Quel avenir pour l’Algérie ?


Quel avenir pour l’Algérie ?


Plus de cinquante alliances et partis politiques et de nombreuses listes indépendantes s’affrontaient hier pour les élections municipales et régionales en Algérie. 

La pléthore de candidats contraste avec le désintérêt marqué des 41 millions d’Algériens pour la politique. 

Le pays est toujours dirigé par la vieille garde de l’indépendance alors que 55% de la population a moins de 30 ans.
Le régime n’a aucun intérêt à sortir de l’économie de rente

Omar Benderra, ancien président de banque publique en Algérie
L’Algérie souffre de la chute du prix du pétrole depuis 2014, passé durablement de quasiment 120 dollars à moins de 60 dollars le baril. L’embellie financière d’une dizaine d’années entre 2003 et 2013 a renforcé les compulsions à la rente de l’économie algérienne. Cette disponibilité de cash – mille milliards de dollars en un peu plus de douze ans – a renforcé la dépendance aux importations et aux exportations d’hydrocarbures.
Quand le prix du pétrole a chuté, tous les équilibres et l’apparence de prospérité ont disparu, révélant cette dépendance extrême où 95 % des produits consommés par les Algériens sont importés. Des projets d’infrastructure à l’utilité douteuse ont été lancés, en particulier l’autoroute est-ouest, sans doute l’investissement routier le plus cher de l’histoire de l’humanité.


Quand la rente se contracte, cette gabegie apparaît dans toute sa nudité. La population algérienne, tributaire de l’étranger pour sa consommation, compte aujourd’hui un peu plus de 40 millions d’habitants. Le régime tient grâce aux réserves de change, aujourd’hui peu plus de 100 milliards de dollars, contre 200 milliards en 2014. Ces réserves fondent au rythme d’une quarantaine de milliards de dollars d’importations par an. Quand elles seront à leur niveau d’étiage, l’Algérie aura du mal à financer ses importations de produits alimentaires. Tous les équilibres reposent sur les approvisionnements extérieurs. 
Ce qui s’annonce à l’horizon 2020-2021, si le marché pétrolier reste déprimé, est donc très inquiétant.

Le régime n’a engagé ni les réformes structurelles nécessaires, ni la construction d’une économie de production diversifiée car c’est contre sa nature. Ses dirigeants n’y ont aucun intérêt et bénéficient du soutien international. Le régime s’est construit autour de la captation de la rente, de la prévarication et de la corruption. Les militaires, policiers et affairistes au pouvoir s’enrichissent sur les exportations de pétrole, les dessous-de-table sur les contrats internationaux et les commissions occultes sur les marchés publics. Le gouvernement maintient les subventions des produits de base et réduit les importations, en dépréciant la monnaie et en faisant tourner la planche à billets, ce qui entraîne une hausse de l’inflation et du chômage et une baisse du pouvoir d’achat.
Le préalable politique aux réformes – la confiance de la majorité des acteurs, qu’il s’agisse des investisseurs privés, des syndicats ou du patronat – n’existe pas. Les opérateurs n’ont aucune visibilité, ce qui ne les incite pas à investir. Nous sommes au seuil d’une situation qui risque de se dégrader dangereusement et l’amplification de l’exode des jeunes en est le révélateur.




Le blocage politique est absolu.

Yahia Zoubir, directeur de recherche en géopolitique à la Kedge Business School
Cela fait longtemps que les Algériens désertent les urnes. 
L’apathie de la société par rapport au politique est énorme tant il y a une cassure entre l’État et la société. 
Les élections locales d’hier n’étaient un enjeu que pour le régime soucieux de préparer la succession d’Abdelaziz Bouteflika pour 2019, tout en entretenant un multipartisme d’apparence, une démocratie de façade.
Il y a une sourde rivalité entre le FLN et le RND, parti du premier ministre Ahmed Ouyahia. Il s’agit de fait d’oppositions de clans et de personnes et non pas de ligne politique entre ces deux partis de gouvernement. Ahmed Ouyahia tient a priori la corde pour succéder au président, mais il a aussi des opposants. 

Le FLN fait campagne pour qu’Abdelaziz Bouteflika effectue un cinquième mandat. Samedi dernier, l’avocat Farouk Ksentini, proche du président, a déclaré au site d’information TSA qu’il l’avait rencontré et que celui-ci lui avait fait part de son « grand désir de se représenter ». Ce qui a été démenti le lendemain par la présidence. Il est clair que c’était un ballon-sonde pour tester les réactions. Une blague dit que même mort il voudrait un cinquième mandat ! Cela illustre le niveau de pessimisme. Le blocage politique est absolu.

L’on a dit en 2014 que l’absence de consensus sur une personne pour la succession s’était soldée par un statu quo et le quatrième mandat. Nous en sommes toujours là. 

Le régime est tétanisé à l’idée d’un changement. L’enjeu pour les forces qui gouvernent – partis politiques, armée, services de renseignement et caste des entrepreneurs liés au pouvoir –, est de savoir qui est le mieux à même de faire durer le pouvoir prédateur basé sur la rente, de protéger les dirigeants et préserver leurs intérêts économiques. 
Mais qui gouverne ? 
Qui a limogé le premier ministre Abdelmadjid Tebboune en août dernier, trois mois après sa prise de fonction et pourquoi ? 
Le système politique est une boîte noire et l’on ne peut qu’échafauder des hypothèses.


Le fait même de parler de succession démontre bien qu’aucune perspective démocratique n’est à l’ordre du jour. Jusqu’à présent la distribution de la rente, ou la redistribution de la corruption, a servi de protection à la révolte. 
Le pouvoir exploite la guerre civile des années 1990 pour s’ériger en garant de la stabilité – sur le thème « si nous partons, le pays deviendra comme la Syrie ou la Libye ». 

Abdelaziz Bouteflika reste malgré tout populaire parce qu’il serait l’homme par qui la paix est revenue. 
Et le régime instrumentalise la religion. 
Le conservatisme social s’est répandu de manière vertigineuse. 
Quand ils ne veulent pas fuir le pays, les jeunes se réfugient dans les mosquées. 
Ce contexte est peu propice à une embellie modernisatrice. 
Nul ne sait ce qu’il adviendra si la manne financière s’épuise.

Recueilli par Marie Verdier

A Suivre. ....

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