Sous la houlette de Washington, cette alliance serait destinée à protéger la région de la double menace de l’expansionnisme irano-chiite et du djihadisme de facture sunnite. Si le contenu du projet et ses contours demeurent incertains, l’“OTAN arabe” n’en constitue pas moins un révélateur.
Au vrai, il s’agit d’un serpent de mer. Sans remonter au “Pacte de Bagdad” (1955), rapidement vidé de sa substance, plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années. En 2011, les développements et contrecoups du Printemps arabe font resurgir l’idée d’une alliance couvrant le Moyen-Orient.
Les Etats-Unis et leurs alliés du Conseil de coopération du Golfe (CCG) mettent alors en place des groupes de travail. Le surgissement de l’Etat islamique pousse ensuite l’Arabie Saoudite à créer une coalition arabe et sunnite qui comprend une quarantaine d’Etats (2015).
Donald Trump change la donne
L’impéritie de nombreux dirigeants locaux, les contradictions entre les régimes arabes sunnites ainsi que les ambivalences de la politique américaine au Moyen-Orient expliquent l’échec de ces initiatives. En fait, l’Administration Obama privilégie la signature d’un accord sur le nucléaire iranien et se tient en retrait du conflit syrien. En travaillant à l’instauration d’un équilibre régional entre Riyad et Téhéran, elle cherche à prendre ses distances avec la géopolitique régionale, ce qui ruine les projets d’alliance arabo-sunnite.
En novembre 2016, l’élection de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis et la priorité qu’il accorde à la menace iranienne changent la donne. Lors de sa visite d’Etat à Riyad, en mai 2017, l’idée d’une “OTAN arabe” est abordée. Toutefois, la tentation isolationniste, la difficulté à élaborer une stratégie américaine cohérente en Syrie et dans la région ainsi que le conflit diplomatique entre le Qatar et ses voisins ont repoussé l’échéance. Depuis l’été dernier, la décision de fonder une alliance régionale est évoquée de manière récurrente.
Si elle était confirmée lors du sommet de la mi-octobre, une telle décision viendrait un peu plus de deux semaines avant la mise en œuvre d’un embargo pétrolier à l’encontre de Téhéran. Non sans raison, la volonté iranienne de dominer la région, depuis le golfe Arabo-Persique jusqu’à la Méditerranée, les agissements des Pasdarans et le programme balistique sont perçus comme constituant la menace majeure au Moyen-Orient, avec des répercussions dans l’ensemble de la “plus grande Méditerranée” et jusqu’en Europe.
Le régime irano-chiite est donc pointé du doigt, mais le djihadisme de facture sunnite est également mentionné. Enfin, il est probable que la percée russe au Moyen-Orient, via l’alliance avec Damas et Téhéran, et le jeu de go chinois dans la région soient pris en compte par les décideurs et stratèges américains.
Si le projet d’“OTAN arabe” n’est pas dépourvu de rationalité géopolitique, sa traduction concrète demeure hypothétique, l’état dans lequel se trouve le CCG n’étant pas de bon augure. Institué en 1981 afin de répondre aux menaces que la révolution islamique chiite faisait peser sur le détroit d’Ormuz, ce club de monarchies arabes sunnites et son prolongement militaire (le “Bouclier du Golfe”) n’ont pu être transformés en une véritable alliance. Qui pis est, les jeux troubles dont le Qatar est accusé et le blocus qui, depuis plus d’un an, en résulte donnent idée du peu de cohérence de cette structure.
L’axe MBS-MBZ
S’ils veulent surmonter les différences d’évaluation de la menace iranienne qui distingue les plus allants (Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Bahreïn) des “tièdes” (Koweït, Qatar, Oman), les Américains auront à s’investir activement dans une “OTAN arabe”, plus encore si elle est étendue à l’Egypte ainsi qu’à la Jordanie, qui ont leurs priorités. Un tel activisme permettrait d’y voir plus clair dans la ligne de force de la politique étrangère de Donald Trump. Redéploiement et engagement sélectif l’emporteraient sur la tentation isolationniste.
Par ailleurs, le caractère multilatéral d’une “OTAN arabe” ne réduira pas l’importance des liens bilatéraux. De prime abord, on songe à la vieille alliance américano-saoudite (le Pacte de Quincy, 1945). Toutefois, l’inertie de l’Arabie Saoudite et les aléas de la modernisation voulue par le prince héritier, Mohammed Ben Salman (MBS), ne sauraient être négligés. La sécurité régionale ne peut être sous-traitée à Riyad.
A l’inverse, la politique générale des Emirats arabes unis (EAU), leur engagement sur le double front de la lutte contre le régime irano-chiite et le djihadisme sunnite devraient être appréciés à leur juste valeur. Le régent, Mohammed Ben Zayed (MBZ) est l’un des rares dans la région à conduire une stratégie d’ensemble. Aussi les EAU constitueront-ils un point d’appui essentiel pour contrer les menaces régionales.
Enfin, le projet d’“OTAN arabe” rappelle l’importance du Moyen-Orient dans la géopolitique mondiale. Outre la détention des plus abondantes réserves mondiales d’hydrocarbures, extractibles à faible coût, la région constitue un espace pivot entre l’Europe et l’Asie, ciblé par les “nouvelles routes de la soie” de Pékin. Les enjeux de circulation sont majeurs.
Surtout, il convient de s’interroger sur la place du Moyen-Orient dans nos représentations, voire dans notre inconscient collectif. Le grand historien Pierre Chaunu voyait en cet espace le “nœud de toutes les aventures humaines”, et ce depuis l’époque du Croissant fertile, des villes de Sumer et Akkad, de l’épopée de Gilgamesh.
En d’autres termes, l’attraction exercée par cette région n’est pas le simple fait de contingences matérielles ou d’un orientalisme désuet: le Moyen-Orient demeure le nœud gordien du monde; il n’est pas possible de s’en détourner.
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