Doha, le cri de l’unité : Quand le monde arabe et musulman menace de rompre avec Israël.

Doha, le cri de l’unité : Quand le monde arabe et musulman menace de rompre avec Israël.

Publié le 17 septembre 2025


Le 15 septembre 2025 restera comme une date à marquer d’une pierre noire ou blanche, selon l’angle choisi. À Doha, capitale du Qatar, les chefs d’État et de gouvernement de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) se sont réunis en sommet extraordinaire. 

L’urgence : La flambée de violence israélienne à Gaza, la multiplication des frappes en Cisjordanie, les menaces qui pèsent sur Jérusalem et la montée d’un climat de guerre qui dépasse déjà le cadre du Proche-Orient.

​Un sommet de plus ? Non.



L’odeur des déclarations stériles planait, mais un parfum différent s’est dégagé de cette rencontre. 

Car pour la première fois depuis longtemps, les dirigeants arabes et musulmans ont osé franchir une ligne symbolique : Exhorter les États à revoir leurs relations diplomatiques et économiques avec Israël et à activer des procédures judiciaires internationales contre ses dirigeants. 

La déclaration finale, relayée par l’AFP (en téléchargement ci dessus), parle de « toutes les mesures légales et efficaces » pour empêcher Israël de poursuivre son agression. Cette formulation, lourde de sens, marque une inflexion historique dans le discours habituel.

​Le poids des mots, la faiblesse des actes !
Les communiqués des sommets arabes ou islamiques se ressemblent souvent : condamnations fermes, appels vibrants, rappels des résolutions onusiennes. Mais à Doha, un mot a changé la grammaire : « mesures ». Les participants ne se sont pas contentés de condamner, ils ont esquissé un mode d’emploi : revoir les relations, utiliser la justice internationale, et mobiliser toutes les enceintes possibles pour isoler Israël.

Bien sûr, l’histoire récente incite au scepticisme. Qui se souvient encore de l’« Initiative de paix arabe » lancée en 2002 à Beyrouth, offrant à Israël la normalisation contre le retrait des territoires occupés ? Elle est restée lettre morte. Qui croit que les accords commerciaux, énergétiques ou militaires conclus ces dernières années par certains États arabes avec Tel-Aviv seront suspendus du jour au lendemain ?

Mais ce qui change ici, c’est que les mots, cette fois, ouvrent une brèche. Ils portent une menace crédible : celle d’un basculement diplomatique si Israël persiste dans son intransigeance.

​Doha, capitale de la diplomatie agile
Il n’est pas anodin que ce sommet ait eu lieu à Doha. Le Qatar s’est imposé depuis des années comme l’intermédiaire privilégié dans les crises régionales. Accueillir à la fois la Ligue arabe et l’OCI, rassembler des dirigeants qui ne s’entendent pas sur grand-chose, et leur arracher une déclaration commune de fermeté : cela relève de l’art diplomatique.

L’Émir Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani a joué le rôle de chef d’orchestre, offrant à sa capitale le statut de plaque tournante d’une diplomatie agile, capable de dialoguer avec les puissances occidentales tout en se présentant comme la voix des opprimés palestiniens.
​Les fractures qui menacent l’unité
Cette unité proclamée à Doha ne doit pas masquer les divergences profondes. Certains États, comme les Émirats arabes unis ou Bahreïn, ont déjà signé les accords d’Abraham et développé une coopération active avec Israël. 
D’autres, comme l’Égypte et la Jordanie, sont liés à Tel-Aviv par des traités de paix de longue date, souvent assortis de clauses de sécurité.

Exiger de ces pays qu’ils rompent leurs relations ou qu’ils suspendent leurs échanges revient à leur demander de s’amputer d’un pan entier de leur diplomatie et de leur économie. On voit mal Le Caire renoncer aux livraisons de gaz israélien ou Amman mettre en péril son fragile équilibre énergétique.

Mais à défaut d’actes immédiats, la menace de rupture devient une carte politique. 
Elle rappelle à Israël que la normalisation régionale, laborieusement bâtie ces dernières années, n’est pas un acquis irréversible.
Le spectre de la justice internationale
Le communiqué évoque aussi la possibilité d’engager des procédures judiciaires internationales contre Israël. Là encore, l’idée n’est pas nouvelle. 

La Cour pénale internationale (CPI) a déjà ouvert des enquêtes sur les crimes de guerre présumés commis dans les territoires palestiniens. 
Mais cette fois, le soutien collectif de plus de cinquante pays arabes et musulmans pourrait donner un poids inédit à ces démarches.

Lancer une offensive juridique, documenter les crimes, déposer des plaintes coordonnées : autant de leviers qui pourraient mettre Israël en difficulté sur le terrain symbolique et moral, là où sa diplomatie cherche toujours à retourner le narratif en faveur de sa sécurité.

Al-Qods, le cœur battant du conflit
Une large partie du sommet a été consacrée à la question de Jérusalem. Le communiqué insiste sur la protection des lieux saints, musulmans et chrétiens, et réaffirme le rôle de la Jordanie dans la tutelle sur la mosquée Al-Aqsa. SM Le roi Mohammed VI du Maroc, en tant que président du Comité Al-Qods, a vu son rôle mentionné et salué.

Cette insistance sur Jérusalem n’est pas fortuite. Chaque fois que les tensions s’y enflamment, elles résonnent comme une sirène dans l’ensemble du monde musulman. Et pour les dirigeants arabes, rappeler leur attachement à Al-Qods est aussi un moyen de légitimer leur discours auprès de leurs opinions publiques.

​La solidarité humanitaire comme socle
Au-delà de la diplomatie et du droit, le sommet a insisté sur l’urgence humanitaire. Gaza, assiégée et bombardée, vit une catastrophe. Les dirigeants ont promis d’accroître l’aide et de coordonner la reconstruction.

Des promesses que l’on a déjà entendues, mais qui, cette fois, s’accompagnent d’une dimension politique plus affirmée : pas seulement reconstruire, mais reconstruire en exigeant le respect des droits des Palestiniens.

Entre rhétorique et bascule historique
Le simple chroniqueur que je suis se doit d’être lucide. Les sommets de ce type produisent souvent plus de rhétorique que d’actions tangibles. Pourtant, l’histoire avance parfois à coups de mots. L’idée que les États arabes et musulmans puissent revoir leurs relations avec Israël, y compris économiques et diplomatiques, n’est pas une simple posture. Elle traduit un malaise croissant face à une occupation jugée insoutenable, et face à une communauté internationale accusée de passivité, voire de complicité.

Si cette menace reste théorique, elle pourrait peser dans les calculs israéliens. Car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement Gaza ou Jérusalem, mais la stabilité régionale et, au-delà, la crédibilité de l’ordre international.

​Le test de la crédibilité si Israël ou plutôt si Premier ministre Benyamin Netanyahou et son gouvernement persistent et signent
Le vrai test commencera après Doha. Les opinions publiques arabes et musulmanes, lassées des mots creux, guetteront les premiers gestes : Un rappel d’ambassadeur, une suspension d’accord, une plainte officielle déposée à La Haye. Faute de quoi, la « fermeté » de Doha rejoindra la longue liste des résolutions oubliées.

Mais si ne serait-ce qu’un pays franchit le pas, l’effet domino pourrait être réel. 
Le précédent sud-africain face à l’apartheid demeure dans toutes les mémoires : des sanctions économiques, longtemps jugées symboliques, avaient fini par éroder le système.

​Une bataille du récit
Enfin, Doha marque une étape dans la bataille du récit. 
En plaçant la justice internationale et les sanctions au cœur de leur communiqué, les pays arabes et musulmans déplacent le débat : Il ne s’agit plus seulement de « réagir à une agression », mais d’entrer dans une logique de responsabilisation et de punition.
Israël, qui se présente toujours comme assiégé par le terrorisme, voit se renforcer l’idée inverse : celle d’un État occupant, poursuivi pour crimes. C’est là que la déclaration de Doha, même si elle reste théorique, pèse déjà lourd.

L’heure des choix
Doha ne résout rien. Gaza est toujours assiégée, Jérusalem toujours disputée, la Cisjordanie toujours fragmentée. 
Mais Doha a posé une question qui pèse comme une pierre : les pays arabes et musulmans sont-ils prêts à aller au-delà des mots, à faire de la diplomatie une arme, et de la justice un champ de bataille ?

Si la réponse est oui, alors le 15 septembre 2025 aura marqué un tournant. Si la réponse est non, il ne restera qu’une nouvelle déclaration parmi tant d’autres, et une génération de plus pour constater que les promesses se sont envolées comme les bombes qui continuent de tomber.



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