Bob Woodward raconte la présidence Trump de l'intérieur, et c'est effrayant.
Dans "Fear", le journaliste, qui a révélé le scandale du Watergate, raconte la Maison-Blanche sous Trump. L'image qui ressort est celle d'un roi fou totalement déchaîné.
Un "idiot", un "déséquilibré" (John Kelly, chef de cabinet). Un homme dont le niveau de compréhension est "celui d'un écolier de CM2 ou de 6e" (James Mattis, ministre de la Défense).
Un "putain de menteur" (John Dowd, son ex-avocat). Un "menteur professionnel" (Gary Cohn, ex-conseiller économique).
Un "putain de salopard" (Rex Tillerson, ex-secrétaire d'Etat). "Nature erratique", "ignorance", "incapacité à apprendre", "vues dangereuses" (un officiel anonyme de la Maison-Blanche).
Un "tweetomane" déjanté décochant ses missiles en 140 ou 280 signes depuis sa chambre à coucher, "l'atelier du diable" (Reince Priebus, ex-chef de cabinet)…
Ce n'est qu'une partie des insultes adressées par son entourage à l'endroit de Donald Trump dans "Fear : Trump in the White House" ("Peur : Trump à la Maison-Blanche"), le nouveau livre de Bob Woodward, mais on sait déjà qu'elles ont mis en rage l'intéressé. "Les amis de Trump et d'anciens officiels de la Maison-Blanche confient que les extraits qui le font le plus grimper au rideau sont les citations de gens (Kelly, Mattis, etc.) qui le traitent d'idiot", rapporte Gabriel Sherman, du magazine "Vanity Fair".
Des scènes surréalistes
Quel festival ! On savait que Woodward, qui avait révélé le scandale du Watergate avec son complice Carl Bernstein dans le "Washington Post", sortirait la Grosse Bertha.
A lire les premiers détails, révélés mardi 4 septembre par le "Washington Post" et CNN qui ont pu se procurer une copie de ce pavé de 448 pages avant sa sortie en librairie le 11 septembre aux Etats-Unis, on n'est pas déçu. L'image qui ressort est celle d'un roi fou totalement déchaîné, dont les conseillers "raisonnables" tentent de contenir les pires excès. D'où une succession de scènes surréalistes :
- Ses conseillers ont pris l'habitude de subtiliser, sur son bureau, les documents les plus explosifs. Le livre débute sur une scène où l'on voit Gary Cohn repérer sur le fameux bureau une lettre qu'il considère dangereuse pour la sécurité nationale : elle décrète le retrait d'un accord commercial avec la Corée du Sud, action qui risque de torpiller un programme top-secret permettant de détecter un missile nord-coréen 7 secondes après son lancement, plutôt que 15 minutes.
Quand Rob Porter, un ex-conseiller, se voit ordonner d'écrire le brouillon d'une lettre de retrait de l'Alena, l'accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique, il contacte Gary Cohn, alarmé. Cohn le rassure :
"Je peux empêcher cela. Il suffira que je subtilise la lettre sur son bureau."
De telles pratiques s'apparentent à "un coup d'Etat administratif", remarque Woodward, mais elles sont aussi le signe d'une "dépression nerveuse". "On avait l'impression de constamment marcher au bord d'une falaise", confie Porter à Woodward :
"A d'autres moments, on tombait de la falaise et il fallait agir."
- Ses avocats font tout pour qu'il ne se laisse par interroger par le procureur spécial Robert Mueller, qui enquête sur le rôle de la Russie dans la campagne présidentielle américaine de 2016. Persuadés que la propension maladive de Trump au mensonge signera sa perte, ils vont même jusqu'à organiser une fausse interview, où ils démontrent à Trump qu'il se fera immanquablement piéger. "Vous n'avez aucune chance de vous en sortir", lui lance John Dowd. "Ne témoignez pas, ou bien vous vous retrouverez en uniforme orange" de prisonnier. Le président réagit "comme un roi shakespearien contrarié", mais continue d'insister.
John Dowd et Jay Sekulow, les deux avocats, prennent alors une initiative qui est peut-être le scoop le plus surréaliste de tout le livre : ils rendent visite à Robert Mueller et rejouent devant lui la fausse interview avec Trump pour le convaincre que leur boss, incapable de dire la vérité, ne peut pas témoigner ! Réponse de Mueller : "J'ai besoin du témoignage du président", "je veux savoir s'il y a eu une intention de corrompre" la justice.
Mueller sur la trace de Trump : une enquête sans précédent depuis le Watergate
- Le comportement de Trump est particulièrement inquiétant en matière de politique étrangère et de défense. Nourri par un mélange d'ego surdimensionné, de bêtise, d'inculture et d'impulsivité, il a littéralement le doigt sur la gâchette, prêt à défourailler à tout instant.
A peine installé à la Maison-Blanche, Trump demande à Joseph Dunford, chef d'état-major des armées, de planifier une frappe militaire préventive contre le régime de Kim Jong-un. Et il continue de demander "pourquoi nous faisons cela", à propos du programme top secret ramenant de 15 minutes à 7 secondes l'alerte donnée après un lancement de missile nord-coréen. Pourquoi ? "Pour éviter une Troisième Guerre mondiale", lui répond Mattis.
A l'automne 2017, Trump se met à provoquer le dirigeant nord-coréen verbalement, et confie à Rob Porter qu'il voit la situation comme un clash de volontés :
"Tout cela, c'est leader contre leader. Homme contre homme. Moi contre Kim."
Il fera ensuite volte-face, toujours dans l'improvisation.
Obama, une "couille molle"
Le livre – qui sera publié en France par les éditions du Seuil "le plus rapidement possible" – montre également le mépris de Trump pour ceux qui travaillent pour lui, le plaisir qu'il prend à les humilier. Jeff Sessions, son "attorney general" (ministre de la Justice) ? "Un Sudiste stupide", "un retardé mental". Reince Priebus, l'ex-chef de cabinet ? "Comme un petit rat. Il trottine partout." Rudolph Giuliani, l'ex-maire de New York qui a rejoint l'équipe d'avocats de Trump ? "Un petit bébé dont il faut changer les couches." Idem pour ses adversaires et pour son prédécesseur Barack Obama, qualifié de "couille molle"…
Tout cela n'est pas entièrement nouveau : en janvier, "Fire and Fury" ("Le feu et la fureur", Robert Laffont), de Michael Wolff, avait déjà dépeint, avec une foule de détails dignes d'Alfred Jarry, cette présidence ubuesque.
On peut s'attendre, comme avec l'ouvrage de Wolff, à une succession de démentis de conseillers, jurant la main sur le cœur n'avoir jamais prononcé ces paroles offensantes. La base de Trump, assistée par la chaîne Fox News, dénoncera quant à elle une nouvelle preuve de la "cabale" de l'establishment de Washington résolu à avoir la peau de son héros.
"Fantôme", "trahison" et soucis capillaires, Trump raconté dans un livre explosif
Mais Woodward n'est pas Wolff et les temps ont changé. Il s'agit, cette fois, du plus célèbre des journalistes américains, connu pour nourrir ses livres de centaines d'interviews, même si certains sont anonymes, en "deep background". Impossible de balayer ce pavé d'un revers de la main.
Et puis, il y a le contexte : des élections de mi-mandat qui approchent à grande vitesse (le 6 novembre, l'intégralité des sièges de la Chambre des représentants et un tiers du Sénat seront renouvelés), et une cote de popularité présidentielle qui s'est encore récemment détériorée.
Cette fois, plus de doute : la présidence d'Ubu-Trump est en danger, et la "peur", pour reprendre le titre de l'ouvrage de Woodward, règne désormais à la Maison-Blanche.
Dans "Fear", le journaliste, qui a révélé le scandale du Watergate, raconte la Maison-Blanche sous Trump. L'image qui ressort est celle d'un roi fou totalement déchaîné.
Un "idiot", un "déséquilibré" (John Kelly, chef de cabinet). Un homme dont le niveau de compréhension est "celui d'un écolier de CM2 ou de 6e" (James Mattis, ministre de la Défense).
Un "putain de menteur" (John Dowd, son ex-avocat). Un "menteur professionnel" (Gary Cohn, ex-conseiller économique).
Un "putain de salopard" (Rex Tillerson, ex-secrétaire d'Etat). "Nature erratique", "ignorance", "incapacité à apprendre", "vues dangereuses" (un officiel anonyme de la Maison-Blanche).
Un "tweetomane" déjanté décochant ses missiles en 140 ou 280 signes depuis sa chambre à coucher, "l'atelier du diable" (Reince Priebus, ex-chef de cabinet)…
Ce n'est qu'une partie des insultes adressées par son entourage à l'endroit de Donald Trump dans "Fear : Trump in the White House" ("Peur : Trump à la Maison-Blanche"), le nouveau livre de Bob Woodward, mais on sait déjà qu'elles ont mis en rage l'intéressé. "Les amis de Trump et d'anciens officiels de la Maison-Blanche confient que les extraits qui le font le plus grimper au rideau sont les citations de gens (Kelly, Mattis, etc.) qui le traitent d'idiot", rapporte Gabriel Sherman, du magazine "Vanity Fair".
Des scènes surréalistes
Quel festival ! On savait que Woodward, qui avait révélé le scandale du Watergate avec son complice Carl Bernstein dans le "Washington Post", sortirait la Grosse Bertha.
A lire les premiers détails, révélés mardi 4 septembre par le "Washington Post" et CNN qui ont pu se procurer une copie de ce pavé de 448 pages avant sa sortie en librairie le 11 septembre aux Etats-Unis, on n'est pas déçu. L'image qui ressort est celle d'un roi fou totalement déchaîné, dont les conseillers "raisonnables" tentent de contenir les pires excès. D'où une succession de scènes surréalistes :
- Ses conseillers ont pris l'habitude de subtiliser, sur son bureau, les documents les plus explosifs. Le livre débute sur une scène où l'on voit Gary Cohn repérer sur le fameux bureau une lettre qu'il considère dangereuse pour la sécurité nationale : elle décrète le retrait d'un accord commercial avec la Corée du Sud, action qui risque de torpiller un programme top-secret permettant de détecter un missile nord-coréen 7 secondes après son lancement, plutôt que 15 minutes.
Quand Rob Porter, un ex-conseiller, se voit ordonner d'écrire le brouillon d'une lettre de retrait de l'Alena, l'accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique, il contacte Gary Cohn, alarmé. Cohn le rassure :
"Je peux empêcher cela. Il suffira que je subtilise la lettre sur son bureau."
De telles pratiques s'apparentent à "un coup d'Etat administratif", remarque Woodward, mais elles sont aussi le signe d'une "dépression nerveuse". "On avait l'impression de constamment marcher au bord d'une falaise", confie Porter à Woodward :
"A d'autres moments, on tombait de la falaise et il fallait agir."
- Ses avocats font tout pour qu'il ne se laisse par interroger par le procureur spécial Robert Mueller, qui enquête sur le rôle de la Russie dans la campagne présidentielle américaine de 2016. Persuadés que la propension maladive de Trump au mensonge signera sa perte, ils vont même jusqu'à organiser une fausse interview, où ils démontrent à Trump qu'il se fera immanquablement piéger. "Vous n'avez aucune chance de vous en sortir", lui lance John Dowd. "Ne témoignez pas, ou bien vous vous retrouverez en uniforme orange" de prisonnier. Le président réagit "comme un roi shakespearien contrarié", mais continue d'insister.
John Dowd et Jay Sekulow, les deux avocats, prennent alors une initiative qui est peut-être le scoop le plus surréaliste de tout le livre : ils rendent visite à Robert Mueller et rejouent devant lui la fausse interview avec Trump pour le convaincre que leur boss, incapable de dire la vérité, ne peut pas témoigner ! Réponse de Mueller : "J'ai besoin du témoignage du président", "je veux savoir s'il y a eu une intention de corrompre" la justice.
Mueller sur la trace de Trump : une enquête sans précédent depuis le Watergate
- Le comportement de Trump est particulièrement inquiétant en matière de politique étrangère et de défense. Nourri par un mélange d'ego surdimensionné, de bêtise, d'inculture et d'impulsivité, il a littéralement le doigt sur la gâchette, prêt à défourailler à tout instant.
A peine installé à la Maison-Blanche, Trump demande à Joseph Dunford, chef d'état-major des armées, de planifier une frappe militaire préventive contre le régime de Kim Jong-un. Et il continue de demander "pourquoi nous faisons cela", à propos du programme top secret ramenant de 15 minutes à 7 secondes l'alerte donnée après un lancement de missile nord-coréen. Pourquoi ? "Pour éviter une Troisième Guerre mondiale", lui répond Mattis.
A l'automne 2017, Trump se met à provoquer le dirigeant nord-coréen verbalement, et confie à Rob Porter qu'il voit la situation comme un clash de volontés :
"Tout cela, c'est leader contre leader. Homme contre homme. Moi contre Kim."
Il fera ensuite volte-face, toujours dans l'improvisation.
Obama, une "couille molle"
Le livre – qui sera publié en France par les éditions du Seuil "le plus rapidement possible" – montre également le mépris de Trump pour ceux qui travaillent pour lui, le plaisir qu'il prend à les humilier. Jeff Sessions, son "attorney general" (ministre de la Justice) ? "Un Sudiste stupide", "un retardé mental". Reince Priebus, l'ex-chef de cabinet ? "Comme un petit rat. Il trottine partout." Rudolph Giuliani, l'ex-maire de New York qui a rejoint l'équipe d'avocats de Trump ? "Un petit bébé dont il faut changer les couches." Idem pour ses adversaires et pour son prédécesseur Barack Obama, qualifié de "couille molle"…
Tout cela n'est pas entièrement nouveau : en janvier, "Fire and Fury" ("Le feu et la fureur", Robert Laffont), de Michael Wolff, avait déjà dépeint, avec une foule de détails dignes d'Alfred Jarry, cette présidence ubuesque.
On peut s'attendre, comme avec l'ouvrage de Wolff, à une succession de démentis de conseillers, jurant la main sur le cœur n'avoir jamais prononcé ces paroles offensantes. La base de Trump, assistée par la chaîne Fox News, dénoncera quant à elle une nouvelle preuve de la "cabale" de l'establishment de Washington résolu à avoir la peau de son héros.
"Fantôme", "trahison" et soucis capillaires, Trump raconté dans un livre explosif
Mais Woodward n'est pas Wolff et les temps ont changé. Il s'agit, cette fois, du plus célèbre des journalistes américains, connu pour nourrir ses livres de centaines d'interviews, même si certains sont anonymes, en "deep background". Impossible de balayer ce pavé d'un revers de la main.
Et puis, il y a le contexte : des élections de mi-mandat qui approchent à grande vitesse (le 6 novembre, l'intégralité des sièges de la Chambre des représentants et un tiers du Sénat seront renouvelés), et une cote de popularité présidentielle qui s'est encore récemment détériorée.
Cette fois, plus de doute : la présidence d'Ubu-Trump est en danger, et la "peur", pour reprendre le titre de l'ouvrage de Woodward, règne désormais à la Maison-Blanche.
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