L'Algérie, le pays de toutes les crises possibles.

 

L'Algérie, le pays de toutes les crises possibles.

L'Algérie, le pays de toutes les crises possibles
  30 août 2021 

Mardi, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a déclaré que son pays avait rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc en raison d' »actions hostiles », après des mois de tensions.

« L’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Royaume du Maroc à partir d’aujourd’hui », a annoncé Lamamra lors d’une conférence de presse. « L’histoire a montré […] le Maroc n’a jamais cessé de mener des actions hostiles contre l’Algérie », a-t-il ajouté.

Depuis des décennies, l’Algérie de la junte militaire s’est servi du Maroc comme ennemi externe pour justifier ses incapacités à résoudre ses problèmes internes et comme épouvantail pour faire peur aux algériens qui veulent le départ des militaires et le changement de régime politique.

Le poids de l’armée

Le risque aigu d’instabilité politique n’a cessé de croître en Algérie depuis le début de l’année 2019. La décision du président Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat consécutif lors des élections prévues en avril 2019, malgré sa mauvaise santé, a déclenché les plus grandes manifestations politiques en Algérie depuis plus de deux décennies, un mouvement de masse nommé : hirak.

Pendant ce temps, l’Assemblée populaire nationale algérienne a succombé à une lutte de pouvoir paralysante et l’armée, historiquement le bastion de la stabilité de l’Algérie, est en pleine mutation après le remplacement de presque tous les hauts responsables militaires au cours des douze derniers mois.

La fragmentation du régime en une aile politique et militaire trouve ses racines dans la guerre d’indépendance de l’Algérie dans les années 1950. Les dirigeants politiques du FNL ont été soit exilés au Caire, soit emprisonnés en France, tandis que la guérilla armée du mouvement opérait à l’intérieur de l’Algérie française. 

En 1957, la branche militaire du FLN, l’Armée de libération nationale (ALN), a été violemment battue après une campagne anti-insurrectionnelle impitoyable menée par les militaires français, campagne qui a également contraint l’ALN à l’exil.

Immédiatement après le retrait français en 1962, l’ALN de Ben Bella et Boumédiène a fait irruption dans la capitale Alger et a effectivement pris le contrôle du nouvel état indépendant. Ben Bella est devenu le premier président de l’Algérie et Boumédiène a été nommé vice-président et ministre de la défense. L’ALN a ensuite été transformée en armée nationale, l’Armée nationale populaire (ANP).

Depuis lors, les militaires et le FLN sont pris au piège d’une lutte quasi constante pour le contrôle de l’agenda politique du pays et l’accès privilégié aux vastes réserves de pétrole et de gaz. En conséquence, les conflits sont fréquents et peuvent devenir violents, comme l’ont montré les dernières décennies. Dans une certaine mesure, les deux grandes ailes du régime poursuivent les mêmes objectifs, à savoir obtenir des privilèges et un contrôle étendu sur les revenus du pétrole et du gaz. Pourtant, en période de baisse des revenus ou de vacance du pouvoir, la lutte pour le contrôle s’intensifie.

Historiquement, l’armée algérienne a été soit un arbitre, soit un dirigeant. Le niveau et la portée de son intervention ont fluctué, mais une chose est restée certaine : tous les gouvernements en Algérie ont été responsables devant l’armée en tant que lieu de pouvoir.

Pour Flavien Bourrat, l’armée est un « un État dans l’État » : « L’armée occupe une place singulièrement importante – souvent qualifiée d’hégémonique – dans l’appareil d’État algérien, qui prend racines dans la lutte armée pour l’indépendance. Le fait est, incontestable et qui distingue l’Algérie des autres pays arabes, que c’est bel et bien l’Armée de libération nationale (ALN) qui crée le premier État algérien de l’histoire. Pour autant, peut-on qualifier le système politique en place depuis cinquante ans de régime militaire ? Ce dernier implique un régime politique où les militaires, à la suite d’un coup d’État, exercent directement le pouvoir, mais exclut les situations où l’armée, tout en exerçant une influence ou un contrôle sur les affaires publiques, n’est pas impliquée directement et de façon permanente dans le processus politique ».

Après l’éclatement du mouvement de protestation populaire le 22 février 2019, le Hirak et suite au refus initial de Bouteflika de partir, les militaires ont d’abord arbitré le conflit, puis sont intervenus pour faire pression sur le président malade afin qu’il démissionne. Depuis lors, les militaires gouvernent ouvertement.

La décision de l’armée de modifier sa loyauté et de forcer Bouteflika à se retirer était basée sur un calcul rationnel des risques et des récompenses. L’autorité de Bouteflika avait été profondément ébranlée et le président était trop faible politiquement et physiquement pour l’emporter. Il était coûteux et déraisonnable pour les militaires de parier sur lui. Les militaires ont donc pesé les coûts et pris la meilleure décision en conséquence. Lui rester fidèle aurait eu un impact terrible sur la cohésion organisationnelle et la réputation institutionnelle de l’armée.

Rester au premier plan a un prix : c’est hériter de tous les malheurs socio-économiques et des problèmes politiques, et assumer la responsabilité de gouverner. Laisser les rênes du pouvoir à un gouvernement élu est la meilleure façon d’avancer pour les militaires, et c’est moins risqué pour leur réputation et leur cohésion interne.

La cohésion interne est un autre facteur important. Beaucoup d’officiers subalternes et d’hommes enrôlés ont montré leur soutien au peuple parce qu’ils s’identifient au citoyen moyen. Les rangs de l’armée algérienne sont remplis par des citoyens ordinaires, issus pour la plupart des classes inférieures et ouvrières, puisque la conscription pour 12 mois est obligatoire pour tous les hommes à partir de 19 ans.

L’utilisation de tactiques coercitives contre un tel mouvement risquerait de créer des divisions dans les rangs des officiers moyens et subalternes. Les défections menaceraient probablement l’efficacité de l’armée, l’empêchant de remplir sa mission principale, qui est de préserver la sécurité nationale.

Un troisième facteur que les militaires doivent prendre en considération est celui des intérêts des entreprises et des individus. L’armée dispose d’un budget important, qui a augmenté tout au long des années 1990 pour devenir le plus important d’Afrique, atteignant un record absolu de plus de 10 milliards de dollars en 2016.

L’année dernière, le budget de la défense de l’Algérie était de 9,6 milliards de dollars, plus élevé que celui de tout autre ministère. Ce budget colossal est classé secret et il n’existe aucun contrôle parlementaire efficace permettant un examen civil des dépenses de défense. L’une des principales préoccupations de l’armée est de protéger ce budget, ainsi que les intérêts des entreprises et l’immunité de l’armée contre les violations des droits de l’homme.

Lorsque la guerre civile en Algérie s’est terminée en 1999 et que l’armée a porté Bouteflika au pouvoir, il a offert une amnistie complète aux membres des forces de sécurité responsables de disparitions forcées, de détentions arbitraires et de violations des droits de l’homme pendant la guerre qui a duré dix ans.

En outre, plusieurs généraux au pouvoir ont des intérêts personnels à protéger. Avec la libéralisation sélective et contrôlée de l’économie tout au long des années 1990, de nombreuses personnalités militaires de haut rang ont infiltré le secteur privé.

En décidant des prochaines étapes, l’armée tiendra compte de leurs intérêts – et tant que le régime est capable de leur offrir des salaires élevés, des opportunités d’affaires et l’immunité, l’armée restera probablement fidèle au régime.

Economie en berne

L’économie algérienne stagne, alors que le rebondissement de courte durée d’une politique budgétaire expansionniste en 2018 se dissipe, et que les analystes prévoient une augmentation du chômage en 2019.

Dans ce contexte, une transition manquée des dirigeants et une stagnation économique continue pourraient conduire à une plus grande instabilité en Algérie.

Le pays est exposé au même risque qu’en 1988, lorsqu’il a été secoué par des émeutes inattendues (et encore largement inexplicables), meurtrières et déstabilisatrices. À cette époque, l’économie était en chute libre et la société civile remettait en question la légitimité du président et la gestion de la république par le gouvernement. Les émeutes d’octobre 1988 ont entraîné une ouverture politique et économique qui, à son tour, a débouché sur la guerre civile des années 1990, la « décennie noire » de l’Algérie. L’Algérie est aujourd’hui confrontée à un risque similaire.

Pour Crisis Group, l’économie algérienne doit impérativement se diversifier : « La nécessité de diversifier l’économie algérienne pour diminuer sa dépendance aux hydrocarbures revêt un caractère d’urgence depuis que le cours du pétrole a commencé à chuter de façon spectaculaire, en 2014. Les nouvelles réalités financières ne permettent plus de maintenir le niveau élevé de dépenses publiques des dix dernières années, qui vide rapidement les caisses de l’Etat et augmente le déficit. Malgré les promesses des gouvernements successifs de faire des réformes et de rééquilibrer les finances publiques, la paralysie politique a fait obstacle à toute mesure décisive ».

Et d’ajouter: « L’histoire récente du pays – marquée par la récession économique des années 1980 et l’instabilité politique qui s’ensuivit, puis la guerre civile des années 1990 – entrave les efforts du gouvernement pour trouver un consensus politique sur des réformes et les mettre en œuvre. Faute d’y parvenir, une nouvelle période d’instabilité risque de s’ouvrir. Pour sortir de cette impasse, le gouvernement devrait tenter d’être plus transparent et de mieux communiquer sur les difficultés économiques du pays, de consulter un éventail plus large d’acteurs socio-économiques et de mettre l’accent en particulier sur les jeunes ».

Une crise économique limite ou élimine les services gouvernementaux, ce qui suscite des protestations nationales. L’économie algérienne est en difficulté. Son secteur pétrolier et gazier – qui représente environ 30% du produit intérieur brut (PIB), 60 % des recettes budgétaires et 95 % des recettes d’exportation – est confronté aux effets de près d’une décennie de mauvaise gestion du secteur énergétique. La rotation fréquente des dirigeants a découragé l’investissement étranger et freiné le développement de nouveaux actifs pétroliers et gaziers.

Les revenus de la société énergétique publique Sonatrach ont diminué de 76 milliards de dollars en 2008 à 33,2 milliards de dollars en 2017 en raison de la baisse des prix de l’énergie suite à un effondrement des prix en 2014 et de l’augmentation de la consommation d’énergie nationale, qui a également entraîné une baisse des volumes disponibles à l’exportation. Pour compenser la baisse des revenus du pétrole et du gaz, le gouvernement a puisé dans les abondantes réserves de devises étrangères du pays. Cependant, celles-ci ont diminué de plus de 50 % depuis 2014, et le gouvernement a depuis lors eu recours à l’impression de monnaie (la planche à billets).

La situation économique plus difficile de l’Algérie a entravé la capacité de l’état à fournir des services aussi régulièrement que par le passé. L’inflation et l’augmentation concomitante du coût de la vie ont rendu plus difficile pour beaucoup la satisfaction des besoins quotidiens. Les protestations dans tout le pays au sujet des services de base comme l’éducation, l’électricité, les soins de santé, le logement, les pensions et l’approvisionnement en eau sont plus fréquentes ; et comme l’état n’a pas les fonds nécessaires pour répondre à chaque plainte, les protestations durent plus longtemps et sont plus intenses.

Toutefois, l’Algérie du Président Abdelmajid Tebboune continue à refuser de faire appel au Fonds monétaire international (FMI), pour des raisons de souveraineté, selon une analyse de Dalia Ghanem intitulée : « Algérie: Vers un effondrement économique ? », publiée dans Middle East Institute du 26 mai 2020 : Alors
même qu’un nombre croissant d’états arabes et africains se tournent vers le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir une aide afin de contrer les retombées économiques de la pandémie de coronavirus, l’Algérie a clairement fait savoir qu’elle ne suivrait pas le mouvement. Malgré les difficultés budgétaires, la crise économique, les troubles sociaux et l’urgence sanitaire, le président Abdelmadjid Tebboune a insisté sur le fait que l’Algérie ne demandera pas de prêt pour atténuer les difficultés socio-économiques du pays.

Tebboune a déclaré que « l’accumulation de la dette nuit à la souveraineté nationale » et affaiblira la position du pays vis-à-vis de la cause palestinienne et de la question du Sahara occidental. Il a également rappelé la mauvaise expérience de l’Algérie dans les années 1990 avec le Plan d’ajustement structurel (PAS) du FMI et a expliqué qu’il préférait « emprunter aux citoyens algériens, plutôt qu’au FMI ou à la Banque mondiale ».

Au-delà des promesses de diversification de l’économie qui se font attendre depuis longtemps, le plan de réponse à la crise de Tebboune prévoit une réduction de 50 % des dépenses et des investissements publics, une réduction de 10 milliards de dollars des importations, ainsi que des efforts pour développer l’utilisation des services bancaires par les personnes travaillant dans le secteur informel, qui représente 45 % du revenu national brut (RNB). “

Toutefois, selon Geneviève Verdier, chef de mission du FMI pour l’Algérie : « Le FMI reste déterminé à aider l’Algérie à faire face aux retombées de la pandémie de coronavirus. Des missions de renforcement des capacités à distance ont eu lieu et l’institution a travaillé avec les autorités pour délivrer des conseils stratégiques. »

Fin avril 2019, l’institution internationale a tiré la sonnette d’alarme. Dans ses « Perspectives économiques régionales – Moyen-Orient et Asie centrale, » qui couvrent également l’Afrique du Nord, elle a estimé à 157,2 dollars le prix du baril de pétrole nécessaire à l’équilibre du budget algérien en 2020.

Le FMI indique également que ce niveau d’équilibre budgétaire pour l’Algérie aurait nécessité un prix impossible de 100 dollars le baril en moyenne sur les trois dernières années (2017-2019).

Le 15 octobre 2020, le FMI a sorti le grand jeu pour souligner l’urgence de la situation économique algérienne. Dans une note de prospective économique, l’institution internationale prévoit une chute historique du PIB à -5,5% en 2020, avant une légère reprise de 3,2% en 2021.

Selon Ouramdane Mhenni, le FMI note que : « Tous les voyants sont au rouge pour l’économie algérienne, déjà fortement impactée par la dégringolade des prix de l’or noir. Les conséquences de la crise sanitaire induite par la propagation du coronavirus viendront s’agripper aux conséquences de la crise pétrolière.
Le Fonds monétaire international (FMI) a révisé à la baisse ses prévisions de croissance de l’économie algérienne à -5,5% cette année, contre -5,2% anticipée en juin, indiqué le FMI dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales publié mardi dernier.

Le Fonds table sur un taux de croissance de 3,2% en 2021. Le taux de chômage devrait atteindre 14,1% cette année et 14,3% l’année prochaine. Cependant, l’institution de Breton Woods met en garde contre la détérioration des comptes extérieurs de l’Algérie avec une perspective d’un déficit de 10,8% du PIB du compte courant en 2020.  »

L’économie algérienne secouée par la crise virale et la chute des revenus du pétrole

Si le pays n’a pas connu les événements qui ont amené la violence dans la région depuis le printemps 2011, c’est grâce à une politique de redistribution des revenus énergétiques permise par le prix élevé du pétrole. De 2000 à 2013, le prix du baril est passé de 25 à 140 dollars, permettant l’accumulation d’un excédent financier de 200 milliards de dollars.

Cette facilité financière a permis au gouvernement de lancer d’importants travaux d’infrastructure, avec des investissements de plusieurs centaines de milliards de dollars : autoroutes, logements sociaux, tramways urbains, etc. Ces milliards d’investissements ont favorisé l’emploi direct et indirect, ainsi que des opportunités de spéculation qui ont donné l’illusion de la richesse économique. Mais en réalité, le marché était alimenté par des produits importés, alors que la balance du commerce extérieur indiquait que 98% des exportations étaient constituées d’hydrocarbures. Le pays était financièrement riche, mais il s’était appauvri sur le plan écologique. Cela semble être le véritable résultat du régime Bouteflika, avec un président qui dirige un pays qu’il ne gouverne pas.

Mais, depuis, la dépréciation de la monnaie, l’inflation, la croissance négative, la fermeture d’entreprises : l’économie algérienne a été frappée de plein fouet par la chute des revenus pétroliers et la crise du coronavirus. Et à moins que des mesures correctives ne soient prises à grande échelle, un glissement vers la dette extérieure deviendra inévitable, avertissent les économistes.

L’Office National des Statistiques (ONS) a fait état d’une chute de 3,9 % du produit intérieur brut (PIB) pour le seul premier trimestre de 2020, avec un taux de chômage proche de 15 % – des chiffres « alarmants », selon Mansour Kedidir, professeur associé à l’École Supérieure d’Economie d’Oran (ESE). Si l’on exclut le secteur de l’énergie, le PIB a chuté de 1,5 % en glissement annuel au cours du premier trimestre de 2020, contre une augmentation de 3,6 % en 2019 par rapport au premier trimestre 2018.

Avec les mesures de confinement mises en place depuis le 19 mars 2020 pour freiner la propagation du nouveau coronavirus, des secteurs tels que les services et le fret sont pratiquement paralysés. Le secteur de la construction, un important pourvoyeur d’emplois, est paralysé depuis des mois.

Le ministre des finances, Aymen Benabderrahmane, estime les pertes des entreprises publiques à près d’un milliard d’euros (1,17 milliard de dollars). Les pertes du secteur privé n’ont pas encore été évaluées, mais de nombreuses entreprises fermées, dont des restaurants, des cafés et des agences de voyage, risquent de faire faillite. L’Algérie est confrontée à une « situation économique sans précédent », a déclaré le Premier ministre Abdelaziz Djerad, qui a également mis en cause la mauvaise gestion sous le régime du président Abdelaziz Bouteflika, évincé depuis un certain temps.

Dalia Hassan écrit dans Africanews que : « Dépendante de la rente pétrolière, l’économie algérienne est exposée aux fluctuations du prix du baril. Pour les économistes, le recours à l’endettement extérieur deviendra inévitable. Mais le président Abdelmadjid Tebboune a déjà exclu de contracter des prêts auprès du FMI au nom de la souveraineté nationale ».

En raison d’un manque de diversification, la plus grande économie de la région du Maghreb est très dépendante des revenus pétroliers et exposée aux fluctuations des prix du brut. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que l’économie algérienne se contractera de 5,2 % cette année. Kedidir prédit qu’à moins de réformes, « une boîte de Pandore sera ouverte… émeutes, irrédentisme, extrémisme religieux ».

Le gouvernement est sur le point de lancer un plan de relance économique et a décidé, début mai 2020, de réduire de moitié le budget de fonctionnement de l’état. Une loi de finances complémentaire pour 2020 repose sur une diminution des recettes à environ 38 milliards d’euros, contre les 44 milliards d’euros prévus initialement.

Selon les experts, toute solution nécessitera des réformes drastiques. Kedidir a exhorté les autorités à introduire des taux d’intérêt plus bas, en tenant compte du secteur informel et des réductions d’impôts basées sur le nombre de nouveaux emplois créés. Il a appelé à la réalisation de grands projets tels que des zones agro-industrielles dans le vaste sud désertique du pays, avec des infrastructures de transformation, des lignes de chemin de fer étendues et de nouvelles villes pour les desservir – le tout construit avec la main-d’œuvre locale.

Tout en reconnaissant que les hydrocarbures resteront la principale source de revenus pour les 5 à 10 prochaines années, une sortie de la crise économique doit reposer sur une nouvelle gouvernance nationale et décentralisée, estime l’économiste Abderahmane Mebtoul. L’Algérie doit « rassembler toutes les forces politiques, économiques et sociales… (et) éviter les divisions sur des questions secondaires », a-t-il déclaré.

Mebtoul a appelé à « une symbiose état-citoyen impliquant les élus, les entreprises, les banques, les universités et la société civile afin de lutter contre une bureaucratie paralysante ». Il soutient aussi que
« l’urgence d’une nouvelle gouvernance, d’un changement profond de la politique économique, d’approfondir les réformes internes institutionnelles et micro économiques, portées par de nouvelles forces sociales. Un grand défi pour l’Algérie de demain, défi à sa portée du fait de ses importantes potentialités. “

Mouvements de protestation : Barakat, Mouwatana, et Hirak

Les mouvements de protestation en Algérie ont toujours visé des objectifs distincts, comme la fourniture de services sociaux, la promotion des droits de l’homme ou la lutte contre la corruption, ou bien ils se sont limités à des villes comme Ghardaïa ou la Kabylie et ne se sont pas étendus à l’ensemble du pays.

Certaines tentatives ont été faites pour former des mouvements de protestation à l’échelle nationale, notamment le mouvement Barakat en 2014 (« assez » en arabe nord-africain), qui a tenté d’empêcher Bouteflika de se présenter pour un quatrième mandat, et le mouvement Mouwatana en 2018 (« citoyenneté » en arabe standard moderne), qui s’est opposé au cinquième mandat de Bouteflika. Le mouvement Barakat s’est dissous après la réélection de Bouteflika en 2014, et jusqu’à présent, le mouvement Mouwatana avait limité ses activités à l’est de l’Algérie.

Le défi posé par les manifestations du Hirak qui a débuté le 22 février 2019, et qui s’est étendu par la suite à tout le pays concernaient le système politique algérien et non des griefs tangibles, le gouvernement avait du mal à y répondre d’une manière qui apaiserait les plaintes des manifestants ; en outre, les manifestations ont amené le gouvernement à se retrancher et à fermer effectivement ses portes jusqu’à ce que la trajectoire de leadership du pays s’est précisé avec l’élection d’Abdelmajid Tebboune le 12 décembre 2019.

Si des forces de l’ordre ou des militaires surchargés de travail tuaient un ou plusieurs manifestants dans un contexte de crise de succession et de difficultés économiques persistantes, les Algériens percevraient cet incident comme une trahison des obligations de l’état envers ses citoyens. La violence de l’état contre les manifestants pourrait unir les Algériens contre le gouvernement, inaugurant ainsi une nouvelle ère d’instabilité.

Toutefois, il faut dire que le Hirak, en tant que mouvement de protestation pacifique souffre d’un manquement de leadership politique fort pour pouvoir faire face à l’armée, véritable institution aux commandes du pays.

Ce point est souligné par Louisa Dris Aït-Hamadouche et Chérif Dris dans leur analyse intitulée : “Le face à face hirak-pouvoir : La crise de la représentation“ : « Le hirak algérien est caractérisé par son absence de leadership. Les journalistes, les analystes politiques le considèrent comme un mouvement organisé mais non structuré. Ni les acteurs civils ni les partis d’opposition n’ont pris part à l’organisation de ce soulèvement. Ce qui, au passage, incite à s’interroger sur ses causes et les forces qui en ont été initiatrices. Au-delà de ce questionnement qui mérite d’être affiné par une recherche sur les facteurs à l’origine de ce soulèvement, la problématique de l’absence d’une entité représentative pouvant assurer le statut d’interface entre le mouvement populaire et l’autorité politique s’est posée avec acuité.

Les expériences de transitions démocratiques, à travers le monde, affirment, de manière générale, que les négociations entre les tenants du pouvoir et le mouvement de contestation nécessitent des médiateurs. Ceux-ci sont généralement des partis de l’opposition ou des acteurs de la société civile (syndicats, associations des droits de l’homme, collectifs professionnels, etc.) (Bitar et Lowental, 2015). L’exemple le plus récent est donné par la Tunisie où le Quartet a joué un rôle primordial dans le processus de transition, notamment à travers la mise en place du processus constituant (Marks, 2017, Haugboll, Ghali, Youcefi, Limam, Molerup, 2017) ».

En bref, une crise de succession pourrait, de nouveau, bientôt, accompagner la crise économique actuelle de l’Algérie, si le président Tebboune ne se remet pas du coronavirus. Toutefois, Si la fracture des élites, les désaccords au sein de l’armée et le déclin économique se poursuivent, l’Algérie pourrait être confrontée à des protestations généralisées, au-delà des manifestations du Hirak. En fin de compte, l’Algérie pourrait connaître une période d’instabilité importante, avec des implications de grande envergure pour la stabilité régionale. La réponse du gouvernement et celle des partenaires régionaux détermineront si l’Algérie peut gérer une crise croissante.

Indicateurs d’alerte

Plusieurs indicateurs d’alerte signalent que l’Algérie est de plus en plus menacée :

Fracture de l’élite : Un désaccord public entre les officiers militaires de haut rang, les oligarques ou les hauts responsables politiques, y compris les membres du cabinet, les chefs des coalitions au pouvoir des partis politiques et les membres du parlement – les élites – sur la présidence en cours de Tebboune ou sur son successeur potentiel pourrait indiquer le début d’une instabilité généralisée.

Politisation de l’armée : Un désaccord public entre les chefs de la sécurité pourrait remettre en question le soutien militaire aux dirigeants politiques. Différents blocs au sein de l’armée ou des services de sécurité pourraient recommander des lignes de conduite opposées, ce qui limiterait l’efficacité des services de sécurité. Un autre indicateur d’alerte connexe serait si des officiers militaires récemment retraités, y compris des membres retraités des services de renseignement autrefois puissants, commencent à faire publiquement campagne contre le leadership politique.

Protestations populaires de base : Il est peu probable que les manifestations du Hirak soient un événement isolé et il existe maintenant un environnement fertile pour de nouveaux troubles civils. Le gouvernement, habitué à gérer des manifestations conventionnelles qui exigent des concessions tangibles de la part de l’état, pourrait faire un faux pas dans la gestion de ces mouvements de protestation plus importants, ce qui saperait encore davantage la confiance du public.

Maintien de la faiblesse des prix de l’énergie : L’Algérie est un état socialiste, dont le contrat social est fondé sur la fourniture de services par l’état. L’Algérie est également un état rentier, et son budget dépend fortement des exportations de pétrole et de gaz. Une réduction des revenus du pétrole et du gaz et un nouvel épuisement des réserves de devises étrangères menaceraient la capacité de l’état à fournir des services sociaux et donc à remplir son contrat social. La volatilité des prix de l’énergie va probablement se poursuivre, mais l’Algérie sera confrontée à une plus grande probabilité d’instabilité politique si les prix du brut restent déprimés pendant plus de deux ans.

Même après l’élection de Tebboune, la crise perdure

Les grandes manifestations de rue du Hirak qui ont eu lieu le vendredi 3 janvier 2020 dans toute l’Algérie ont montré que le pays est toujours en crise. Le mouvement de protestation, peu organisé, se double de demandes de libération de militants détenus, d’assouplissement du contrôle du gouvernement sur les associations et les médias, et de changement radical du système politique.

Le président nouvellement élu, Abdelmadjid Tebboune, peut tenter soit de séduire et de diminuer le mouvement de protestation en répondant de manière sélective à ses demandes, soit de sévir avec tous les risques qui en découleraient. Le nouveau cabinet nommé le 3 janvier 2020 suggère la continuité, et non le changement ; un tiers des ministres, y compris le premier ministre et les postes clés du cabinet, ont été reportés des gouvernements précédents.

Cependant, dans un signal adressé aux manifestants, Tebboune a libéré 76 militants détenus le 2 janvier 2020, et la présidence a déclaré qu’elle espérait lancer un dialogue sérieux avec l’opposition politique et le mouvement de protestation. Environ la moitié des militants arrêtés sont toujours en détention, et le mouvement de protestation rejette le dialogue sans autre geste de la part du gouvernement. Seuls quelques partis politiques ont répondu favorablement à l’appel au dialogue lancé par Tebboune, et les partis politiques manquent de toute façon d’influence sur les manifestants de la rue. Tebboune et le gouvernement examineront s’ils peuvent apaiser le mouvement de protestation par des réformes ; ils devront également décider s’il convient de relâcher l’emprise sur les activités civiles et politiques.

En 2019, l’armée algérienne avait résisté à toute ouverture, mais son principal chef est mort subitement le 23 décembre 2019. Le nouveau général en chef, Saïd Chengriha, 74 ans, a joué un rôle beaucoup moins public que son prédécesseur, qui était intransigeant. La relation entre Tebboune et la direction de l’armée sera un facteur majeur qui influencera l’évolution de l’Algérie.

Crise sanitaire et président atteint de Covid-19 hospitalisé en Allemagne : vacance de pouvoir de nouveau

La déclaration de la présidence ne précise pas la cause de l’hospitalisation, qui survient quelques jours après que le président algérien Abdelmadjid Tebboune, âgé de 75 ans, se soit isolé suite à des cas de coronavirus parmi ses collaborateurs. Tebboune, 75 ans, a été transféré mardi 27 octobre 2020 dans une unité spécialisée d’un hôpital militaire de la capitale, Alger, sur recommandation de ses médecins. « Son état de santé est stable et n’est pas préoccupant, et il poursuit ses activités quotidiennes depuis le centre de traitement », selon un communiqué de la présidence porté par l’agence de presse officielle APS, sans préciser s’il a été testé positif au coronavirus.

Samedi 24 octobre 2020, Tebboune a déclaré qu’il s’était isolé après que plusieurs aides seniors aient été diagnostiqués avec le Covid-19. « Je vous assure, mes frères et soeurs, que je suis en bonne santé et que je continue mon travail », a-t-il déclaré à l’époque.
Par la suite sa maladie est confirmée comme étant Covid-19, et ainsi il fait partie d’un petit groupe de dirigeants mondiaux qui ont été victimes de la maladie, notamment le président américain Donald Trump, le premier ministre britannique Boris Johnson, le président brésilien Jair Bolsonaro et le président polonais Andrzej Duda.

L’hospitalisation de Tebboune arrive à un moment critique dans ses efforts pour tourner la page des manifestations de rue massives de l’année dernière qui ont forcé son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika, à quitter le pouvoir après 20 ans.

Elu en décembre 2019, Tebboune a fait pression pour une nouvelle constitution qui limite les mandats présidentiels et donne plus de pouvoirs au Parlement et au pouvoir judiciaire. Elle a été soumise à un référendum le 1er novembre 2020 et validé par un nombre très bas de votants.

La pandémie de coronavirus a frappé l’économie algérienne alors qu’elle était confrontée aux défis à long terme posés par la baisse des revenus du pétrole et du gaz qui financent les dépenses historiquement élevées de l’état. Jusqu’à présent, l’Algérie a officiellement confirmé plus de 84152 cas de coronavirus, avec près de 2447 décès.

Tebboune, 74 ans, a été envoyé dans un hôpital militaire algérien, puis transféré en Allemagne sur un vol spécial le 28 octobre 2020. Au départ, son bureau n’a pas expliqué la raison de ce déménagement, mais a confirmé une semaine plus tard qu’il était atteint du coronavirus. Avant son hospitalisation, plusieurs hauts fonctionnaires de l’entourage du président avaient développé les symptômes du Covid-19, et Tebboune avait été placé dans ce que le gouvernement appelle un « confinement préventif volontaire ».

Dimanche 8 novembre 2020, la présidence avait déclaré que Tebboune était « en train de terminer son traitement … et son état de santé s’améliore constamment ». Certains journaux proches des autorités avaient fait état de son « retour imminent » en Algérie.

Pour de nombreux Algériens et parmi les médias locaux, le traitement de Tebboune en Allemagne a rappelé l’absence de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, victime d’une attaque cérébrale début 2013 et hospitalisé à l’étranger pendant près de trois mois.

Très affaibli physiquement, Bouteflika est resté au pouvoir à son retour, malgré des séquelles importantes et quittant rarement son domicile médicalisé. Il a été réélu en 2014, mais sa décision de briguer un cinquième mandat en 2019 a déclenché un mouvement de protestation sans précédent, qui l’a conduit à démissionner en avril de l’année dernière.

L’Algérie et le dilemme berbère

Même pour l’observateur non-expert du Maghreb, le paramètre amazigh est devenu un élément essentiel de la scène politique, sociale et culturelle tant en Algérie qu’au Maroc. En Algérie, depuis 1989, toute une série d’actions spectaculaires ont confirmé l’adhésion significative de la population kabyle à la revendication berbère. Les dernières manifestations de la jeunesse kabyle à travers la région en juin-juillet 1998, suite à l’assassinat de Lounes Matoub, nous rappellent que les braises du berbérisme sont prêtes à s’enflammer à tout moment.

Depuis le début du Hirak en février 2019, les tensions idéologiques, religieuses et culturelles qui existaient depuis des décennies en Algérie ont refait surface et se sont intensifiées au point de dominer le débat public.

Néanmoins, elles ont rarement été prises en considération par les autorités centrales, et l’état a récemment fut voté par référendum une révision de la Constitution qui ne considère pas les questions d’identité comme une priorité, proposant des mesures superficielles comme l’institutionnalisation de la langue amazighe. La négation politique persistante de ces tensions les a encore exacerbées parmi les groupes d’opposition – islamistes contre laïques et berbéristes contre arabisants – et prouve à toutes les parties que la nouvelle Constitution est une autre mesure de façade de l’état pour maintenir l’hégémonie politique du régime sur les questions d’identité.

Les constitutions successives de l’Algérie n’ont pas réussi à refléter véritablement la diversité du pays et ont plutôt été utilisées par le régime comme un outil pour étendre son hégémonie et sa domination sur le peuple. 

La première Constitution, discutée en 1963 par 300 délégués du Front de libération nationale (FLN) et adoptée par référendum la même année, a considérablement limité la liberté politique en ne reconnaissant qu’un seul parti, le FLN, et a inscrit l’islam et l’arabe comme les seules composantes constitutionnellement reconnues de l’identité algérienne – deux caractéristiques qui n’ont jamais été remises en cause depuis sauf par les Amazighs durant le Printemps berbère, Tafsut Imazighen, du 20 avril 1980 en Kabylie et à Alger. Il s’agit du premier mouvement populaire d’opposition aux autorités depuis l’indépendance du pays en 1962.

En dépit des diverses modifications apportées aux différentes constitutions algériennes, les questions identitaires et culturelles n’ont guère été prises en compte par les commissions constitutionnelles successives, généralement composées de délégués du parti majoritaire FLN ou nommés par les présidents algériens parmi de fervents partisans du régime. Les commissions ont toujours choisi de considérer et de déclarer le peuple algérien comme un bloc homogène avec une seule culture, une seule religion et une seule langue.

Cet effort d’homogénéisation de la population était probablement ancré dans une perception durable de l’état vis-à-vis de la diversité, considérant celle-ci comme une source de division et une menace pour la stabilité de son territoire, notamment en considérant les divers groupes culturels ou idéologiques comme pouvant être influencés par des intérêts étrangers.

A la mi-juin 2019, le général en chef de l’armée, aujourd’hui décédé, Gaid Salah, a interdit aux manifestants de brandir publiquement le drapeau amazigh en Algérie. Depuis ce décret, de nombreux Algériens ont défié la règle en participant aux manifestations hebdomadaires du mardi et du vendredi avec le drapeau amazigh, certains même en tenue berbère traditionnelle. Les autorités ont réagi début juillet 2019 en arrêtant 41 personnes, dont 34 sont toujours en détention et risquent une peine allant jusqu’à 10 ans de prison, ainsi que de lourdes amendes pour avoir prétendument « porté atteinte à l’intégrité » du pays.

Si le peuple et la culture amazighs ont constitué une part indéniable de l’histoire et de l’identité nationale de l’Algérie, les tensions entre Amazighs et Arabes ont été exploitées tant par les forces coloniales françaises que par l’état algérien, à la suite de l’indépendance du pays en 1962. Il semble que « le pouvoir », qui dirige le pays, ait recours à de vieilles tactiques pour tenter de fissurer ce qui a été une manifestation forte, collective et visible d’opposition au régime algérien, par des protestations de masse qui ont eu lieu depuis la fin du mois de février 2019.

Le peuple amazigh est la population indigène d’Afrique du Nord. On estime que 75 % de la population algérienne est d’origine berbère. La reconnaissance de l’histoire amazighe a constitué une part importante des manifestations avec l’agitation de drapeaux berbères, de pancartes faisant référence à des personnalités amazighes et à des musiciens, et de chants faisant référence à l’unité entre les différents groupes ethniques.

L’interdiction ridicule de Gaid Salah et l’arrestation des dissidents ont galvanisé encore plus les manifestants.
Peut-être que les personnes au pouvoir n’ont pas prêté attention aux messages politiques issus des manifestations et – comme l’a démontré leur régime totalitaire éhonté au cours des dernières décennies – elles sous-estiment sérieusement le peuple algérien. Tant l’interdiction ridicule de Gaid Salah que les arrestations des dissidents ont galvanisé davantage les manifestants et renforcé l’unité du mouvement.

Même lors des manifestations hebdomadaires organisées par la diaspora algérienne au Royaume-Uni, les discours ont renforcé l’unité des Amazighs et des Arabes, et le fait que la lutte est pour la libération de tous, indépendamment de l’ethnie, de la langue, de la culture ou de l’identité du peuple. Les Algériens ont compris et n’ont été que trop conscients des habitudes de division et de conquête d’un état qui a rendu un énorme service à une riche histoire du territoire.

En conclusion, la question amazighe, qui est encore aujourd’hui une question ouverte et une sorte de tabou à éviter pour préserver une idée insaisissable de paix et d’unité nationale, sera l’ultime champ de bataille sur lequel la politique algérienne de demain devra faire preuve d’un plus haut niveau de courage et de maturité. Même si, chacun devrait garder à l’esprit combien il serait réducteur, partial et injuste de rejeter toute la responsabilité de cette situation sur le relativement jeune état algérien, qui a plutôt hérité d’un héritage grave et gênant de la période de colonisation.

Pauvreté, chômage et inégalité spatiale poussent les jeunes à l’immigration clandestine lehrig vers l’Eldorado européen

L’Algérie, a connu une relative prospérité jusque vers les années 1980. Après l’indépendance, l’économie a été stimulée par l’explosion des prix du pétrole. Cependant, un coup porté au marché pétrolier et une gestion inepte ont entraîné un déclin des conditions dans le pays après les années 1980, et la pauvreté de l’Algérie a continué à augmenter depuis.

Aujourd’hui, près d’un quart des Algériens vivent près ou en dessous du seuil de pauvreté. La majorité d’entre eux vivent dans les zones rurales, mais les centres urbains souffrent également du taux de chômage, les plus touchés étant les jeunes non qualifiés qui ont depuis quelques années opté pour lehrig ou immigration clandestine vers l’Eldorado européen. Selon les chiffres de l’ONS, le taux de chômage officiel en Algérie a atteint 11,4% en mai 2019, soit 1.449 million d’algériens sont « sans emploi ».

L’Algérie souffre d’une grande inégalité dans la répartition des richesses. Une minorité choisie contrôle une grande partie des ressources et vit dans une relative aisance, capable de profiter des commodités modernes, de l’enseignement dans les écoles privées et des voyages à l’étranger. Pourtant, la majorité de la population vit dans la misère et lutte pour l’accès aux soins de santé, à l’eau potable, à l’éducation et à l’alimentation.

Les plus pauvres en Algérie sont les paysans sans terre qui vivent dans les régions montagneuses au nord ou près de la région du sud du Sahara. Travaillant à la production de cultures, et ne pouvant pas se procurer leurs propres terres, ils ont été particulièrement touchés par l’érosion et la dégradation des sols, les sécheresses, la mauvaise irrigation et le drainage.

Les problèmes de l’Algérie ne sont pas insolubles et pourraient être solutionnés par l’amélioration des pratiques agricoles ou la fourniture de services de soutien ou d’éducation. Pourtant, les conflits internes ont aggravé le problème ces dernières années, et le manque de stabilité politique a empêché les gouvernements de mettre en œuvre les réformes structurelles à long terme nécessaires pour fournir les ressources permettant de sortir le pays de la pauvreté.

Les 10 principaux indicateurs sur la pauvreté en Algérie sont comme suit:

1- Selon une estimation de la Banque mondiale publiée en 2018, le taux de chômage en Algérie est passé de 10,5 % en septembre 2016 à 11,7 % en septembre 2017. Le chômage des femmes et des jeunes est disproportionné : le premier semestre 2016 a vu un taux de chômage des femmes de 16,6 % et celui des jeunes de 29,9 % ;

2- Même si les données officielles de 2011 font état d’un taux de pauvreté de 5,5 % et d’un taux d’extrême pauvreté de 0,5 %, on estime qu’environ un dixième de la population est susceptible de retomber dans la pauvreté. D’autres sources, cependant, font état de taux bien plus élevés ces dernières années. Al Jazeera, la télévision publique de Doha, au Qatar, a écrit en avril 2014 que le pays a un taux de pauvreté de 23 % ;

3- Les différences régionales en matière de pauvreté sont importantes en Algérie. La Banque mondiale souligne que le niveau de pauvreté a doublé pour les personnes résidant au Sahara, et triplé pour les habitants de la steppe ;

4- L’Algérie connaît une forte inégalité économique ; les taux de consommation des riches et des pauvres sont à 27,7 % d’écart les uns des autres ;

5- Selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), le pays compte 400 000 enfants qui quittent l’école chaque année. La plupart de ces abandons se produisent dans les zones rurales en raison de la pauvreté et du mauvais entretien des écoles locales ;

6- La monnaie algérienne a été dévaluée au cours des cinq dernières décennies, passant de 4,94 dinars par dollar américain en 1970, à 129,78 dinars par dollar américain aujourd’hui. Cet écart est principalement dû aux efforts du gouvernement pour réduire artificiellement son déficit budgétaire et maintenir les taxes pétrolières. Dans le même temps, le gouvernement subventionne fortement les importations pour les rendre plus abordables, ce qui, en fin de compte, accroît la dépendance du pays vis-à-vis des importations, car le pays devrait s’efforcer de construire une économie productive pour offrir des possibilités d’emploi ;

7- L’Algérie est extrêmement dépendante de ses ressources pétrolières pour sa croissance économique. Le secteur des hydrocarbures représente 95 % des exportations algériennes et occupe 60 % du budget du gouvernement. Ce secteur de production a doublé le déficit budgétaire de l’état en 2015, alors que les prix du pétrole s’effondraient et affectaient les populations déjà défavorisées ;

8- Les soins médicaux sont limités en raison de la faible densité de population et de la pauvreté dans les zones rurales. Ainsi, certaines régions sont toujours confrontées à des taux élevés de mortalité maternelle et des enfants de moins de cinq ans ;

9- Le gouvernement de l’Algérie a été critiqué pour sa corruption, notamment dans les domaines de la construction d’infrastructures et du pétrole. Une commission nationale a été mise en place pour lutter contre cette corruption en 2006, mais ce n’est que quatre ans plus tard que sept membres ont été nommés. En 2012, 2 000 cas de corruption faisaient l’objet d’une enquête, mais n’aboutissaient que rarement à des condamnations ; et

10- L’Algérie est confrontée à une instabilité potentielle si les prix du pétrole restent bas. La population, en particulier les jeunes, est mécontente du gouvernement, estimant que celui-ci ne se préoccupe pas de ses citoyens. Certains craignent également qu’une autre « décennie noire », faisant référence à la guerre civile du pays dans les années 1990, ne se profile à l’horizon.

TSA, faisant écho du rapport de la Banque mondiale, souligne que la pauvreté s’accentue en Algérie :
“La Banque Mondiale prédit plus de pauvreté pour les Algériens à l’avenir, à cause, notamment de la hausse du chômage, du ralentissement de la croissance du PIB et de l’augmentation de l’inflation qui devrait, selon le rapport de la BM sur l’Algérie, atteindre les 9% en 2020.

Les difficultés financières que connaît l’Algérie depuis quelques années ont déjà causé des dégâts, selon la Banque Mondiale. « Le taux de chômage a augmenté de près de 1,5 points de pourcentage, en raison de la croissance léthargique du secteur hors hydrocarbures de 11,7% en septembre 2017, soit un niveau plus élevé que celui de 10,5% enregistré en septembre 2016 », peut-on lire dans le dernier rapport de l’organisation sur l’Algérie publié lundi 16 avril. “

L’Algérie a besoin de transformations économiques et doit trouver comment remédier efficacement à sa faible productivité intérieure. Un schéma économique plus communautaire et sous contrôle public devrait être adopté en lieu et place des tentatives d’ajustement qui stagnent actuellement.

La jeunesse algérienne cherche fortune ailleurs

Bien avant que M. Bouteflika n’annonce son intention de se présenter pour un cinquième mandat, l’immigration clandestine algérienne vers l’Europe était en hausse. Entre 2015 et 2017, le nombre de migrants algériens appréhendés par l’Algérie et les états européens a plus que triplé. En 2018, près de 13 000 Algériens ont été arrêtés ; beaucoup plus sont probablement arrivés sans être détectés.

Contrairement aux années précédentes, où les migrants algériens en situation irrégulière étaient en grande majorité des jeunes hommes peu instruits, un nombre important de jeunes instruits, de femmes et de familles avec de jeunes enfants ont également fait le voyage au cours de 2019. En décembre 2018, deux bambins et une jeune fille de 11 ans ont été tirés d’un bateau qui a coulé au large de l’ouest de l’Algérie. D’autres n’ont pas eu cette chance : au moins 119 sont morts en 2018, et 96 autres sont toujours portés disparus.

Cet exode des Algériens est un reproche à la situation dans leur pays que beaucoup trouvent intenable. La direction du pays est généralement âgée. La population est majoritairement jeune. Un militant des droits de l’homme de l’est de l’Algérie a expliqué : « Aucun de nos dirigeants ne vit à notre époque, et ils veulent que nous vivions à une époque révolue ».

Sandrine Morel écrit dans Le Monde : « Dans le parc qui fait face au siège de la Croix-Rouge de Murcie, dans le sud-est de l’Espagne, Djilali Kabout, jeune Algérien de 25 ans, essaie de revendre une perche surmontée d’un spot lumineux. Ce grand et maigre gaillard au strabisme prononcé a acheté cet équipement avant de quitter Mostaganem, ville située à 80 kilomètres à l’est d’Oran, devenue l’un des principaux points de départ des migrants algériens vers l’Espagne.

C’est là que, deux semaines plus tôt, début octobre, Djilali a embarqué avec douze compatriotes à bord d’un canot pneumatique de 4,80 mètres, équipé d’un moteur de 30 chevaux, acheté en commun pour 1 500 euros. Le flash leur a bien servi pour avancer dans la nuit durant les vingt heures d’une traversée de 150 kilomètres jusqu’aux criques de la ville portuaire de Carthagène. Désormais, Djilali n’en a plus besoin. « Je vais à Bordeaux rejoindre mon frère, explique-t-il en souriant. J’aurai un avenir. En Algérie, on ne peut pas sortir de la pauvreté, le système est pourri et moi, au mieux, je gagnais 5 euros par jour pour conduire des camions de poissons. »

Depuis le début de l’été, près de 2 500 Algériens ont rejoint les côtes de la région de Murcie. C’est déjà plus que les 1 900 migrants arrivés durant tout 2019, alors que les principaux mois d’activité de la « route algérienne » vers l’Espagne s’étalent d’ordinaire d’octobre à décembre. “

Un discours politique basé sur les succès de l’époque de l’indépendance ou sur la protection contre les menaces violentes de la guerre civile des années 1990 a beaucoup moins de chances de maintenir la légitimité du régime semi-autocratique aujourd’hui que par le passé.

Les possibilités économiques sont limitées et même lorsque des emplois sont disponibles, les salaires ne suffisent souvent pas aux jeunes pour gagner leur vie. Pour un nombre croissant de jeunes, les étapes de la vie comme l’acquisition d’une maison ou le mariage sont repoussées. Le désespoir existe : l’expression locale courante, « la mal vie », décrit le sentiment de nombreux Algériens. 

C’est le sentiment que les jeunes sont une génération bloquée. “De plus en plus, on a l’impression qu’ils ne peuvent pas respirer », a noté un enseignant à Oran.

C’est pourquoi un nombre croissant d’Algériens sont partis pour l’Europe, en empruntant clandestinement des bateaux ou, si l’on peut obtenir un visa ou un permis de travail, en partant légalement sur des vols et des ferries.

Les mêmes frustrations quotidiennes ont suscité de fréquentes protestations dans tout le pays au cours des dernières années. La plupart d’entre elles sont locales et suscitées par des facteurs socio-économiques, notamment la demande d’emplois, de logements, d’infrastructures de meilleure qualité et de services gouvernementaux plus réactifs. Des grèves nationales dans les secteurs de la santé et de l’éducation ont eu lieu par intermittence. Peu de ces incidents ont été signalés en dehors du pays.

Les frustrations sous-jacentes qui ont conduit de nombreux Algériens à s’opposer à un cinquième mandat pour Bouteflika sont liées de manière indélébile à ce qui a déclenché d’autres protestations ces dernières années et qui a poussé des dizaines de milliers d’Algériens à tenter d’émigrer vers l’Europe.

Les protestataires eux-mêmes ont explicitement fait référence à la question de la migration. À Annaba et à Alger, les familles de migrants disparus ont défilé, tandis que dans un nombre bien plus important de villes, les manifestants ont scandé des slogans tels que « les Harragas (migrants clandestins) sont des martyrs ». Un panneau de protestation à Alger exprimait le sentiment dominant : « Nous ne fuirons pas vers l’Europe sur des bateaux-pièges de la mort, nous ne brûlerons pas le cœur de nos mères de chagrin, nous ne serons pas dévorés par les poissons, nous reconstruirons l’Algérie ».

L’augmentation de la migration irrégulière au cours des dernières années est un puissant indicateur que l’Algérie socialiste va mal, bien qu’il ait été largement négligé. Les migrations futures seront probablement bien plus motivées par les efforts visant à maintenir ce statu quo que par la diminution des capacités des forces de sécurité à surveiller les côtes algériennes que pourrait entraîner un changement politique.

Plutôt que de voir les protestations comme un risque, les faucons de la migration en Europe devraient considérer que la situation joue en leur faveur. L’engagement des jeunes Algériens dans un mouvement de changement générationnel est le seul moyen réaliste de répondre aux frustrations populaires et d’atténuer le sentiment omniprésent que la migration en provenance d’Algérie est une nécessité, et non un choix.
Comme le proclamait un graffiti de protestation :  » je n’ai pas envie de te quitter mon Algérie ». C’est le moment pour les Algériens de se concentrer sur l’Algérie, sans que les politiques européennes en matière d’immigration ne s’y opposent.

L’Organisation internationale de migration -OIM- explique les migrations algériennes dans le contexte de manque flagrant d’opportunités économiques : « Les mauvaises conditions économiques et le manque de possibilités d’emploi font que certaines régions rurales d’Algérie connaissent continuellement des niveaux élevés d’émigration, sous la forme d’une migration interne des campagnes vers les villes et, dans certains cas, d’une migration irrégulière vers des destinations internationales. Le phénomène est particulièrement répandu chez les jeunes et il contribue à exacerber le déclin économique de ces régions, à mesure que la population et la main-d’œuvre diminuent. Pour inverser cette tendance, le ministère de l’agriculture et du développement rural s’est engagé dans une stratégie de développement économique durable des régions rurales par le biais de projets qui offrent des possibilités d’emploi et améliorent les stratégies de gestion des terres pour des projets agricoles durables et économiquement viables ».

L’agriculture en détresse

En Algérie, la désertification exerce une pression extrême sur l’agriculture irriguée en raison du taux rapide de salinisation des sols et de l’eau, ce qui entraîne une réduction drastique des terres arables ayant un potentiel agricole productif. Ce phénomène est plus notable dans la partie occidentale du pays, où se trouvent les principaux systèmes d’irrigation. Sur une superficie totale de 140 000 hectares dans cette partie de l’Algérie, 30% sont constitués de sols très salins.

La situation est aggravée par la pénurie d’eau de bonne qualité pour l’irrigation qui ne fournit actuellement que 10% de l’eau nécessaire. En effet, la qualité des eaux souterraines des grands aquifères (sédiments quaternaires) est généralement médiocre, ce qui les classe dans la catégorie des eaux présentant un risque très élevé de salinisation et d’alcalinisation du sodium.

Le développement du secteur agricole fait partie intégrante de l’effort de diversification économique du gouvernement algérien. A cet effet, le Plan quinquennal de développement économique et social 2015-2019, lancé en 2014, vise à renforcer la Politique de Renouveau Agricole et Rural (PRAR) existante en consacrant près de 300 milliards de DA (2,5 milliards d’euros) par an au secteur. Les objectifs du Plan quinquennal de développement économique et social 2015-2019 comprennent l’augmentation du nombre de terres irriguées de 1 million d’hectares, la plantation d’un million d’hectares d’oliviers, le développement des infrastructures de stockage, y compris les silos et les réfrigérateurs, la promotion de la mécanisation et le soutien de segments agricoles spécifiques, à savoir les céréales, le lait et l’arboriculture.

Cherif Omari, Jean-Yves Moisseron et Arlène Alpha soulignent dans un article intitulé : “ L’agriculture algérienne face aux défis alimentaires : Trajectoire historique et perspectives“ que : « L’agriculture est souvent présentée comme une priorité de l’Algérie. Dans son discours de Biskra, le 28 février 2009, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, « consacre l’agriculture et le développement rural comme secteur stratégique et structurant de l’économie nationale » (MADR). On pourrait sans peine multiplier les exemples de ces déclarations qui insistent sur la nécessité d’une plus grande diversification des exportations, d’un renouveau agricole et de grandes réformes mobilisatrices.

Malgré ces réaffirmations récurrentes, l’agriculture reste un problème lancinant qui se traduit par des résultats mitigés, comme l’atteste en particulier l’importance des terres en jachère. L’Algérie semble ne pouvoir résoudre les problèmes de ce secteur stratégique alors même que les questions de sécurité alimentaire et de dépendance vis-à-vis des importations se posent de manière croissante. Cela s’explique selon nous par une histoire longue qui remonte à avant la colonisation mais aussi par les choix stratégiques et une série de réformes contradictoires qui débouchent aujourd’hui sur des configurations institutionnelles complexes et conflictuelles.

Les solutions passent par une clarification du système foncier et la création d’un environnement stabilisé pour les agriculteurs, et par un modèle de croissance agricole alliant régulation des marchés et amélioration de la qualité, notamment par la labellisation. “

Lancée par le MADR (Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural) en juin 2016, l’initiative Filaha 2019 renforce le programme d’investissement public 2015-19 en cours et vise à réduire la facture des importations agricoles du pays de 2 milliards de dollars d’ici 2019. Le plan prévoit de restructurer la politique agricole et rurale du gouvernement, et de s’organiser autour de trois axes : agriculture et élevage, forêts et bassins d’eau ; pêche et aquaculture. Pour réduire la facture des importations agricoles, le plan Filaha 2019 vise à favoriser une croissance annuelle moyenne de 5 % du secteur agricole d’ici 2019, à irriguer jusqu’à 2 millions d’hectares et à atteindre une valeur de production de 4,3 milliards de DA (35,6 millions d’euros). En conséquence, le MADR prévoit d’exporter pour près de 1,1 milliard de dollars de produits nationaux d’ici 2019 et de créer environ 1,5 million d’emplois – dont 40 000 nouveaux dans le secteur de la pêche – en plus de sauvegarder 80 000 postes existants.

En outre, le MADR prévoit d’intensifier son soutien aux processus de mécanisation, principalement en augmentant le nombre de tracteurs, de machines de plantation et de récolte, ainsi que de pulvérisateurs et de moissonneuses-batteuses. Le MADR vise à augmenter le taux de mécanisation des moissonneuses-batteuses à une pour 300 ha, contre une pour 400 ha actuellement, et le nombre de tracteurs à une pour 70 ha, contre une pour 100 ha aujourd’hui. De nouvelles mesures viendront compléter une subvention existante qui finance un tracteur produit en Algérie à hauteur de 30 % de son prix.

L’Algérie, comme beaucoup d’autres pays, s’efforce de remplacer un système centralisé de distribution agricole et alimentaire par une plus grande réactivité aux conditions du marché. Les difficultés auxquelles fait face ce secteur sont multiples : les contraintes climatiques et physiques de l’agriculture, le rôle du gouvernement dans l’agriculture et la distribution alimentaire depuis l’indépendance, les différents groupes impliqués dans l’élaboration des politiques agricoles et la production, et les changements récents dans la politique agricole et les stratégies de développement.

Le manque de terres cultivables, un climat semi-aride avec des variations annuelles marquées des précipitations, l’épuisement et l’érosion des sols, la concurrence de l’industrie et de la population urbaine croissante pour les terres et l’eau figurent parmi les problèmes qui assaillent la production agricole.

La collectivisation partielle après l’indépendance a conduit au développement progressif de deux systèmes agricoles parallèles, une partie de l’état qui dépend de plus en plus de l’importation de denrées alimentaires de base pour nourrir une population en croissance rapide, et un secteur privé ou informel hors du contrôle de l’état et de taille inconnue qui fournit des fruits, des légumes et d’autres produits de base aux prix du marché.

L’agriculture du secteur public n’a pas pu devenir rentable en raison des fonctions politiques qu’elle devait remplir. Au moment où elle propose des réformes agricoles, l’Algérie ne dispose ni d’une base agricole solide ni d’une population résignée à l’inégalité. L’intervention de l’état dans l’acquisition et la distribution des denrées alimentaires a, selon les enquêtes nutritionnelles, permis d’améliorer l’état nutritionnel de la population presque partout en Algérie.

Les consommateurs sont devenus un groupe de pression important. Parmi les autres groupes dont les intérêts seraient affectés par une nouvelle politique agricole, on trouve divers groupes de producteurs agricoles allant des travailleurs salariés sur de grandes propriétés aux paysans travaillant dans des exploitations familiales, des producteurs agricoles potentiels, y compris des propriétaires fonciers expropriés, des capitalistes agricoles, des agronomes et techniciens similaires, des entrepreneurs et des banquiers, et des intermédiaires et commerçants de toutes sortes.

Les incertitudes de la situation actuelle en Algérie ne sont pas fondamentalement différentes de celles d’autres pays : démantèlement du contrôle centralisé de l’état et introduction de mécanismes de marché ; les problèmes et les conflits sont sensiblement les mêmes dans les pays d’Europe de l’Est. Mais des conditions naturelles défavorables, une modernisation limitée, une dépendance à l’égard des importations de denrées alimentaires et une opinion publique mal informée ajoutent aux difficultés de l’Algérie.

En Algérie, l’agriculture continue de souffrir de stratégies à court terme et est inadaptée aux besoins des populations et des zones rurales au vu de l’évaluation du programme agricole et rural (Agricultural and Rural Renewal Program –ARRP-) initié en Algérie pour la période (2009-2014). 

Cette évaluation s’appuie sur un suivi régulier sur le terrain du taux de réalisation des objectifs prévus. Les résultats obtenus sont loin des objectifs fixés pour le volet économique, une situation qui s’exprime principalement par le faible revenu de la population rurale et le nombre d’emplois créés.

Cependant, une amélioration des conditions de vie de la population a été enregistrée dans le volet social. En ce qui concerne l’aspect environnemental, les résultats sont jugés acceptables pour la restauration du patrimoine forestier et faibles pour la protection des sols. Cette politique repose sur des fondements qui ne se sont pas vraiment traduits sur le terrain dans la continuité des approches précédentes et le manque de gouvernance avec des ressources matérielles, financières et humaines mal gérées.

Mohamed Tebani et Khalladi Mederbal résument leur évaluation du programme de renouveau agricole et rural en Algérie (ARRP) : cas de la région de Ouarsenis, dans les termes suivants : « Cette évaluation s’appuie sur un suivi régulier sur le terrain du taux de réalisation des objectifs prévus. Les résultats obtenus sont loin des objectifs fixés pour le volet économique, une situation qui s’exprime principalement par le faible revenu de la population rurale et le nombre d’emplois créés. Cependant, une amélioration des conditions de vie de la population a été enregistrée dans le volet social. En ce qui concerne l’aspect environnemental, les résultats sont jugés acceptables pour la restauration du patrimoine forestier et faibles pour la protection des sols. Cette politique repose sur des fondements qui ne se sont pas vraiment traduits sur le terrain dans la continuité des approches précédentes et le manque de gouvernance avec des ressources matérielles, financières et humaines mal gérées ».

Certains défis clés doivent être relevés au cours des cinq prochaines années si l’Algérie veut atteindre ses objectifs d’amélioration de la sécurité alimentaire en accord avec la politique de l’état. À cet égard, les efforts déployés par le gouvernement pour accroître la superficie des terres irriguées, encourager l’utilisation d’engrais et promouvoir l’adoption de nouvelles techniques agricoles constituent un grand pas en avant.

ans les années à venir, l’utilisation de l’eau devrait jouer un rôle central dans les plans de développement du secteur, étant donné les défis posés par le climat chaud et sec de l’Algérie et l’intention déclarée du gouvernement d’intensifier les niveaux de production locale afin de réduire la dépendance du pays vis-à-vis des importations de denrées alimentaires.

L’Algérie et ses relations avec le Maroc

L’Algérie a redynamisé sa politique étrangère après la « décennie noire » des années 1990 et tente aujourd’hui d’être « un ancrage de stabilité » dans son voisinage. Cette dernière tentative est toutefois compliquée par :

1- L’héritage politique des années 1990 ;
2- Les schismes de plus en plus fréquents au sein de l’élite dirigeante algérienne ;
3- L’inquiétude croissante quant à la réaction à l’opposition interne symbolisé par le Hirak; et
4- Les rivalités croissantes d’Alger avec la France et le Maroc, tant au Maghreb qu’au Sahel et dans le reste de l’Afrique.

En effet, si l’Algérie veut maintenir l’approche plus engagée et largement constructive qu’elle a adoptée depuis 2011, elle devra améliorer ses relations avec des partenaires potentiels, dont le Maroc, en premier lieu. C’est effectivement possible, mais seulement si l’Algérie démontre qu’elle n’a pas l’intention de devenir un hégémon régional et qu’elle privilégie les efforts de consolidation de la paix à long terme plutôt que d’imposer les accords souhaités pour des gains à court terme.

Le développement de l’industrie de la défense marocaine a empoisonné les relations diplomatiques entre le royaume alaouite et l’Algérie. La tension s’est accrue ces derniers mois suite à l’annonce par Alger d’une nouvelle base militaire près de la frontière séparant les deux nations. Pour de nombreux analystes, cette décision est une réponse à la grande installation que le Royaume entend construire dans la province de Jerada, à seulement 38 kilomètres du territoire algérien. Dans ce scénario complexe, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a exhorté le Maroc, lors d’une interview au journal L’Opinion, à « arrêter la construction d’une base militaire près de la frontière avec son pays », affirmant qu’il s’agissait d’une « forme d’escalade.

« La construction de bases militaires à nos frontières est une forme d’escalade qu’il faut arrêter », a déclaré le leader algérien lors de cette interview, dans laquelle il a également souligné l’absence de tension entre les deux nations. « En ce qui nous concerne, nous n’avons aucun problème avec le Maroc et nous sommes concentrés sur le développement de notre pays », a-t-il dit avant de critiquer le fait que « le Royaume n’a pas ce même esprit ».

Dans cette interview, le président algérien a également abordé la question du Sahara. « Il appartient au Maroc d’entamer un dialogue avec le Polisario ». “Si les Sahraouis acceptent ses propositions, nous applaudirons », a souligné Abdelmadjid Tebboune, qui a déclaré que le soutien de l’Algérie aux mouvements indépendants « est presque dogmatique », selon plusieurs médias locaux.

Le conflit du Sahara occidental est la pierre d’achoppement des relations entre l’Algérie et le Maroc depuis 1975, a expliqué début juin l’analyste Lucas Martin à Atalayar :

« Les relations avec son concurrent naturel dans la région, le Maroc, sont plus que tendues […] en raison du point de vue opposé que tous deux ont sur le problème du Sahara occidental, un territoire que le Maroc revendique comme sien et qu’il administre en fait, alors que l’Algérie abrite et soutient le Front Polisario dans ce qui est encore une manœuvre pour affaiblir et déstabiliser son adversaire »

Le 4 juillet 2020, le président algérien a déclaré lors d’une autre interview avec France 24 que « toute initiative positive de la part du Royaume serait la bienvenue » pour apaiser les tensions entre ces deux pays. Le lendemain, à l’occasion du 58ème anniversaire de l’indépendance algérienne, le roi Mohamed VI a adressé un message à Abdelmadjid Tebboune, réaffirmant « la solidité des liens de fraternité qui unissent les peuples algérien et marocain » selon l’agence de presse marocaine MAP. La même semaine, le Maroc a nommé un nouvel ambassadeur en Algérie.

Le portail web des Forces armées du Royaume du Maroc a publié des images satellites de ce qui pourrait être des « bases militaires » algériennes érigées à la frontière entre les deux pays, selon L’Observatoire numérique d’Algérie. Selon ces informations, les photographies ont été prises par les satellites de Mohammed VI-A et Mohammed VI-B, réalisés en collaboration avec la France. « Ces images montrent trois casernes d’infanterie avec des systèmes de défense aérienne S-300, construites à seulement huit kilomètres de la frontière avec le Maroc, et deux autres casernes logistiques à seize kilomètres de la frontière », rapporte L’Observatoire d’Algérie.

Ces médias accusent également l’Algérie de transformer la ville de Tindouf, dans le sud-ouest du pays, « en une immense base militaire » qui abrite « des radars, des avions, des chars et de l’artillerie ». L’apparition de ces images survient après que le Maroc ait annoncé son intention de créer une installation similaire dans la province de Jerada.

En ce qui concerne, le problème du Sahara, l’Algérie a toujours utilisé un double langage d’un côté elle affirme qu’elle n’est pas partie prenante dans ce conflit et qu’elle aimerait que le Maroc et le Polisario arrivent à un compromis mais d’un autre côté elle refuse au Polisario d’accepter le projet d’autonomie proposé par le Maroc en Avril 2007 « Initiative pour une autonomie de la région du Sahara » et récemment lorsque ce dernier a rétabli la circulation au poste frontière de El Guerguerate et chassé le Polisario de ce secteur important pour rétablir la fluidité des échanges internationaux avec la Mauritanie et le reste de l’Afrique, l’Algérie est monté au créneau et a vilipendé tous les pays qui ont supporté l’action de l’état chérifien pour montrer inconsciemment que le Polisario n’est qu’un pantin pour sa politique régionale. En réalité, l’Algérie veut le beurre et l’argent du beurre de ce conflit qui dure depuis 1975.

Conclusion : comment sortir du marasme ?

L’étude de la politique algérienne a quelque chose de sismologique. Il ne fait aucun doute qu’il y a un volcan sous-jacent. Un grand nombre de jeunes chômeurs s’en assurent. Même si, pour l’instant, leur colère s’est manifesté par un Hirak pacifique surnommé par les médias : « Révolution du Sourire », il n’y a pas lieu de se reposer sur ses lauriers. Le sourire pourrait s’estomper le mouvement pourrait éventuellement entrer en éruption et mener à une guerre civile. Il est difficile de prévoir quand et comment cela se manifestera.

Pendant près de 20 ans, le président Abdelaziz Bouteflika a maintenu le cap à la tête d’un régime opaque et répressif – qui se trouve être aussi un fournisseur vital d’énergie pour l’Europe. Bouteflika était déjà une sorte de relique des années postindépendance lorsqu’il est devenu président en 1999. Par la suite, il s’est fait connaître du public en aidant à mettre fin à une guerre civile qui a duré près de dix ans et en favorisant une certaine réconciliation nationale. Mais depuis qu’il a été victime d’une attaque cérébrale il y a cinq ans, il a été physiquement inapte et a été rarement vu en public et n’a jamais été entendu.

Lors de sa dernière sortie, M. Bouteflika était en fauteuil roulant, le regard vide, l’air décidément frêle. Pourtant, la cabale secrète qui l’entoure semble vouloir le faire sortir en fauteuil roulant dans cet état de santé avancé pour un cinquième mandat de cinq ans en tant que président lors des élections prévues en 2019. Pour les Algériens c’était un acte de « Hogra », une expression typiquement algérienne qui décrit le mépris d’un groupe ou d’une personne pour un autre, en l’occurrence l’élite dirigeante pour les masses. Le ras-le-bol des algériens avec le régime gérontocratique qui lui est imposé par l’armée, le vrai pouvoir derrière le pouvoir civil, les a poussés à protester dans les rues pour la démocratie d’où la naissance du mouvement de contestation nommé Hirak 22 février 2019.

L’Algérie a connu trop de tragédies. Doté de ressources naturelles abondantes, de paysages d’une beauté époustouflante et d’une main-d’œuvre jeune et dynamique, le pays devrait être prospère. Le tourisme pourrait contribuer à diversifier l’économie en la libérant de la dépendance à l’égard des pétrodollars, en fournissant au moins une partie des emplois auxquels les jeunes aspirent.

Mais, comme ailleurs, les revenus du pétrole et du gaz ont fait de l’Algérie un état rentier. La stagnation de l’économie qui en résulte est aggravée par la paralysie politique qui s’est installée depuis la fin des sombres années 1990, lorsque l’annulation des premières élections libres et équitables a déclenché une guerre civile vicieuse entre les islamistes et l’armée qui a fait 150 000 victimes.

Dans son rapport sur l’Algérie en date du 19 octobre 2020, La Banque mondiale écrit : « En 2019, une mobilisation sociale prolongée et une longue transition politique ont accru l’incertitude économique et découragé l’activité. La consommation a ralenti, tout comme l’investissement, quoique de façon plus marquée. Parallèlement, la croissance a été modérée dans les secteurs de la construction, de l’agriculture et des services commerciaux. Alors que la croissance du PIB hors hydrocarbures ralentissait à 2,4 %, le PIB provenant des hydrocarbures reculait de 4,9 %. Une nouvelle loi sur les hydrocarbures offrant de meilleures conditions aux investisseurs a été promulguée dans le but de relancer l’investissement. Pendant ce temps, les restrictions à l’investissement étranger ont été levées dans des secteurs non stratégiques. Le déficit du compte courant s’est stabilisé, les importations ayant suivi la diminution des dépenses intérieures et les politiques de restriction des importations, annulant ainsi l’effet de la baisse des prix des hydrocarbures. “

Bien que les droits garantis sur des biens soient généralement reconnus et exécutoires, les procédures judiciaires peuvent être longues et les résultats imprévisibles. Le gouvernement contrôle la plupart des biens immobiliers, et le manque de clarté des titres et les conflits de propriété rendent difficile l’achat de biens immobiliers privés. Le système judiciaire est généralement faible, lent et soumis à des pressions politiques. La courtoisie et la corruption sévissent dans les entreprises et le secteur public, en particulier dans le secteur de l’énergie.

Le score de liberté économique de l’Algérie est de 46,9, ce qui fait de son économie la 169ème plus libre dans l’indice 2020. Son score global a augmenté de 0,7 point grâce à une amélioration du score des droits de propriété. L’Algérie est classée 14ème parmi les 14 pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, et son score global est bien inférieur aux moyennes régionale et mondiale.

Les scores de liberté économique de l’Algérie sont sur une trajectoire descendante depuis la dernière décennie, et son économie a longtemps été considérée comme réprimée. Bien que le gouvernement se soit fixé comme objectif ambitieux un taux de croissance du PIB de 6,5 % dans l’économie non pétrolière pour les dix prochaines années, le taux de croissance moyen du PIB au cours des cinq dernières années a été inférieur à la moitié de cet objectif.

La paralysie politique fait obstacle aux réformes économiques indispensables pour libérer le pays de sa dépendance aux hydrocarbures. Pour éviter une nouvelle période d’instabilité et une crise économique, le gouvernement devrait faire un effort de transparence sur l’état des finances publiques et améliorer les perspectives pour les jeunes.

Pour mettre leur pays sur la voie d’une plus grande liberté, les Algériens doivent faire des progrès significatifs dans les domaines de l’état de droit, la démocratie, le multiculturalisme, le libéralisme économique et de la santé budgétaire. Amen.

 

*Professeur universitaire et analyste politique international

Algérie & la Crise par Dr Mohamed Chtatou Maroc

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