Peut-on classer les plus riches Marocains ?
Une évaluation de la richesse des Marocains est-elle possible ? Les rémunérations des grands dirigeants marocains sont-elles connues? Par ailleurs, qu'en est-il des Etats-Unis et de l'Europe en termes d'obligation de publier les rémunérations des patrons? Enfin, peut-on dire que les classements des plus riches sont fiables? Eléments de réponse.
Les lois marocaines, muettes sur la rémunération des dirigeants
En matière de rémunération des dirigeants, la loi 17-95 relative à la Société anonyme (SA) et la loi relative aux Sociétés à responsabilité limitée (SARL) n’évoluent pas et n’apportent aucun changement permettant une plus grande transparence au niveau du mode de rétribution de leur fonction, à l’instar de ce qui se passe aux Etats-Unis ou en Europe.
En effet, au Maroc, il n’existe pas des statistiques ou des chiffres précis sur ce sujet, ni une obligation de les rendre publics sauf dans un seul cas: à l’occasion des opérations d’appel public à l’épargne, l'Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) oblige les sociétés cotées à mentionner dans les notes d'information le montant global des rémunérations des principaux dirigeants. Il est à noter que l'information relative à la rémunération individuelle de chacun des dirigeants n'est pas fournie.
Une obligation de transparence supplémentaire aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, Securities and Exchange Commission (SEC) avait adopté, en 2015, une disposition appelée «pay for performance», qui demande aux entreprises de rendre publiques l’ensemble des rémunérations(salaires, distributions d’actions gratuites, stock-options, bonus) des cadres dirigeants pour les cinq années préécdentes (trois années pour les sociétés de petite taille).
Les données font ensuite l’objet d’une comparaison avec le retour sur investissement des actionnaires sur la même période, c’est-à-dire l’évolution en pourcentage du prix de l’action de la société en question. Ce retour sur investissement sera comparé à celui constaté dans des entreprises de taille similaire et appartenant au même secteur d’activité.
Ce suivi de l’évolution des rémunérations par rapport aux performances doit être publié chaque année et faire l’objet d’un vote en assemblée générale.
De plus, l’administration américaine vient d'appliquer, à partir de 2017, une nouvelle obligation de transparence à ce sujet: l’obligation des sociétés de révéler dans leur rapport annuel le ratio entre le salaire des dirigeants et le revenu médian des employés.
France: La loi sur les nouvelles régulations économiques (2001)
S’agissant de l’Europe, nous prenons à titre d’exemple le cas de la France qui oblige les entreprises, essentiellement à travers la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001, à publier dans le rapport annuel le montant des rémunérations des mandataires sociaux. En 2005, la disposition a été complétée par l'obligation d'en indiquer la composition (part du salaire fixe, des stocks options, des bonus…). Ensuite, la loi Breton (2005) a renforcé l'obligation de transparence, puis la loi TEPA (2007) a établi un lien entre l'attribution d'indemnités de départ et les critères de performance.
Ainsi, chaque année, le rapport de gestion, présenté à l'assemblée générale,doit rendre compte de la rémunération totale et des avantages de toute nature versés durant l'exercice social à chaque mandataire social.
Sont notamment visés les salaires, les jetons de présence, les compléments de retraite, et les sommes proportionnelles au chiffre d'affaires.
Il est à noter que cette information doit être individuelle et nominative.
Toutefois, notons que l'établissement du rapport annuel détaillant le montant des rémunérations de chaque mandataire social n'est obligatoire que dans les sociétés cotées ou non cotées mais contrôlées par une société cotée, selon la loi de Sécurité Financière du 1er août 2003 qui revient sur l'obligation imposée par la loi NRE, applicable aux SA.
Les classements des plus riches sont-ils fiables?
Ainsi, il est clair que la disponibilité de ce type d’informations permet la réalisation d’un classement assez transparent des personnes les plus riches et puissantes, notamment pour le cas des Etats-Unis, par exemple, où toutes les informations concernant les rémunérations des patrons sont publiques.
Dans ce sens, le magazine international, Forbes publie régulièrement divers classements sous la forme de «listes Forbes» qui sont souvent considérées comme une référence pour la richesse et la puissance mondiales ou régionales. Des millions de personnes se réfèrent à ces listes et s'appuient sur les informations fournies par le magazine.
Selon Forbes, l’établissement de la liste des plus riches se base sur des rencontres avec les candidats et leurs gestionnaires. Leurs employés, leurs rivaux, leurs avocats et leurs analystes financiers sont également interrogés.
Le magazine explique que pour estimer la valeur nette du patrimoine des milliardaires, il s’agit de valoriser les actifs des particuliers, y compris les participations dans des sociétés publiques et privées, l'immobilier, les yachts, l'art et la trésorerie, ainsi que la comptabilisation de la dette.
De ce fait, il est clair que le magazine Forbes n’a accès qu’à une information publique obligatoire et pléthorique. Puis confirme les chiffres avec les milliardaires et d'autres sources. Le classement est relativement fiable s’il s’agit des Etats-Unis ou encore de l'Europe. Il en va autrement du Maroc où aucune information de ce genre n’est disponible et où le marché est trop petit pour justifier le déplacement des équipes de choc de Forbes.
Culturellement, une partie des riches marocains préfère la discrétion, pour ne pas dire le secret. Pour vivre heureux, vivons cachés. Etre riche n'est pas forcément bien vu. Quand c'est le cas, on ne l'étale pas. Ou pas trop. Un entrepreneur marocain très connu pour sa verve et sa réussite nous déclarait récemment: "le Maroc se portera mieux lorsque le fait d'être riche sera valorisé et lorsque les riches ne se cacheront plus s'ils n'ont rien à se reprocher". Pour le moment, le niveau des inégalités sociales ne le permet pas vraiment.
Dans le cas inverse, beaucoup aimeraient gonfler leur patrimoine pour figurer sur la liste de Forbes, pas forcément au Maroc. Après tout, apparaître sur la liste Forbes donne de la crédibilité, rend solvable. On l'a vu avec Al Amoudi, classé deuxième fortune arabe par Forbes ce qui l'a beaucoup aidé pour racheter la Samir à crédit, sans jamais la recapitaliser.
Même pour le cas de la France, qui est un pays plus régulé que le Maroc, le classement des 500 premières fortunes établi par ‘Challenges’ et celui réalisé par ‘Capital’ ne donnent pas les même résultats. Ceci est expliqué par la différence de méthode de calcul de chacun d’entre eux.
Relayé par le journal "le monde", Capital explique : "En fouillant les centaines de documents comptables des multiples sociétés des riches, nous avons exhumé des participations cachées qui accroissent leur patrimoine, mais aussi beaucoup de dettes qui le diminuent."
De son côté, Challenges explique : "Depuis 18 ans, nous avons décidé de ne pas intégrer les dettes dans le calcul des fortunes, pour la simple et bonne raison qu'on ne peut pas traiter les 500 classés de la même façon. Certains groupes, comme Chanel, ne publient en effet pas leurs chiffres d'affaires, ce qui rend impossible de connaître avec certitude leurs dettes".
Enfin, il faut dire que les différents classements sont à relativiser. Il ne s’agit pas de remettre en question la richesse d’une personne figurant dans le classement mais des personnes riches absentes sur les listes peuvent exister. Cela risque d’arriver même pour des pays transparents ayant une forte réglementation tels que les Etats-Unis ou certains pays d'Europe, reste à savoir pour le cas du Maroc où aucune information n’est publique.
Rappelons que, pour le cas du Maroc, le classement real time (mardi 16 janvier 2018) de Forbes a placé Aziz Akhannouch, patron du Groupe Akwa et actuel ministre de l'Agriculture et de la Pêche, au premier rang comme étant l'homme le plus riche. Sa richesse estimée par Forbes s'élève à 2,1 milliards de dollars. Celui-ci a gagné 600 millions de dollars en comparaison avec le dernier classement de Forbes réalisé en mars 2017.
Aziz Akhannouch est suivi par Othmane Benjelloun, Président du groupe FinanceCom dont la fortune est évaluée à 1,7 milliards de dollars contre 1,9 milliards de dollars estimée en mars 2017.
Il faut également rappeler par ailleurs que cette liste des hommes les plus riches au monde établie par Forbes laisse apparaitre Mohammed Al Amoudi, principal actionnaire de la Samir qui a été arrêté récemment en Arabie Saoudite.
Source: Forbes
Il est à noter que Médias24/LeBoursier a eu plusieurs échanges par mail avec Forbes concernant la méthodologie du classement appliquée pour les Marocains. La réponse était: "nous rassemblons des informations sur les plus grands actionnaires et propriétaires d'entreprises privées du pays, puis nous appliquons notre méthodologie". Malgré notre insistance, ils n'ont pas confirmé avec précision que les données rassemblées par leurs soins, faisaient réellement l'object d'un recoupement auprès des intéressés, de leurs avocats ou de leurs entreprises ni que des équipes se déplaçaient pour les rencontrer.
Il est probable que les classements marocains ou dans les pays similaires au Royaume, sont effectués en partant de la capitalisation boursière puis d'une recherche documentaire sur le périmètre de propriété à travers des outils connus comme Inforisk.