solidité du cadre institutionnel marocain à travers les crises régionales et les changements d’époque. 
Enracinée dans des siècles de légitimité religieuse, historique et symbolique, elle a servi de point d’ancrage à l’identité nationale, reliant le passé au présent. Dans les moments de tension, elle a souvent joué un rôle d’arbitre et de garant de la stabilité, permettant au Maroc de traverser des périodes de mutation profonde sans se disloquer. Depuis des siècles, elle incarne le lien indéfectible entre le Trône et le peuple. C’est elle qui a donné au pays la stabilité nécessaire pour engager des réformes, accueillir la modernité, sans renier son identité. Cette permanence n’a pas figé le pays ; au contraire, elle a souvent accompagné les grandes transitions sociales et économiques, servant de cadre à des réformes parfois audacieuses.

Remettre, aujourd’hui, en cause les fondations d’une nation sans en connaître l’histoire, ce n’est pas de la rébellion éclairée, c’est de la naïveté politique. Le changement ne se décrète pas derrière un écran. Il se forge dans la durée, à la sueur du réel, avec la connaissance, le respect et le courage. La critique n’a de valeur que si elle s’enracine dans la compréhension du pays qu’elle prétend servir. Et le réel, au Maroc, est implacable : la monarchie est le rempart et le garant de la stabilité, de la cohésion et du progrès.

Que la jeunesse s’intéresse à la chose publique, qu’elle débatte, qu’elle rêve d’un Maroc meilleur, c’est une promesse magnifique. Mais croire que le pays commence avec GenZ212, c’est oublier que d’autres avant eux ont porté la flamme. Ce serait une arrogance dangereuse de penser que l’Histoire les attendait pour se mettre à exister. Où est passée la mémoire de ces militants, de ces enseignants, de ces syndicalistes, de ces penseurs, de ces artistes, de ces femmes et de ces hommes qui, dans l’ombre, ont bâti ce Maroc que nous habitons aujourd’hui ? Chaque génération a ses combats, certes, mais aucune n’a le monopole du courage ni de la conscience. Croire que l’on inaugure l’Histoire, c’est déjà risquer de s’enflammer dans sa prétention abusive. On ne bâtit pas un pays en effaçant ce qui le soutient. On le renforce en comprenant la force de ses racines.

Le Maroc a besoin d’une jeunesse critique, pas d’une jeunesse déconnectée de son héritage. Il a besoin d’énergie, oui, mais aussi de maturité politique, de discernement, et de cet amour lucide du pays qui empêche de confondre radicalité et destruction. Ces jeunes ont besoin d’être formés. Mais qui les forme aujourd’hui ? Les partis politiques, jadis pépinières d’idées et d’idéaux, ont déserté leur mission. Ils ont troqué le débat pour la communication, la conviction pour le calcul, le civisme pour le cynisme. Ils ne pensent plus à la Nation, ils pensent à l’échéance électorale, au tweet du jour, au buzz du moment. Ce vide qu’ils laissent, les réseaux sociaux s’en emparent. Et dans ce vide, tout devient possible, le meilleur comme le pire. C’est là que les passions remplacent la raison, que les slogans étouffent la pensée, que le désordre s’installe en maître.

Malheureusement, un danger plus subtil et plus redoutable guette encore GenZ212 c’est la récupération. 
Car tout mouvement sincère attire inévitablement, dans son sillage, les manœuvres des calculateurs et des voix qui n’ont rien de désintéressé. Certains cherchent à capter cette énergie neuve, à détourner cette colère juste, à l’instrumentaliser pour des desseins qui n’ont rien à voir avec l’intérêt du pays et à la transformer en levier pour des agendas qui la dépassent. Bien entendu, quand la parole d’un mouvement échappe à ceux qui l’ont initié, quand d’autres, visibles, organisés, aguerris, s’en emparent pour servir leurs propres intérêts, alors le combat perd son âme, et la cause sa légitimité.

Le Maroc, notre Maroc, lui, a besoin de cette jeunesse, de son souffle, de son exigence, de sa colère même. Mais il a besoin d’une colère éclairée, pas d’une révolte aveugle. D’une jeunesse connectée au réel, pas noyée dans l’illusion du virtuel. Car on ne change pas un pays depuis un pseudo. On ne construit pas l’avenir d’un pays en défiant les institutions qui en garantissent la stabilité. Et puisqu’on en parle, si demain le gouvernement décidait d’écouter cette jeunesse, à qui parlerait-il ? À des pseudonymes ? À Piw Piw ? À Ghost ? À Trump ou à Anarchy ? À des ombres derrière des écrans ? Le Maroc ne dialogue pas avec des avatars. Il dialogue avec des citoyens debout, visibles, responsables, ancrés dans la terre qui les a vus naître.

À coup sûr, GenZ212 est un miroir tendu à la société tout entière, il reflète les blessures, les espoirs, mais aussi les égarements d’une génération en quête de repères. Elle veut comprendre, participer, agir mais qu’elle prenne garde à ne pas se perdre dans l’illusion du radicalisme numérique. Les causes justes méritent mieux que des pseudos. Le Maroc n’a pas besoin de spectres qui crient fort, il a besoin de citoyens qui se tiennent droit, dans la lumière. 
Le Maroc de demain ne naîtra ni de la colère seule, ni de la nostalgie. Il naîtra du dialogue entre ceux qui ont bâti et ceux qui veulent restaurer autrement … mais à visage découvert.

Car cette génération, aussi brillante qu’impulsive, semble parfois préférer la facilité du virtuel à la rigueur du réel. On s’indigne derrière un écran, on s’enflamme à coups d’emojis et puis ? Que reste-t-il quand la page se ferme ? Le Maroc ne changera pas à coups de clics. 
Il changera quand ces jeunes descendront de leurs serveurs pour habiter le monde, le vrai : l’école, l’entreprise, la cité, la vie civique. 
Il changera quand ils iront voter, massivement, lucidement. Il changera quand ils créeront de vrais débats, loin des slogans et des manœuvres de ceux qui cherchent à les instrumentaliser.

Nous sommes d’accord que le Maroc souffre. Les inégalités sociales et régionales y sont fracassantes. L’école crie son malaise, la santé s’essouffle, et tant de jeunes, diplômés ou non, errent dans l’attente d’un emploi qui ne vient pas. Ce constat, nul ne le nie. Le Roi lui-même, dans ses discours, n’a cessé d’en pointer les failles, d’appeler à une refonte courageuse, à une justice sociale réelle, à une gouvernance efficace et responsable. Le diagnostic est connu mais ce qu’il faut désormais, c’est le remède. Et ce remède ne viendra ni de la colère brute ni des hashtags enflammés. Il viendra d’un projet, d’une alternative, d’une vraie vision.

Oui, GenZ212 pose une question essentielle, celle de la confiance entre l’État et sa jeunesse. Une jeunesse instruite, connectée, éveillée, mais désabusée. Elle ne croit plus à certaines institutions, parce qu’elles ont trop souvent manqué de parole. Elle ne croit plus à la politique, parce qu’elle a vu la parole se dissoudre dans l’opportunisme. 
Elle ne croit plus à la justice sociale, parce qu’elle vit l’injustice chaque jour. Et c’est ce désenchantement profond qui alimente aujourd’hui la colère, une colère légitime, mais désorientée.

De fait, que notre jeunesse sache que la colère sans cap n’est qu’un feu qui se consume lui-même. Un pays se bâtit dans la durée, dans la vérité du terrain, dans la patience de l’action. Il se construit par ceux qui osent descendre dans l’arène, qui affrontent les contradictions, qui proposent et qui persévèrent. Pas de ceux qui cassent et qui menacent. 
Qu’elle sache qu’une génération s’élève toujours sur les épaules de celle qui la précède. Encore faut-il qu’elle reconnaisse la hauteur de cet héritage et qu’elle ait le courage de l’amplifier, non de le détruire.

Alors oui, le courage, ce n’est pas de brûler les symboles. Le courage, c’est de les comprendre, de les réinventer avec intelligence, loyauté et foi dans l’avenir. 
Le courage, c’est de transformer la colère en vision, l’indignation en projet, l’espérance en action. Le Maroc n’a pas besoin d’avatars qui s’agitent dans la pénombre du virtuel. 
Il a besoin de bâtisseurs qui s’avancent dans la lumière. De jeunes qui pensent, qui créent, qui osent.

De citoyens réels, porteurs d’une conscience et d’une responsabilité. Le Maroc de demain n’attend pas des spectateurs, il attend des acteurs, des âmes courageuses, capables d’aimer leur pays assez fort pour le changer sans le trahir.

Par Souad Mekkaoui





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