Moulay Hicham réagit à l’affaire Khashoggi : « Mohammed Ben Salman a violé toutes les lois »

Moulay Hicham réagit à l’affaire Khashoggi : « Mohammed Ben Salman a violé toutes les lois ».


Moulay Hicham réagit à l’affaire Khashoggi : « Mohammed Ben Salman a violé toutes les lois »

Dans un long entretien avec le quotidien « Al-Qods Al-Arabi » consacré à l’affaire de la disparition du journaliste Jamal Khashoggi et ses répercussions sur la scène internationale, le prince marocain est revenu, sans langue de bois, sur cette polémique qui secoue la pétromonarchie depuis le début du mois.

Depuis la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, Moulay Hicham est bien le seul prince du monde arabe à parler ouvertement de l’affaire et ce, malgré ses relations étroites avec la famille royale saoudienne. Depuis que ce scandale a éclaté, celui qu’on surnomme « le prince rouge » n’a pas hésité à publier plusieurs écrits sur les réseaux sociaux pour demander aux Saoudiens de traiter l’affaire avec transparence, qualifiant par la même occasion cet assassinat de « brutal ».

Une pression internationale inattendue.

Dans une interview accordée mercredi 24 octobre au quotidien « Al-Qods Al-Arabi », Moulay Hicham est longuement revenu sur la disparition de l’éditorialiste et des développements de cette affaire à l’international. « Le régime saoudien fait face à une grande pression internationale qu’il n’a jamais envisagée et qui dépasse celle exercée à propos de sa guerre au Yémen », analyse le prince marocain. « Ce qui fait la force de ce dossier, c’est que Jamal Khashoggi résidait aux États-Unis et qu’il s’agissait d’une voix réformiste défendant la liberté d’expression et adoptée par une grande institution médiatique qui est The Washington Post. Vient ensuite la façon hideuse dont il a été tué, ce qui a poussé les élites politiques et médiatiques américaines et européennes à exiger d’abord des éclaircissements et ensuite que les auteurs et commanditaires du crime ne bénéficient d’aucune impunité, surtout qu’il ne s’agit pas d’un crime secret dans un lieu obscur, mais d’un crime qui a été commis au sein d’un consulat, censé être un lieu de sécurité », a-t-il ajouté.

Concernant la position des Américains vis-à-vis de Riyad et de son prince hériter, Moulay Hicham est catégorique : « Oui, il y a une coopération entre l’administration Trump et l’Arabie saoudite pour tenter de sauver Mohammed Ben Salman de sa responsabilité dans ce dossier épineux. Mais ce processus est difficile car le crime est compliqué : Il s’est produit dans une représentation diplomatique et nécessitait une logistique énorme, des avions et de multiples équipes, notamment l’équipe chargée d’exécuter le crime, sans oublier l’implication du ministère saoudien des Affaires étrangères. Par conséquent, rien de tout cela ne peut se produire sans un feu vert clair de la haute hiérarchie du pouvoir, à savoir son sommet. Par ailleurs, les Turcs refusent de s’engager dans la stratégie du binôme Trump-Arabie Saoudite en organisant des fuites systématiques d’informations pertinentes sur le crime. Ainsi, ils sapent intelligemment tout récit américano-saoudien qui dissimulerait ce qui s’est passé ».

« Mohammed Ben Salman a violé toutes les lois »

À propos des autres aspects associés à ce dossier notamment l’ambiance au sein de la famille royale saoudienne, Moulay Hicham parle d’un climat tendu : « Il y a une grande tension au sein de la famille royale saoudienne parce que le prince héritier Mohamed Ben Salman a violé toutes les lois écrites et les traditions et coutumes établies. Après le siège imposé au Qatar et la mésaventure de l’hôtel Ritz Carlton, le royaume est en train de faire face à un crime odieux où le corps d’un citoyen paisible et désarmé a été découpé en morceaux. Des agissements contraires aux traditions de la religion islamique, aux traditions de la société saoudienne, et qui ont provoqué un sentiment d’horreur dans le pays où tout le monde craint un sort similaire ».
Par ailleurs, selon Moulay Hicham, les récentes tensions ne sont pas dues uniquement à l’assassinat de Jamal Khashoggi. « Une des raisons qui ont conduit à cette grave situation est que d’autres actes terribles ont été commis et tolérés à l’intérieur du royaume comme du Yémen sans que la communauté internationale ne s’en émeuve, malgré les pertes humaines. Lorsqu’il (Mohamed Ben Salman, NDLR) a décidé le siège du Qatar, Washington n’a pas réagi au début du conflit et a même semblé verser de l’huile sur le feu, ce qui a constitué un tournant grave dans les relations internationales. Plus tard, il a entamé l’arrestation des princes et hommes d’affaires au Ritz-Carlton, ce qui a été interprété comme une affaire purement interne au sein de la famille royale, mais ceux qui ont défendu cette thèse n’ont pas pris en compte la violation des règles de droit en général et en particulier le droit de ces citoyens à un procès équitable. Il a ensuite provoqué des crises avec la Suède, l’Allemagne et le Canada, sur fond d’appréciations de la situation des droits de l’Homme, mais toutes ces crises ont été plutôt dépassées que traitées convenablement. En réalité, le prince héritier saoudien croit détenir un blanc-seing de la part des États-Unis pour prendre seul les décisions qu’il veut et voilà l’aboutissement de cette situation qui culmine avec ce meurtre ».

Difficile d’écarter Mohammed Ben Salman du pouvoir.

Suite au meurtre de Jamal Khashoggi et de l’ampleur de la crise internationale dans laquelle s’est enfoncée l’Arabie Saoudite, plusieurs élites politiques et médiatiques mettent sur le tapis la nécessité d’écarter le sulfureux Mohammed Ben Salman du pouvoir. Mais il semblerait que cette option soit très compliquée dans la réalité. « J’écarte l’éventualité de l’existence en Arabie Saoudite d’une instance capable d’isoler ou d’écarter le prince Mohammed Ben Salman (…) », lance Moulay Hicham. « Personnellement, j’exclus qu’un organe ou une instance à l’intérieur de l’Arabie Saoudite puisse s’opposer au prince héritier car l’indépendance de la décision a été éliminée aussi bien au sein de l’armée que dans l’appareil d’État en général alors que l’instance de l’allégeance a été neutralisée depuis le règne du feu Roi Abdallah. On peut citer, peut-être, pour illustrer sa fragilité (de l’instance de l’allégeance, NDLR) que le prince Khalid Bin Talal, qui y représentait son père, est maintenu en détention depuis six mois sur ordre du prince héritier, tandis que d’autres membres de cette instance préfèrent le silence (…). 
En fait le prince héritier s’est employé à détruire l’ancien modèle des relations dans cette famille sans proposer un modèle alternatif réaliste et viable » déclare le prince marocain, avant de poursuivre : « Dans ce climat, le dernier mot revient au roi Salman lui-même. Je pense qu’il va tenter de reconstituer la confiance et réduire la tension née de cette affaire en encourageant des contre-pouvoirs et des mécanismes d’équilibre, mais il me semble que c’est déjà trop tard. 
N’oublions pas que la situation actuelle est elle-même le résultat de ce type d’arrangements fragiles et superficiels qui ont été adoptés par le passé ».
Si l’Arabie Saoudite affiche une volonté claire de s’extirper de la crise en usant de stratagèmes peu crédibles, il semblerait que la pétromonarchie souffrira longtemps de cette affaire où son prince héritier reste au centre de toutes les suspicions. « Même si l’Arabie saoudite réussit à contenir la crise, le crime pèsera lourdement sur l’image du prince héritier et sur le pays, ce qui augmente la probabilité d’un glissement vers des solutions violentes. 
D’autre part, la décision de sacrifier des hauts fonctionnaires et des officiers aura pour conséquence que les organes ne feront plus confiance au prince héritier, ce qui reste une question épineuse », conclut Moulay Hicham.

Par Bendriss Chahid

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