Ouahbi : « La corruption ne se voit pas à l’œil nu, que celui qui l’a vue vienne me poser du rouge à lèvres !» ...



Ouahbi : « La corruption ne se voit pas à l’œil nu, que celui qui l’a vue vienne me poser du rouge à lèvres !» ...

Publié le 23 novembre, 2025

e ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi (D) et le président de la Commission de Justice à la Chambre des représentants, Saïd Baaziz, lors d'une réunion de la commission, le 12 novembre 2025 © DR

Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a exprimé mercredi à la Chambre des représentants sa frustration face à l’inefficacité des lois anti-corruption et aux obstacles rencontrés dans leur mise en œuvre.

Intervenant devant la Commission de la justice et de la législation, Ouahbi a défendu le retrait du projet de loi sur l’enrichissement illicite, jugeant que son application risquait de générer des plaintes abusives et des poursuites arbitraires contre les fonctionnaires.

Lors de cette réunion consacrée à l’examen du budget de son département pour 2026, il est revenu sur les difficultés de mise en œuvre de la lutte contre la corruption, qui devait, de son point de vue, s’appuyer sur un travail institutionnel rigoureux.

« La corruption ne se voit pas à l’œil nu ».

« La corruption ne se voit pas à l’œil nu. La combattre ne se fait pas à coups de slogans, mais par des institutions solides et des procédures claires », a déclaré le ministre, soulignant les dérives possibles d’un texte trop répressif et les risques d’atteinte à la présomption d’innocence.

Le ministre a rappelé qu’environ 800.000 fonctionnaires travaillent dans l’administration publique, avant d’illustrer les dérives possibles d’un texte trop répressif. « Si un citoyen n’obtient pas un simple acte de naissance, il peut, par vengeance, déposer une plainte auprès du parquet en accusant le fonctionnaire d’avoir demandé un pot-de-vin. Ce dernier se retrouvera convoqué jour et nuit par la police, sans garantie de protection, qu’il soit coupable ou non », a-t-il illustré.

Des risques de dérives judiciaires.

Ouahbi a estimé que le projet de loi dans sa forme initiale aurait pu vider de son sens la présomption d’innocence, principe fondamental du droit marocain. « Il suffit qu’une plainte soit déposée pour que le fonctionnaire soit entendu par la police judiciaire, régionale ou la Brigade nationale (BNPJ), comme s’il était déjà coupable. »

Evoquant certains rapports faisant état de 50 milliards de dirhams de pertes dues à la corruption, le ministre a confié avoir reçu la personne qui avançait ce chiffre. « Je lui ai demandé de me désigner précisément les lieux de corruption, afin que je dépose moi-même plainte au nom du ministère. Il n’a pas pu fournir la moindre preuve », a-t-il regretté.
« La lutte contre la corruption ne se fait pas avec des slogans »

Dans ce sillage, Ouahbi est revenu sur l’expérience du gouvernement Benkirane I (2011), qui faisait, selon lui, de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. « Nous avons déjà entendu ces slogans en 2011 avec Abdelilah Benkirane, avant qu’il ne déclare lui-même » Que Dieu pardonne ce qui s’est passé », faute d’avoir pu affronter la corruption sur le terrain », a-t-il lancé non sans ironie.

Et de poursuivre: « C’est facile de dire « Luttons contre la corruption »! Mais si quelqu’un parmi vous l’a vraiment vue, qu’il vienne me poser du rouge à lèvres (expression populaire signifiant un appel à se mesurer ou un défi, ndlr)! La corruption, elle, ne se voit pas à l’œil nu.»

Pour une approche institutionnelle, pas populiste.

Le ministre de la Justice a conclu en soulignant que la lutte contre la corruption devait s’appuyer sur un travail institutionnel rigoureux, fondé sur des mécanismes précis d’enquête et de reddition des comptes, plutôt que sur des accusations généralisées susceptibles de nuire à l’image de l’administration et du système judiciaire.

Il a dénoncé, par ailleurs, la lenteur administrative et la bureaucratie paralysante qui freinent, selon lui, la mise en œuvre des réformes promises. 
Et de confier, non sans amertume: « Parfois, j’en arrive à un tel point de désespoir que je pense à partir. »

« Le ministre est un orphelin à la table des puissants. Au début, on arrive avec enthousiasme pour changer les choses, puis un simple fonctionnaire vous dit non. 
Que puis-je faire ? Me suicider? », a-t-il lancé, visiblement amer.

Des réformes bloquées et des compromis douloureux

Abdellatif Ouahbi est revenu sur les retards répétés du projet de loi sur les peines alternatives, évoquant trois passages en Conseil du gouvernement avant son adoption : « Après un combat acharné, le texte a fini par sortir, mais sa mise en œuvre a été confiée à l’administration pénitentiaire. »

Autre exemple de ses frustrations : la gestion du bracelet électronique, qu’il souhaitait rattacher au Ministère public. « Ce n’est pas logique qu’on doive emmener une personne au tribunal puis en prison juste pour lui mettre le bracelet avant de la relâcher », a-t-il critiqué.

« Akhannouch est plus conservateur que l’Istiqlal »

Sur un ton à la fois ironique et critique, Ouahbi a estimé que le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch adopte une posture plus conservatrice que celle du parti de l’Istiqlal, pourtant connu pour être le parti conservateur par excellence du Royaume.
« Même s’il est riche, cela ne fait pas de lui un moderniste. Sa culture, ses convictions et son éducation le rendent profondément conservateur. Il faut de longues discussions pour le convaincre », a-t-il lâché.

Malgré ses frustrations, Abdellatif Ouahbi a affirmé vouloir poursuivre ses réformes tant que les conditions le permettront. 
Son intervention, marquée par une rare franchise politique, met en lumière les tensions internes dans le gouvernement Akhannouch et les limites du processus décisionnel dans les grandes réformes judiciaires.

Par Marouane Tabet.

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